© Christophe Goussard

L’élan des bêtes

Enfant déjà, Dominique Rautureau aimait les couteaux, ceux qui taillent bien le bois. Itinéraire d’un sculpteur patient comme un guetteur.

Enfant déjà, Dominique Rautureau aimait les couteaux, ceux qui taillent bien le bois. Itinéraire d’un sculpteur patient comme un guetteur.

Quand il observe les échasses, les chevaliers ou les busards des marais de Vendée, Dominique Rautureau ne prend aucun croquis. « J’ai essayé mais je suis trop lent ! Peut-être est-ce pour cela que je suis arrivé à la sculpture, une approche qui naît d’une longue imprégnation. » Plutôt que de dessiner à tout va, l’artiste préfère considérer l’animal dans sa globalité, ses muscles, ses volumes. L’important n’est pas le détail, mais l’impression globale qu’il s’efforce d’affiner avec ses études, des modèles en terre ou en pâte à modeler.
Observer d’abord, esquisser en trois dimensions ensuite. Puis vient le bois, une matière difficile, qui impose souvent des surprises, qui force à trouver la forme juste. Un bois qu’il fait bon toucher quand, d’une pièce de buis ou de fusain, l’artiste a créé une hermine, un vanneau ou une salamandre.

Du bois tous les jours

C’est à la ferme où il a passé son enfance que Dominique Rautureau a développé un contact presque quotidien avec son matériau de prédilection. En tout temps, il fallait préparer du bois de feu, réparer une échelle, fabriquer des outils. « J’ai toujours adoré créer. Je faisais de la sculpture sans le savoir. A l’atelier, mon outil préféré était le couteau. » Et la forêt toute proche représentait un laboratoire de rêve pour expérimenter les textures et les odeurs, du buis à l’aubépine, du sorbier au chêne. Et aussi pour observer les bêtes avec ses premières jumelles.
Mais comment, de cette passion naissante, faire un métier ? A 17 ans, Dominique Rautureau n’y pense même pas. Il entre dans une école de technicien forestier, mais la formation le déçoit. Rentabilité et clonage sont loin de sa vision des choses. Puis il passe six mois en Bretagne, à bûcheronner dans des chablis dévastés par la tempête de 1987. « Plusieurs fois, j’ai frôlé l’accident. La nature, c’est la beauté, mais aussi parfois le danger. C’était dur et dangereux. Il pleuvait tout le temps. Jamais plus ! »

Des loutres remarquées

En 1990, c’est la révélation. Le jeune homme travaille deux ans comme objecteur de conscience pour l’Association de défense de l’environnement en Vendée. Le voici nommé « technicien-animateur » d’une réserve naturelle ! Un technicien qui se régale à aménager observatoires en planches et cheminements sur pilotis. Et un animateur qui s’improvise guide naturaliste. « Au début, cette deuxième facette de mon travail me faisait peur. Puis j’y ai pris goût, à tel point que j’ai finalement travaillé pendant dix ans pour la réserve naturelle de St-Denis-du-Payré. » En parallèle, le jeune salarié commence à exposer ses premières loutres et ses premières chouettes de bois. Au Festival international du film ornithologique de Ménigoute, dans les Deux-Sèvres, il rencontre d’autres artistes qui l’encouragent. En 2000, c’est décidé : il tire un trait sur son statut de salarié pour se lancer à fond dans la sculpture. Son premier mandat lui permet de réaliser des sculptures pour la muséographie de la Maison de la réserve dans laquelle il travaillait. Ses pièces y deviennent outils pédagogiques, heureuse alternative aux animaux empaillés ou aux moulages de résine, synthèse spectaculaire entre sa maîtrise du bois et son goût désormais affirmé pour la sensibilisation du public.

La sterne et le cloporte

Un jour, un autre musée lui commande des sternes en plein vol. Le fuselage d’ailes aussi fines paraît impossible à réaliser, et pourtant Dominique Rautureau relève le défi. Et saura désormais faire voler ailleurs d’autres oiseaux, hibou des marais ou chouette effraie.
Actuellement, Dominique Rautureau relève un autre défi inédit. La Maison de la Forêt du Gâvre en Loire-Atlantique lui a commandé un module sur la faune du sol. Et le voilà qui doit s’approprier pour les sculpter cloporte, lombric ou gloméris. Un somptueux bestiaire en perspective.

Dominique Rautureau

Dominique Rautureau

  • 1968 : Naissance à Cholet dans le Maine-et-Loire. Enfance à la ferme à Réaumur (Vendée).
  • 1983 : Ecole de technicien forestier en Corrèze.
  • 1990 : Objecteur de conscience durant deux ans, puis salarié à la réserve naturelle de St-Denis-du-Payré.
  • 2001 : Se lance comme professionnel dans la sculpture. Première muséographie.
  • 2002 : Première exposition au salon des artistes à Ménigoute.
  • 2008 : Résidence d’artistes en marais breton vendéen et à Noirmoutier.

5 questions à Dominique Rautureau

Si vous étiez une odeur ? Sous l’écorce du buis, une fine pellicule orangée dégage une odeur sucrée. J’aime déguster ce cadeau. Un lieu ? Je suis un voyageur immobile. S’il fallait choisir un seul endroit, ce serait le petit bois tout près de la ferme qui m’a conduit à la découverte de mes émotions et de la nature. Une musique ? Parfois je sculpte en musique. J’aime les sonorités mélancoliques comme dans la musique du film « Talons Aiguilles » d’Almodovar.

Une saison ? Le printemps ! Pour l’énergie qui revient, les petites feuilles qui naissent et les fleurs des arbres qui éclosent.

Un plat de cuisine ? Une mousse au chocolat.

Cormier ou sorbier domestique / © Marcel Papin - sepenef

Exotique ? Jamais. Du cormier ? Toujours !

Jamais Dominique Rautureau ne travaillera de bois exotique ! Pour des raisons éthiques évidentes, mais aussi « parce que ces bois me sont étrangers. Ils ne m’intéressent pas. » Pour lui, sculpter un animal profondément intériorisé dans une matière inconnue ne ferait pas sens. Une belle pièce jaune clair de fusain l’attire parce qu’il sait où cet arbuste a poussé et qu’il connaît ses fleurs, ses feuilles, ses fruits. Son essence préférée ? Le cormier, un bois rare et magnifique. « C’est chaque fois une heureuse surprise quand j’en vois un dans le bocage. » C’est un bois lourd et dur qui pousse très lentement. Autrefois, le cormier était très utilisé pour sa résistance remarquable à l’usure. On en faisait des semelles de rabot ou des pièces de moulin à vent.

Couverture de La Salamandre n°199

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 199  Août - Septembre 2010
Catégorie

Écologie

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