© Alessandro Staehli

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Martinet, l’oiseau qui ne s’arrête jamais

Le martinet à ventre blanc, de la montagne à la ville

Habitué des massifs rocheux, le martinet à ventre blanc s’installe de plus en plus souvent en ville. Enquête avec une employée de banque qui se passionne pour son expansion à Saint-Etienne.

Habitué des massifs rocheux, le martinet à ventre blanc s’installe de plus en plus souvent en ville. Enquête avec une employée de banque qui se passionne pour son expansion à Saint-Etienne.

Maryse Hermelin passionnées du martinet à ventre blanc
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Vendredi 4 septembre 2020, soleil de plomb sur le chef-lieu de la Loire. « Bienvenue à Sainté ! », s’écrie cordialement Maryse Hermelin à l’ombre des immeubles qui jouxtent la rue Lavoisier, à deux pas du centre. Hélas, le sourire rayonnant de cette banquière et ornithologue disparaît aussitôt derrière un masque, Covid oblige. Je fais de même et c’est parti pour chercher les citoyens les plus perchés de la capitale française du design.

Mode helvétique ?

D’origine rupestre, le martinet à ventre blanc ou martinet alpin habite les parois rocheuses à climat chaud telles les gorges, falaises littorales et parois abritées des Alpes-Maritimes, du Massif central ou du Jura. Si dans l’Hexagone les premières populations urbaines sont récentes, en Suisse il nichait déjà en ville de Berne en 1768. Actuellement, 80 % des couples helvétiques occupent des constructions humaines.

Trappeuse urbaine

Rue Balay, 14 h. Emerveillé par les rangées de hauts bâtiments de cette ancienne ville minière, je scrute à la fois les sous-toits et le ciel à la recherche du plus imposant des martinets. A ma grande surprise, Maryse avance les yeux collés au sol. « Pour les trouver, il faut repérer leurs fientes par terre », m’explique cette férue d’oiseaux, qui a collaboré à l’Atlas des oiseaux nicheurs de France et est maintenant la recenseuse attitrée des colonies de martinets à ventre blanc (MVB) de Saint-Etienne.

Sa ville, c’est 175 000 habitants et 80 km2. Pour carto­graphier les nids, cette Stéphanoise commence par analyser des photos aériennes. « Les vieilles constructions, riches en cavités appréciées par ces oiseaux, ont des toitures rouges composées de tuiles. » Vient ensuite un repérage in situ : crottes au sol, coulures de fientes sur les murs et éventuellement plumes. « Je me sens un peu comme une trappeuse. Mais, au lieu d’empreintes dans la neige ou la boue, je traque mes indices sur les pavés et les trottoirs. » Une prospection en début de matinée ou le soir, quand les oiseaux sont les plus actifs, permet de vérifier l’occupation des lieux. Les pires ennemis de Maryse ? Le cantonnier et l’orage. Le premier efface espoirs et histoires d’un coup de balai, le second le fait d’une averse.

Au croisement avec la rue du Moulin-Bréas, un oisillon par terre attire notre attention. Je retourne délicatement le cadavre avec mon pied. « Un poussin de martinet à ventre blanc… Il est probablement tombé du nid ! », déduit Maryse Hermelin, en indiquant le toit 15 m plus haut. La localisation de cette nichée particulièrement tardive vient immédiatement se rajouter à la carte des MVB stéphanois.

Plumes de martinet à ventre blanc
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Indice d’envergure

Le martinet à ventre blanc renouvelle les plumes de ses ailes en été, avant de partir pour ses quartiers d’hiver. La découverte de rémiges par terre révèle souvent la présence d’un nid. Aucun risque de les confondre avec celles du martinet noir qui mue en Afrique, pendant l’hivernage.

Face à son bureau

29 °C, la ville transpire. Pas un seul martinet dans le ciel, peu de passants dans les rues. Nous faisons une halte sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Derrière nous, au premier étage, les fenêtres de la banque où elle travaille. En face, un immeuble imposant en pierre grise. Malgré ses lunettes de soleil et son masque, je devine qu’elle sourit. « C’est la citadelle des martinets », annonce-t-elle enjouée. Depuis son bureau, elle a compté 28 nids de martinet à ventre blanc et plus d’une vingtaine de nids de martinet noir sous le rebord du toit. C’est en voyant se développer cette colonie remarquable qu’en 2019 elle s’est lancé le défi de recenser ces oiseaux dans tout Saint-Etienne.

