Les douze faces de la noix
Pourvoyeur de friandises divines ou sinistre empoisonneur, bête de somme ou atout pour l’avenir, le noyer présente de multiples visages. Portrait.
Pourvoyeur de friandises divines ou sinistre empoisonneur, bête de somme ou atout pour l’avenir, le noyer présente de multiples visages. Portrait.
La poussière du chemin de campagne s’envole en volutes sèches derrière mon vélo. Quelle chaleur ! Sans un nuage pour voiler ses rayons, le soleil s’en donne à cœur joie. Et moi, je transpire en espérant trouver un abri contre sa morsure, au milieu de vastes champs jaune paille. J’aperçois un arbre providentiel accolé à un grand corps de ferme. Quelques coups de pédales et je me glisse enfin sous son ombre, comme dans un bain d’eau fraîche. Premier réflexe, j’examine mon hôte avec mes yeux de botaniste. Grise écorce fissurée, larges feuilles composées… Aucun doute, je me trouve sous un noyer. Bon, mais cela ne m’en dit pas beaucoup sur lui. Alors, tout en étirant mes mollets fourbus, je m’amuse à changer de regard pour découvrir les multiples personnalités de mon hôte.
Noyé dans la masse

Franquette, Bad Ragaz, Marbot, Bijou, Fenalet… la recherche agronomique a créé des centaines de variétés de noix. Mais les noyers n’ont pas attendu l’être humain pour assurer leur diversité génétique. Sur un même arbre, les fleurs mâles et femelles fleurissent habituellement de façon asynchrone, ce qui limite l’autofertilisation et favorise la pollinisation entre différents individus.

Le refuge
Mon premier ressenti est bien concret : cet arbre de pleine lumière m’offre un répit pour mes jambes endolories et une ombre bienvenue contre la brûlure du soleil. Merci !
Le souvenir
Ah, l’odeur des feuilles de noyer… Cette madeleine de Proust me rappelle l’époque où mon père m’apprenait à reconnaître les arbres par leurs feuilles, leur écorce, leur odeur… et surtout à l’aide de calembours mnémotechniques aussi foireux qu’efficaces. Aujourd’hui, celui-ci me revient à l’esprit : « Avec ses feuilles en forme de nageoires, il ne peut pas se noyer ! »

Le personnage
A vue de nez, les larges branches de mon hôte doivent atteindre un peu plus de 20 m de haut, presque un record pour cette espèce. Quel âge peut-il avoir ? 100 ans, 200 ans ? Il est sûrement né à la même époque que la ferme qu’il côtoie.

L’empoisonneur
Sous ses dehors inoffensifs, je sais que le noyer cache un sombre secret. Chaque partie de son corps contient une substance bien particulière, la juglone, que la pluie fait ruisseler jusque dans le sol. Funeste nouvelle pour les plantes qu’il surplombe, car cette molécule entrave méchamment leur germination et leur croissance. Pas très fair-play, mais diablement efficace pour limiter la concurrence.

Le superstitieux
Ignorant tout de la juglone, les savants de l’Antiquité avaient décrété l’ombre de ce feuillu toxique pour quiconque oserait s’y aventurer. Encore aujourd’hui, on l’accuse parfois de provoquer migraine, malaises ou folie chez qui aurait l’audace de s’aventurer sous ses branches. Une réputation tenace, mais fallacieuse, heureusement pour moi.

Le métisse
Chassé d’Europe par le dernier âge glaciaire, le noyer n’est revenu depuis ses bastions orientaux que durant les derniers millénaires. Grâce notamment aux plantations humaines. Des études génétiques récentes ont cependant montré qu’il avait subsisté à l’état sauvage dans quelques refuges méditerranéens. Mon hôte est donc un descendant métissé de ces survivants et d’arbres importés d’Asie.
Le gourmand
Comment parler du noyer sans parler des noix ? Hop, j’en sors quelques-unes de mon sac : goûtues, nourrissantes (> Panacée mais presque), protégées dans leur emballage individuel, ces petits casse-croûtes accompagnent très souvent mes promenades.
Le noble
Mets luxueux durant l’Antiquité, les noix étaient échangées à prix d’or le long de la route de la soie, et sur les navires marchands qui sillonnaient la Méditerranée. Les Romains tenaient ce fruit en si haute estime qu’ils l’appelaient le gland royal de Jupiter. Une formule que l’on retrouve dans le nom scientifique actuel de l’espèce : Juglans regia.
Le nourricier
Parfaites pour s’engraisser avant l’hiver, les noix sont précieusement recherchées par les écureuils, pics, fouines, muscardins et autres gourmets. Mais encore faut-il réussir à les ouvrir ! Rusés comme pas deux, corneilles et corbeaux s’envolent au-dessus des routes, butin au bec, avant de le lâcher pour qu’il éclate sur le bitume.

L’exploité
Deuxième culture de fruit la plus étendue de France après les pommiers, les noyers n’échappent pas à l’industrialisation de l’agriculture. Serrés comme des sardines, arrosés de pesticides, 70 % de ces arbres appartiennent à une seule variété – la Franquette – et 80 % de la production est exportée vers l’étranger, à grand renfort de pétrole.
L’allié
En les mêlant judicieusement aux cultures, les noyers diminuent un poil les rendements à leur proximité, mais apportent une protection précieuse contre le vent et la sécheresse. Sous leurs branches, les plantations de fruits rouges – auxquelles on peut ajouter des poules qui gambadent – ne craindront pas leur ombre. Un mélange d’essences plus propice à la bio-
diversité et plus résilient que les grandes monocultures.
Le chamboulé
Le dérèglement climatique rebat les cartes géographiques. Favorisés par les hivers doux, les jeunes noyers s’installent de plus en plus au nord et en altitude, mais peinent à s’épanouir là où les sécheresses estivales deviennent la norme. Des petits noyers pourront-ils encore naître autour de mon protecteur du jour dans cinquante ans ? Je l’espère.
Je pourrais sûrement poursuivre cette liste, mais le soleil descend vers l’horizon et il me reste un peu de route. Tout en remontant en selle, je jette un dernier coup d’œil sur son tronc massif, ses hautes branches et ses feuilles lumineuses. Bye bye.
Poudre aux cieux
Petite devinette : à votre avis,
combien un noyer adulte produit-il de grains de pollen chaque année ? Réponse : neuf milliards ! Un chiffre énorme, mais nécessaire pour compenser les pertes. Comme toutes les plantes dites anémogames, le noyer confie au vent le soin de disperser la précieuse poudre. Un moyen de transport gratuit, mais très aléatoire.

- Lors de votre récolte de noix, récupérez les brous, l’enveloppe charnue du fruit, devenus noirâtres. Attention, ils tachent fort les doigts et les vêtements !
- Remplissez une petite casserole de brous à moitié, couvrez d’eau et laissez mijoter pendant trois à quatre heures avec un couvercle.
- Laissez refroidir puis filtrez le jus à travers une étamine fine ou un filtre à café.
- Vous pouvez épaissir l’encre ainsi obtenue en y ajoutant du miel non cristallisé, à raison d’une cuillère à soupe pour un bocal de confiture.
- Stockez l’encre dans un bocal en verre. Attention, elle a tendance à moisir après quelques mois, mieux vaut donc l’utiliser rapidement.

Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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