Le lièvre invisible (épisode 6)

7 décembre 2013, voilà une date que je ne vais pas oublier. Je pars alors qu’il fait encore nuit. Au bout de deux heures de montée à ski, je rejoins un vaste plateau à plus de 2000 m d’altitude. Je porte mon appareil photo en bandoulière, avec un objectif grand-angle pour immortaliser le paysage matinal. La neige, croûtée et gelée, crisse sous mes peaux. Impensable de passer inaperçu… Tout à coup, un lièvre variable surgit de derrière un rocher ! Face-à-face, surprise mutuelle. Il fait quelques mètres, s’arrête. Je me fige. Avec mon 24 mm sur le boîtier et mon téléobjectif au fond du sac, je suis bien emprunté. On reste là tous les deux plusieurs minutes sans bouger, à quelques mètres l’un de l’autre. Je prends quelques photos, pour le souvenir, tout en me disant qu’il va déguerpir. Mais non, il retourne simplement dans son abri rocheux et se soustrait à ma vue. J’en profite pour sortir mon 500 mm, puis je fais une grande boucle pour contourner le gîte, en tâchant de me faire le plus discret possible. Cette fois, nous sommes tous les deux bien conscients de la présence de l’autre.

Tête-à-tête d'exception

Il est bien là, contre le pied du rocher. Photo après photo, je m’approche. Quarante minutes plus tard, je suis assis devant lui, à moins de cinq mètres. Il ne montre aucun signe de nervosité. Au bout d’une heure de tête-à-tête, il commence à s’étirer, à bâiller. Toutes les heures, il fait sa petite gymnastique, avant de se figer à nouveau. Comme si je n’existais pas, je peux me déplacer, changer d’angle.
Ce rendez-vous de rêve durera du début de la matinée jusqu’au coucher de soleil. J’en profite en savourant chaque petite miette, conscient de ne pas être près de revoir un tel spectacle. Seul bémol, la batterie de mon appareil photo se décharge à vue d’œil, surtout une fois le soleil disparu et le froid se faisant plus vif. Après 2800 images, je suis obligé de sortir l’accu du reflex et de le glisser sous mes vêtements pour le réchauffer en espérant prolonger ce moment unique. Le jour tombe et la lumière crépusculaire s’estompe petit à petit. Le lièvre part se nourrir, à la faveur de la nuit protectrice. Il s’éloigne de son rocher, sur une neige immaculée, blanc sur blanc. Quelle vision irréelle ! Je déclenche mes dernières photos, sans savoir que l’une d’entre elles illustrera la couverture du livre Le lièvre invisible.

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