Martinet à ventre blanc, un oiseau passé de la montagne à la ville
© Alessandro Staehli

Déferlement alpin

Le martinet à ventre blanc progresse de plus en plus vers le nord. A ce jour, il a atteint le sud de l’Allemagne avec plus de 350 couples majoritairement urbains. Et ça continue ! Cette vague de colonisation s’expliquerait par les efforts de protection mais aussi par les changements climatiques. Plus sensibles au mauvais temps que les poussins des martinets noirs, les nichées de Tachymarptis melba ont une meilleure réussite lorsque le mois de juin est chaud et sec.

Falaises artificielles

Ces derniers quarante ans, la nidification urbaine du martinet à ventre blanc a connu un bel essor en France. A partir des massifs rocheux méridionaux, l’oiseau a progressivement colonisé les bâtiments vers le nord. En Lozère, il a niché sur la cathédrale de Mende en 1978, en Ardèche à Lamastre en 1979 et à Lyon en 1991. « A Sainté, il s’est installé en 1989, rappelle Maryse Hermelin. En 2004, on dénombrait une cinquantaine de couples. » Mais personne n’a suivi de près son expansion dans la ville ligérienne.

Frappée par les rondes de plus en plus bruyantes de ces oiseaux, Maryse s’est retroussé les manches et a décidé de passer Saint-Etienne au peigne fin. « L’an dernier, j’ai répertorié 119 nids dans le centre-ville. » En 2020, malgré la pandémie, elle a élargi le périmètre prospecté. Le résultat est impressionnant : « Près de 400 nidifications probables, mais je n’ai pas encore exploré tous les immeubles intéressants ! » Voilà dépassé l’effectif de la métropole lyonnaise grâce au travail de fourmi d’une bénévole passionnée !

Martinet à ventre blanc, un oiseau passé de la montagne à la ville
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Recenser, puis sensibiliser

En visitant la ville le nez en l’air, je me rends compte que ces oiseaux nichent un peu partout où il subsiste des orifices oubliés par les hommes. Il suffit d’un lambris décollé ou d’une fente sous un rebord. « Une cavité suffisamment grande peut même accueillir plusieurs nids côte à côte. Les martinets utilisent alors le même trou d’accès », note Maryse avec les yeux qui brillent.
L’inventaire de cette ornithologue n’est sans doute que le début d’un long parcours du combattant pour préserver le martinet à ventre blanc. « Sans une prise de conscience de la population et des autorités, la démolition des anciennes bâtisses ou leur rénovation pourrait rapidement provoquer le déclin de ces oiseaux », s’inquiète Maryse.

Epaulée par la Ligue pour la protection des oiseaux de la Loire, elle aimerait mener une action de sensibilisation auprès de la mairie. Car si les martinets sont protégés par la loi, ils ne font pourtant pas la joie de tous. Leurs fientes salissent les murs et le sol à l’aplomb des nids, sans oublier leurs crécelles rieuses qui retentissent jusqu’au cœur de la nuit. On peut espérer de cette ville à la pointe du design qu’elle développe des solutions de cohabitation innovantes. Pourquoi pas avec des nichoirs ultra-esthétiques intégrés aux nouveaux bâtiments du centre utilisés uniquement la journée comme bureaux ?

Enfin les voilà !

Sur la place Jean-Jaurès baignée par la lumière orangée du couchant, c’est l’happy hour. Dans un brouhaha généralisé, les Stéphanois prennent l’apéro et des bandes de gamins s’amusent autour du kiosque à musique. Je m’éloigne vers la montée du Crêt-de-Roc. Rires d’enfants. Rires de martinets à ventre blanc ! Comme s’ils venaient me saluer, ces voiliers extraordinaires apparaissent enfin dans le ciel de Sainté. Il y en a au moins 150 ! Mais ce spectacle crépusculaire de vols vibrés, de poursuites vertigineuses et de cris hennissants est de courte durée. La nuit tombe et les courses des martinets se confondent avec celles des chauves-souris. Il est temps de rentrer.

Lofts ombragés

Les martinets à ventre blanc stéphanois privilégient la façade est, ombragée pendant les chaudes après-midi, des grands immeubles d’au moins trois étages. Au n° 6 de la place de l’Hôtel-de-Ville, une trentaine de couples nichent à l’intersection entre le mur et le toit.

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Martinet, l’oiseau qui ne s’arrête jamais

Couverture de La Salamandre n°263

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 263  Avril - Mai 2021, article initialement paru sous le titre "Un géant dans la ville"
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