© Jean Chevallier

Merle l’enchanteur

Cela fait deux mois que le merle mâle chante matin et soir pour marquer son territoire. Depuis quelques jours, la femelle cachée dans la haie couve en toute discrétion…

Cela fait deux mois que le merle mâle chante matin et soir pour marquer son territoire. Depuis quelques jours, la femelle cachée dans la haie couve en toute discrétion…

Quand résonne le chant du merle noir
Le merle noir, excellent chanteur comme chaque turdidé qui se respecte / © Jean Chevallier

4 h 30 du matin, nuit noire. Une douce brise entraîne le parfum des lilas en fleur dans les ruelles endormies. Chuck-chuck-chuck … Dans l'ombre d'un buisson, un merle noir s'agite en lançant des cris nerveux accompagnés de quelques coups de queue démonstratifs. L'oiseau rejoint ensuite d'un vol fugace l'un de ses perchoirs favoris : une branche surélevée dans la lueur d'un réverbère, le faîte d'une maison ou un poteau électrique. Peu importe, pour autant que cette position stratégique lui permette de surveiller le gazon, la haie et l'allée d'arbres qui composent son territoire.

Ses phrases mélodieuses retentissent avec force dans la nuit qui s'efface. Le moment est venu pour merle et merlette de fonder un foyer.

Quand résonne le chant du merle noir
Merle noir sur une gouttière / © Jean Chevallier

Pendant que le mâle se bat par notes interposées avec les merles du voisinage pour défendre sa pelouse et ses lombrics, la femelle est tapie dans le nid qu'elle a construit au cœur de la haie. Elle couve en totale discrétion ses quatre ou cinq œufs dans une coupelle d'herbes sèches, de radicelles et de mousse soigneusement colmatée de boue.

Deux semaines plus tard, une fois les poussins éclos, les deux parents partent dès le lever du soleil à la recherche de nourriture. Chacun possède un territoire de chasse différent, probablement afin de maximiser le nombre de captures.
Pour ravitailler les becs affamés, ils apportent sans cesse des vers de terre, des chenilles, des araignées et des coléoptères, au début essentiellement des proies molles et faciles à digérer. A l'âge de vingt ou trente jours, peu avant l'envol, le menu devient plus coriace.

En cas de danger, le merle simule parfois une blessure et s'éloigne du nid en attirant l'attention du prédateur. Mais, le plus souvent, il attaque l'intrus et le harcèle en voletant, allant jusqu'à lui donner des coups de bec sur la nuque.

Les derniers jours d'éducation des jeunes sont assurés uniquement par le mâle. Car, pendant ce temps, la merlette couve déjà une deuxième ponte. En plaine, un couple est capable d'élever jusqu'à quatre nichées entre mars et août.
Malgré cette descendance abondante, la plupart des merles n'atteignent pas l'âge adulte. Fouine, hermine, écureuil, geai ou corneilles les capturent au nid ou dans le gazon, lorsque leur vol est encore hésitant. Après tout, ces prédateurs doivent eux aussi nourrir leurs jeunes. Quant au chat, c'est le plus grand ennemi du jardin: un tigre à l'échelle de notre oiseau.

Merle noir chantant à l'aube / © Jean Chevallier

Virtuose polyglotte

Flûté et très riche en motifs, le chant territorial du merle noir peut inclure jusqu'à 30 phrases différentes chez un seul individu. Et ce, sans compter toutes sortes de cris. Turdus merula fait partie de la famille des turdidés qui compte d'autres excellents chanteurs comme la grive musicienne, le rossignol philomèle ou le rougegorge familier.
Le merle est capable d'imiter le chant d'autres oiseaux, mais aussi les sons qu'il entend dans son entourage: sifflets, klaxons, sonnettes ou alarmes. En ville, son répertoire vocal est tellement influencé par les bruits urbains que ses vocalisations en deviennent parfois radicalement différentes de celles des merles campagnards.

Merle noir en vol / © Jean Chevallier

Des forêts à la ville

Très commun dans les campagnes, les parcs et les jardins, le merle a une origine forestière. Avant l'urbanisation et l'expansion de l'agriculture, il occupait essentiellement les forêts et les bosquets en plaine aussi bien qu'en moyenne montagne.
De nos jours, il cohabite avec l'homme jusqu'au cœur des agglomérations. La colonisation des parcs urbains a débuté au XIXe siècle. L'oiseau est signalé pour la première fois dans quelques villes belges en 1820, dans le Gard avant les années 1840 et à Paris en 1870. Il devient localement tellement abondant qu'il est parfois classé parmi les nuisibles, comme à Bâle en 1887.
En Australie, cet oiseau a été introduit en 1857. Polyvalent et prolifique, il est en compétition avec les espèces locales, au point d'être considéré comme une véritable peste.

Merle noir en vol / © Jean Chevallier

Entre amour et adultères

La formation des couples de merles a lieu en plein hiver. Lors d'une brève parade nuptiale, le mâle se déplace au sol en courant, le bec ouvert, la queue étalée et la tête penchée en avant. Il pousse alors des sifflements fins ou chante en sourdine avec les ailes entrouvertes. L'observation de ces comportements n'est pas fréquente, car les partenaires sont souvent unis pour la vie. Suite à une mauvaise année de reproduction, il arrive que les couples se séparent. Près de deux jeunes sur cinq résulteraient d'accouplements extraconjugaux !

A la chasse aux lombrics

Essentiellement frugivore le reste de l'année, le merle noir est insectivore au printemps. Ce changement de régime alimentaire s'explique par l'abondance d'invertébrés à cette saison et surtout par le grand besoin en protéines des poussins.
Le passereau cherche ses proies de préférence au sol. Il fouille souvent les feuilles mortes sous les arbres. Après les avoir retournées, ce qui produit un bruit caractéristique, il repère à la vue les myriapodes et les insectes. Il fréquente volontiers les jardins et aime chasser les vers de terre sur des gazons tondus.
Le merle trottine sur quelques mètres, s'arrête soudain, écoute et regarde en inclinant la tête d'un côté et de l'autre. Puis, il sonde nerveusement la terre avec son bec sensible, capable de détecter les vibrations provoquées par le déplacement des invertébrés. Il paraît même que son ouïe très fine lui permet d'entendre des vers ou des larves dans le sol.

Pour aller plus loin:

Lisez Grives et merles de Georges Olioso

En pratique, lisez nos 3 conseils pour observer le merle noir

Ecoutez le chant du merle

Découvrez en vidéo un merle noir au dévouement paternel hors normes dans la Minute nature.

Couverture de La Salamandre n°221

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 221  Avril - Mai 2014
Catégorie

Biodiversité

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