La digestion magique du chevreuil
Une fine bouche, quatre estomacs. Dans son ventre, le chevreuil cache une machinerie digne de l’imagination de Léonard de Vinci. Visite anatomique.
Une fine bouche, quatre estomacs. Dans son ventre, le chevreuil cache une machinerie digne de l’imagination de Léonard de Vinci. Visite anatomique.
« Quand le soleil s’endort, se réveillent les chevreuils. C’est alors qu’il faut les avoir à l’œil ! » chantait un vieux chasseur jurassien. Pile à l’heure, un brocard apparaît sur l’horizon orangé et se met à brouter en zigzaguant. Un trèfle ici, deux mûres par là, une feuille de noisetier à gauche, trois pas à droite pour gober un gland… Une heure plus tard, le chevreuil s’assied près d’une aubépine argentée par la pleine lune. C’est alors qu’un miracle se produit dans ses viscères : la rumination, autrement dit la digestion de la cellulose par un laboratoire spécialisé.
Suivons une feuille de cornouiller avalée à la fin du repas. Au bout de l’œsophage, première surprise : non pas un, mais quatre estomacs s’articulent entre les autres organes. Ces chambres roses sont le siège intime de la transformation des matières végétales. Le voyage de la feuille vers la sortie postérieure ne se fait pas à sens unique. Les parties les plus grossières sont régurgitées dans la bouche, patiemment mâchées, puis réexpédiées dans le labyrinthe pour la suite de la digestion. Mais à quoi bon ces reflux et ces viscères compliqués ? Pour tirer le meilleur d’une nourriture répandue mais terriblement peu nutritive : les tissus végétaux.
Ce mode digestif permet aux ruminants d’ingérer rapidement beaucoup de plantes et de les digérer ensuite à l’abri. Pratique comme prévention anti-prédateurs. Mais si le chevreuil rumine comme une vache ou un cerf, il digère moins bien qu’eux les plantes riches en cellulose. Le volume de sa panse et la longueur de son intestin sont proportionnellement les plus petits de tous les ruminants. C’est pourquoi il mange peu et souvent tout en suivant une diète particulière de végétaux tendres et juteux.
Comment bien ruminer
Le chevreuil mange puis rumine entre 7 et 12 fois par jour, ce qui occupe la moitié de son temps. Il se repose les yeux mi-fermés pendant qu’il remâche ses repas et ne dormirait profondément que 1,5 à 4 heures par cycle de 24 heures.
L’ongulé ne coupe pas les feuilles, il les arrache. Ou plutôt il les pince entre les incisives inférieures et une plaque cartilagineuse qui remplace les incisives supérieures. La nourriture avalée s’accumule dans la panse, la première de quatre cavités gastriques.
Le liquide et les parties grossières se séparent. Les morceaux d’herbe et de feuilles sont rassemblés en petites boules qui retournent à la bouche pour être mastiquées.
A l’aide des prémolaires et des molaires, le chevreuil triture finement les végétaux en les arrosant d’un mililitre de salive à la minute. La purée ainsi produite est avalée une nouvelle fois.
Dans la panse et le bonnet, la nourriture écrasée mijote dans la salive où prolifèrent des milliards de bactéries, protozoaires et champignons. Cette flore microbienne est la clé du succès des ruminants. Elle ouvre les chaînes de cellulose qui charpentent les cellules végétales en libérant des nutriments directement absorbables. Chez les autres mammifères, les fibres végétales traversent tout droit le système digestif.
Etage inférieur, chambre no 2 : le bonnet. Dans ce centre de tri, les particules qui dépassent le millimètre sont régurgitées à nouveau. Les plus petites et les micro-organismes continuent leur périple viscéral vers la 3e cavité stomacale.
Dans l’omase ou feuillet, le bouilli végétal est préparé pour la digestion finale. Pour éviter de diluer l’attaque enzymatique qui suivra, 60 à 70 % de l’eau est absorbée par le système sanguin.
Bienvenue dans la caillette, l’estomac proprement dit. Ici, les glandes gastriques sécrètent des jus spécialisés dans l’attaque des protéines et des lipides végétaux. Son travail terminé, la flore microbienne est également digérée par des enzymes spécifiques.
C’est parti pour les mille virages de l’intestin où les nutriments sont assimilés par le système sanguin pour alimenter l’usine métabolique du chevreuil. Le carbone, le phosphore et l’azote absorbés en amont par le travail des micro-organismes sont également récupérés.
Quelques heures plus tard, le chevreuil expulse les restes non digérés des végétaux sous forme de boulettes arrondies d’un côté et pointues de l’autre. Des indices précieux pour repérer sa présence
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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