Le grand bal des vanneaux huppés
Ils ont le talent de redonner vie à la morne plaine hivernale. Bienvenue aux spectaculaires vanneaux huppés.
Ils ont le talent de redonner vie à la morne plaine hivernale. Bienvenue aux spectaculaires vanneaux huppés.
Loin des montagnes majestueuses, des rivages envoûtants et des forêts profondes, les grandes plaines étendent leur monotonie à perte de vue. Bien souvent, leur passé de bocage n’existe plus que sur des cartes postales où les défuntes haies dansaient encore. Alors quand l’hiver arrive, tout en apparence concourt à faire de ces paysages un théâtre d’ennui et de solitude… Plateau suisse, Beauce ou Champagne… la platitude cultivée brouille l’identité des lieux qui finissent par se ressembler.
Et pourtant, il faut faire confiance à la vie. Grâce aux oiseaux et aux autres acteurs du vivant, les labours sombres et disciplinés deviennent le temps d’un instant steppe ou toundra. Ici un cri lointain, là une forme en mouvement, plus loin encore une paire d’oreilles dressées et enfin, à l’horizon, une explosion scintillante de noir et de blanc. Un millier de vanneaux s’envolent pour une danse féerique.
Oiseau des champs
Selon Buffon, naturaliste du XVIIIe siècle, le vanneau huppé tiendrait son nom du van, large panier en osier qui servait à séparer les grains de blé de la paille et de la poussière. Les battements d’ailes de l’oiseau rappelleraient ainsi le son produit par l’action de vanner les céréales. Aujourd’hui, le lien entre le vanneau et l’agriculture est tout autre. L’échassier a colonisé les champs en toute saison pour pallier la disparition des zones humides qu’il occupait à l’origine. La nuée zigzague quelques instants puis se pose. En une fraction de seconde, les oiseaux s’effacent et, par homochromie, la noirceur de leur dos est absorbée par la terre fraîchement retournée. Une légère brume brouille la scène qui se joue au sol, à près de 1 km de distance. Un fourmillement informe est néanmoins perceptible grâce au blanc des joues des vanneaux qui trottent parmi les sillons.
Au prix d’une approche prudente, les choses se précisent. Dans ce paysage totalement ouvert, inutile d’espérer se dissimuler. Tout repose sur la confiance des animaux et leur évaluation du danger. En couple pendant la reproduction, les vanneaux huppés sont très grégaires en migration et en hiver. Cette solidarité est salvatrice aussi bien lors des phases d’alimentation à terre que lors des déplacements en vol. À cette saison, l’association d’individus est aussi un mélange d’espèces. Parmi les échassiers, un œil averti discernera ainsi des étourneaux, des pigeons ou divers petits passereaux comme les pinsons, linottes, verdiers, alouettes ou bruants.
De plus près, le vanneau se révèle totalement. Le soleil bas de décembre frappe le dos du limicole en irisant son plumage. De charbon, ses épaules virent au vert ou au violacé à chaque pas. La tête dressée arbore une élégante huppe aussi longue que le crâne, rappelant les perruches calopsittes. La face blanche soulignée ici et là de traits noirs, une bande pectorale et sa queue bicolore confèrent au vanneau une réelle beauté graphique.
Lorsqu’ils ne se reposent pas la tête entre les ailes, les vanneaux se nourrissent goulûment. La chorégraphie bien huilée consiste à alterner quelques pas de course avec des coups de bec ciblés, ponctués d’étirement du cou pour scruter alentour. Larves, insectes et lombrics subissent les assauts méthodiques du bataillon affamé. Pour gagner quelques mètres plus rapidement et se retrouver sur le front, certains s’envolent. C’est l’occasion d’admirer leurs ailes imposantes dotées d’une large main – nom donné au bout de l’aile. Cette particularité offre une silhouette singulière au vanneau parmi les limicoles. Dans la dynamique du vol, ce zèle anatomique lui permet de superbes acrobaties qui font la réputation de ses parades nuptiales. La comparaison est aisée avec son fidèle compagnon le pluvier doré. Venu de la lointaine toundra, cet autre échassier s’associe à son grand cousin au fur et à mesure de sa migration vers le sud-ouest de l’Europe. Sa petite taille et son plumage hivernal plus terne le dissimulent au sol.
En vol, sa silhouette clairement plus aiguisée et ses ailes plus courtes et pointues confèrent au pluvier une vitesse plus importante.
À la manière d’une steppe, la grande plaine dépourvue d’arbres et de haies est investie par la vie. Ici, la sécurité c’est la visibilité. Oreilles dressées et narines au courant d’air, le lièvre vigilant s’en accommode. Certaines castes de chevreuils aventureux, telles des antilopes, préfèrent même ces grands espaces aux sous-bois. Le prix à payer, c’est le vent froid venu du nord. Pour ceux du genre solitaire, chaque microrelief compte pour s’abriter. Pour les sociables, la stratégie gagnante est de coller son voisin. À ce jeu, le vanneau est roi, chacun jouant la motte pour l’autre.
Au gré des saisons
En Suisse comme en France, les observations de vanneaux huppés sont le fruit d’un brassage complexe. Entre errance estivale, migration au long cours – de l’Europe du Nord-Est vers l’Espagne par exemple –, migration partielle en réaction aux vagues de froid et stationnements hivernaux durables, les bandes de vanneaux sont visibles presque toute l’année. Mais c’est entre octobre et mars qu’ils sont les plus nombreux. Au pays de l’horizontal, le danger peut néanmoins venir du ciel. Que ce soit le bolide faucon émerillon pour l’alouette imprudente, le busard opiniâtre pour le campagnol égaré ou encore le missile pèlerin pour les pigeons dodus… Une attaque de faucon sur un essaim de vanneaux est un show extraordinaire. La danse de survie opérée par le collectif est sublimée par le clignotement bicolore des ailes et les virevoltes synchronisées, passant en un éclair de chutes tourbillonnantes à des ascensions en feux d’artifice. L’exubérance de cet oiseau se traduit alors dans une autre dimension, celle des vocalises grinçantes ou électroniques, couinant souvent à la manière d’un jouet pour enfant.
Que seraient les plaines en hiver, sans les spectacles de son et lumière offerts par les vanneaux ?
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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