Rome, paradis du faucon pèlerin
Ces quinze dernières années, le faucon pèlerin est venu nicher au cœur de nos villes, comme ici à Rome. Reportage hivernal sur les traces du rapace avec le peintre animalier Federico Gemma.
Ces quinze dernières années, le faucon pèlerin est venu nicher au cœur de nos villes, comme ici à Rome. Reportage hivernal sur les traces du rapace avec le peintre animalier Federico Gemma.
« Bienvenue chez Aria et Vento, le couple de pellegrini le plus célèbre du web ! » s’exclame Giacomo Dell'Omo. Chemise bleue à carreaux, pince à la main, le responsable du suivi des faucons pèlerins de Rome se glisse sans hésiter sous la rambarde. A moitié dans le vide, le scientifique se penche sur une caisse en bois accrochée à la façade : le nichoir occupé depuis 12 ans par les deux rapaces. « C'est ici que le pèlerin est revenu nicher en ville pour la première fois en 2004, 30 ans après sa disparition de la capitale… » explique le spécialiste. Ici, c'est le toit de la faculté d'Economie de la Sapienza, au centre de la cité universitaire romaine. En hiver, les pèlerins évitent ce quartier très bruyant pendant la semaine. « Ils viennent plutôt se percher sur l'Université le samedi et le dimanche... Hors nidification, Aria et Vento sont nos faucons du weekend ! »
Un ossuaire d'étourneaux
Le spécialiste branche pas moins de trois caméras à l'intérieur du nichoir. Avec la fin de l'hiver, le couple viendra de plus en plus souvent visiter son nid. Toujours en posture acrobatique, l'Italien a la voix étranglée par l'effort : « Aria et Vento sont les premiers pèlerins suivis par webcam en Europe. Une trentaine de leurs descendants se sont déjà envolés depuis ici.» Aujourd'hui, une dizaine de couples de faucons pèlerins nichent dans la capitale italienne. « Grâce à l'abondance de perchoirs artificiels et surtout de proies, Rome est devenue une ville de pèlerins... aussi du point de vue ornithologique ! » se réjouit Giacomo Dell'Omo. En effet, on retrouve des restes de ses repas un peu partout sur les bâtiments élevés de la ville.
Soudain, une tête souriante surgit de derrière la cheminée. Federico Gemma est justement agenouillé devant des crânes d'étourneaux : un vrai bonheur pour un peintre-zoologue. Concentré, l'artiste dessine les morceaux de proies d'Aria et de Vento. L'étourneau sansonnet est une cible classique des pèlerins romains, comme le confirme Giacomo Dell'Omo : « Surtout en hiver, lorsque ces passereaux forment de gigantesques dortoirs communautaires. » Ceux de Rome, établis cet hiver au cimetière du Verano, seraient parmi les plus grands d'Europe. « Mamma mia ! » sursaute Federico Gemma. Un monstrueux nuage d'oiseaux se profile à l'horizon. Vite, au Verano, le cimetière va se réveiller !
Pluie noire sur le cimetière
Le Verano, c'est 83 hectares de tombes, de sarcophages, de mausolées, de chapelles... A 16 h 15, alors que les derniers visiteurs partent, de premiers groupes d'étourneaux survolent les lieux. « Ils affluent ici depuis les campagnes environnant Rome. Ils seront un million dans une heure. » Mais Aria et Vento, où sont-ils ? La table est pourtant mise...
Les ombres des pierres tombales s'allongent sur les boulevards déserts de la nécropole. Par moments, le ciel bleu et orange s'obscurcit, saturé par des vagues gigantesques d'oiseaux. Comme aspirés par les cyprès et les pins parasols, les sansonnets tournoient bruyamment puis plongent en une cascade noire sur le cimetière. En scrutant l'horizon avec ses jumelles, Federico détecte enfin deux faucons en chasse : « I pellegrini! » Peut-être Aria et Vento ? Ou d'autres car le dortoir attire chaque soir plusieurs faucons pèlerins en séjour hivernal dans la capitale.
« Regarde, ils attaquent par la technique du chien de berger ! » observe Giacomo Dell'Omo. Par une succession de faux piqués, les rapaces essayent en vain d'isoler une proie en bordure du vol d'étourneaux qui répond par des évolutions prodigieuses.
Tombes profanées
16 h 55. Des centaines de milliers de volatiles bruyants animent la cité des morts comme dans un film de Hitchcock. Un pinson paniqué vole au ras des tombes sans savoir où se mettre. Arrivés au cœur du dortoir, Giacomo Dell'Omo et Federico Gemma ferment leurs carnets et rabaissent leur capuchon sous une pluie de fientes. Tic... Tac-tac-te-tic... Qu'est-ce que ce cliquetis irrégulier ? Des pignons ? « Non, des noyaux d'olives» , répond le peintre naturaliste. « Les olives sont une nourriture importante pour les étourneaux en hiver. Ils les avalent au sol, dans les campagnes romaines, et régurgitent leurs noyaux au dortoir. » La puanteur des fientes devient insupportable. Certains tombeaux sont ensevelis sous une couche de guano et de noyaux de plus de 10 cm d'épaisseur. La ville lutte depuis des années contre les storni, jusqu'à présent sans succès. Les tentatives d'effarouchement n'ont fait que déplacer les dortoirs d'un quartier à l'autre.
Dernier repas à la chapelle
17 h 20 la nuit tombe. Trois chats errants se disputent en miaulant le cadavre d'un étourneau victime d'une collision. Le cimetière va bientôt fermer pour la nuit, mais un nouveau visiteur jaillit du ciel comme une bombe. L'ombre foudroyante zigzague largement entre les cèdres... Beaucoup trop vite pour une buse ou une hulotte. Panique générale chez les sansonnets. Le rapace ressort 50 m plus loin en battant furieusement des ailes, un étourneau entre les serres. Dos ardoise comme la nuit qui vient, silhouette anguleuse... Le faucon pèlerin se pose sur une chapelle mortuaire et commence à plumer sa victime. « Il l'a capturée comme l'aurait fait un épervier», s'étonne Federico Gemma.
Le faucon arrache brutalement les plumes de sa proie encore vivante, qui se débat désespérément. L'artiste dessine dans la pénombre cette scène à la fois belle et macabre. La mort de cet étourneau, c'est la paix pour tous les autres. Au moins pour ce soir...
Vacances d'hiver
En dehors de la période de reproduction, le faucon pèlerin est peu territorial. Mâle et femelle quittent souvent leur falaise pour hiverner ensemble ou séparément dans des plaines agricoles, au bord des lacs ou également en ville. En milieu urbain, le froid est moins vif, les proies abondantes et la concurrence avec d’autres prédateurs très faible. A Rome, les rassemblements d'étourneaux constituent une offre alimentaire exceptionnelle. Pèlerins locaux et hivernants chassent parfois ensemble dans le même nuage d'oiseaux.
Découvrez les coulisses de cet article et les nuées d'étourneaux en vidéo !
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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