© Sylvain Leparoux

Le lever précoce de la reine à fourrure

Que fait donc cet insecte bourdonnant à zigzaguer dans le sous-bois ? Récit des premières péripéties d’une monarque bourdon.

Que fait donc cet insecte bourdonnant à zigzaguer dans le sous-bois ? Récit des premières péripéties d’une monarque bourdon.

Sous une racine de hêtre, dans une loge sombre au parfum de terre et de mousse, une reine de bourdon s’éveille. Ses antennes frémissent, son thorax frissonne et sa respiration s’intensifie. C’est l’heure. Sa léthargie souterraine a duré plusieurs mois, mais tout son corps résonne à l’appel du printemps : il lui faut regagner l’air libre. Dans le noir complet, elle s’aide de ses mandibules et de ses griffes pour remonter laborieusement jusqu’à la surface. Couvert de poussière, l’insecte se dégage de l’humus pour se hisser sur une feuille morte.

La lumière de février l’accueille enfin. Mais… elle est complètement sale et décoiffée. La grande dame s’affaire alors à sa toilette, brossant son poil de ses pattes pour faire réapparaître les belles bandes jaunes sur son manteau noir. En même temps, elle fait vibrer les muscles de son thorax pour augmenter la chaleur de son corps. Nettoyée et réchauffée, notre reine de bourdon terrestre s’envole dans l’air printanier.

© Sylvain Leparoux

Au bord du sentier, des taches de couleur égaient le sous-bois depuis plusieurs jours. Anémones, violettes, primevères et ficaires profitent de l’absence de feuilles sur les arbres pour accumuler l’énergie solaire et produire du nectar. Notre bourdonneuse, qui zigzague d’un vol lourd entre les fleurs, se voit tout d’un coup dépassée par un petit bolide nerveux. Rousse et noire, aux longues antennes, cette petite abeille se pose un peu plus loin en évidence sur le sol, observant les alentours avec intérêt. C’est un mâle d’andrène bicolore qui attend l’arrivée des femelles. Celles-ci sont moins précoces que lui et il doit donc faire preuve de patience.

Peu intéressée, la reine de bourdon s’est déjà envolée vers la lisière du bois et tourne autour d’un prunellier. L’odeur des fleurs est enivrante. Elle tente de se poser sur un rameau, mais les petites fleurs blanches s’effritent et tombent comme des flocons de neige. ­Malheur… sa corpulence n’est pas des plus pratiques ! À sa gauche, une osmie cornue virevolte avec aisance et s’attribue tout le nectar. Quelle ingrate ! Notre reine détecte alors un autre parfum végétal dans le voisinage, encore plus attirant. C’est celui d’un saule marsault mâle, qui étale toute la splendeur de ses nombreux chatons dorés.

D’autres reines de bourdons se sont déjà ruées sur le festin, accumulant le pollen et le nectar sous forme de pelote collante sur leurs tibias arrière. Le bourdon des pierres, au poil noir et rouge, et le bourdon des arbres, brun et blanc, ne savent plus où donner de la tête tant le pollen est abondant ! Notre bourdonne est toutefois plus sage et ne se régale que de nectar.
Elle n’a pas encore trouvé l’endroit où faire son nid et n’a donc pas besoin de récolter les paillettes dorées du saule.

Le ventre plein, ­débordante d’énergie, la jeune reine longe alors la haie pour trouver une résidence digne de sa dynastie . Mais où donc ? Derrière ce tronc ? Non. Autour de la barrière ? Pas vraiment. Au pied du noisetier ? Plutôt pas. Bzzz, peut-être ici ? En explorant les feuilles mortes entre les ficaires, elle tombe sur une entrée secrète faite de paille, de brindilles et de mousse. Aucun doute, vu l’odeur, c’est l’entrée d’un nid de bourdons des champs.

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© Sylvain Leparoux

La reine au manteau roux est d’ailleurs en train de danser sur les fleurs de lamier pourpre à proximité. Sa longue langue est parfaitement adaptée pour dévaliser la corolle de tout son nectar.
La recherche continue. Derrière le petit rocher ? Non. Peut-être dans ce talus ? Oui ! Dissimulé par un monticule de terre, un petit trou pénètre dans le sol. C’est une galerie de campagnol. La jeune reine se met aussitôt à l’explorer, abandonnant le soleil printanier pour s’enfoncer dans l’obscurité. Marcher dans les ténèbres ne lui fait pas peur. Après tout, elle possède une arme redoutable : un dard épais et venimeux qui saura faire dissuasion si un petit mammifère ou même une autre reine de bourdon a l’audace de pointer le bout de ses antennes. Mais il n’y a rien. Elle débouche même sur une petite chambre coquette préalablement utilisée par le rongeur. C’est décidé, ce sera son palais !

En faisant l’état des lieux, elle constate le travail qu’il lui reste à accomplir. Construire les premiers pots en cire pour stocker le nectar, élaborer les cellules du couvain et les approvisionner en pollen. Les œufs qu’elle y pondra deviendront la première génération d’ouvrières qui la secondera dans l’entretien de la colonie. Avec un peu de chance, le talus verra voler au moins une centaine d’entre elles cet été, ainsi que des mâles et de jeunes reines vers la fin de la saison. Ces dernières, une fois fécondées, passeront également l’hiver dans le sous-bois en portant en elles la promesse d’un nouveau printemps riche en bourdonnements royaux.

© Sylvain Leparoux

4 faits à connaître

Abeille à fourrure

À l’inverse des autres abeilles, très dépendantes de la température environnante, les bourdons sont capables de produire leur propre chaleur corporelle. Ils stimulent les muscles de leurs ailes, ce qui crée énergie et chaleur. Plus le bourdon est grand, plus il frissonne et peut atteindre rapidement les 30 °C nécessaires au vol. Quand le corps est aussi couvert de poils, l’isolation est presque parfaite ! Pratique pour voler
à des températures de moins de 10 °C.

Plutôt salé ou sucré ?

Chez les abeilles, le sucré est pour les parents et le salé, pour les enfants ! En effet, le pollen est constitué de protéines, de graisses et de sels minéraux indispensables à la croissance des larves. Le nectar est quant à lui composé d’hydrates de carbone, c’est-à-dire de sucres. Ceux-ci se digèrent rapidement et fournissent notamment l’énergie pour le vol.

Au poil !

Cul-blanc ou cul-rouge, c’est ainsi qu’on nomme les différentes couleurs des bourdons dans le jargon des hyménoptéristes. Au printemps, les culs-blancs désignent par exemple le bourdon terrestre et le bourdon des arbres. Les culs-rouges sont plutôt représentés par le bourdon des prés et le bourdon des pierres. Avec une quarantaine d’espèces, en Suisse comme en France, les bourdons sont les abeilles les plus colorées d’Europe.

Cache-cache du coucou

Les bourdons ont tout intérêt à cacher l’entrée de leur nid contre les indésirables et en particulier pour échapper à une femelle de bourdon parasite. Celle-ci chasse ou tue la reine d’une colonie de bourdons hôte et prend sa place. Les ouvrières travaillent ensuite pour elle et seuls ses propres descendants survivent. Ce mode de vie a valu à ces insectes le nom de bourdons-coucous, en référence à la biologie de l’oiseau éponyme.

Pour aller plus loin...

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Couverture de La Salamandre n°286

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 286  Février - Mars 2025, article initialement paru sous le titre "Le lever de la reine"
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