Le lac aux oiseaux
A l’heure où tous les oiseaux sont gris, Alessandro Staehli se mouille pour les photographier entre ombres et lumières urbaines. Voici un avant-goût de son livre.
A l’heure où tous les oiseaux sont gris, Alessandro Staehli se mouille pour les photographier entre ombres et lumières urbaines. Voici un avant-goût de son livre.
Chaque soir, c’est la même histoire. Le soleil part se coucher derrière les crêtes du Jura et m’abandonne, les pieds dans l’eau, avec un sentiment d’inachevé. Mais si les jours d’automne se raccourcissent, la nuit n’est jamais noire sur les rives du lac de Neuchâtel. Elle invite à jouer les prolongations… Au lieu d’amarrer le radeau que j’utilise pour photographier les oiseaux aquatiques et de rentrer au bercail, je décide de rester.
Entre chien et loup, plusieurs lunes, des soleils et d’autres astres artificiels se lèvent timidement à l’horizon. Ce sont les réverbères du port du village voisin, l’enseigne de la gare ferroviaire, l’éclairage de la piscine, les luminaires des habitations ou encore les projecteurs du stade de foot. « Alleeeeeez Xamax alleeez ! » Les encouragements des supporters de l’équipe locale courent jusqu’à mes oreilles et celles des foulques, des cormorans… auditeurs malgré eux de ce match. Qui va gagner ? Personne ne le sait.
Indifférents à cette ambiance foraine, les oiseaux naviguent comme des jouets mécaniques sur un fond de Luna Park. Je les suis dans le viseur en redoublant d’efforts pour garder la netteté. Avec la complicité de l’appareil photo poussé aux limites de sa sensibilité, je fige ces oiseaux ordinaires dans des cathédrales de lumière éphémères. Ils ne sont plus que silhouettes élémentaires, dentelles chantournées au scalpel aux contrastes crus et tranchants.
Le lendemain, je retourne à mon manège d’ombres et de lumières. Puis le surlendemain, encore et encore. Je me mets à flot en fin d’après-midi, quand les derniers bateaux regagnent le port, et je vogue avec mon esquif à la lisière de la nuit en quête de nouvelles émotions à fleur d’eau.
Le 20 janvier, lorsque je quitte le rivage à bord de mon radeau chargé d’espoir, une statue m’observe, sévère, depuis son piédestal. C’est un héron cendré posé sur un bloc erratique qui affleure le lac. Conscient de la vue perçante de cet échassier et de sa méfiance – je le connais, je l’ai photographié tant de fois sur ce même rocher –, je fais tactiquement voile dans la direction opposée. Le but de mon détour ? Approcher l’oiseau par l’autre côté en me glissant derrière un rideau de roseaux.
Il fait déjà très sombre au cœur de la végétation. Je me perds à deux reprises avant de rejoindre l’endroit souhaité. Je devine enfin la silhouette de l’oiseau à une cinquantaine de mètres… Touc ! Mon radeau tape contre la mini-banquise qui fige les roseaux. Tel un brise-glace dans la nuit boréale, avec le reflet des lampadaires au lieu des aurores, je pousse mon affût en faisant craquer la fine couche de glace pour me frayer un passage vers le héron. Je m’arrête avant de l’apeurer, puis, ensemble, nous assistons au réveil des lueurs multicolores du littoral.
Tente flottante
Pour photographier grèbes, harles et cie avec un point de vue très bas sur l’eau, Alessandro Staehli a construit un affût flottant : un radeau constitué d’un plateau en bois en forme de U, muni de flotteurs et portant des arceaux supportant un tissu de camouflage. Equipé d’une attache, le plancher permet de fixer le matériel. Le photographe enfile une combinaison de plongée étanche, voire une épaisse sous-combinaison en laine, trois couches de collants et jusqu’à quatre paires de chaussettes en janvier dans un lac à 5 °C. En marchant sur le fond et en poussant le radeau, il se déplace pour tirer le portrait des oiseaux d’eau. Une démarche originale et spectaculaire à condition de respecter quelques règles : éviter au maximum de déranger son sujet et ne jamais perdre pied au risque de partir à la dérive, la tente de l’affût faisant office de voile.
Le lac aux oiseaux
Un photographe inspiré, un radeau camouflé et d’innombrables comédiens à plumes : telle est la trame de ce beau livre signé Alessandro Staehli. Un ouvrage à commander ici.
En vidéo, le making-of du livre.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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