Les geais déchaînés
En automne, les geais s’affairent à longueur de journée. Forestier malgré lui, cet oiseau favorise le rajeunissement naturel de la forêt. Rendez-vous sous un vieux chêne.
En automne, les geais s’affairent à longueur de journée. Forestier malgré lui, cet oiseau favorise le rajeunissement naturel de la forêt. Rendez-vous sous un vieux chêne.
6 h 45. Les cris grinçants d’un geai résonnent avec insistance entre les arbres. Un danger approche. Alarmé par ce gardien des bois, un pigeon ramier qui fouillait la litière s’éclipse, promptement imité par un écureuil qui rongeait sa noisette. La clairière est maintenant déserte. Malin, le corvidé n’attendait que ça : feu vert !
Quelques sauts entre les branches, deux coups d’ailes et voici qu’il atterrit au sol. Une fois de plus, sa fausse alerte a trompé les habitants de la chênaie. C’est ainsi que le corvidé s’est astucieusement réservé les beaux glands luisants fraîchement tombés. En sautant lourdement entre les feuilles jaunes, il en choisit un renflé et appétissant. Et l’avale tout rond. Quatre autres glands disparaissent tout aussi rapidement dans son jabot qui gonfle de plus en plus. Enfin, l’oiseau saisit du bec un dernier fruit, s’envole et disparaît dans la végétation.
Pourquoi glane-t-il tous ces glands ? L’hiver est à nos portes. Comme l’enseigne la fable de la cigale et de la fourmi, c’est le temps des provisions pour les esprits prévoyants…
Le geai s’aventure maintenant en lisière. Pour rejoindre la forêt de saules située à trois kilomètres et y cacher son butin, il doit survoler des champs à découvert. Sa tactique est toujours la même. Farouche et sur le qui-vive, il bat des ailes jusqu’à un frêne solitaire qui dépasse de la brume. Pause haut perché et contrôle attentif de l’espace aérien en inclinant nerveusement la tête. Puis, jabot et bec remplis à craquer, il rejoint sa destination finale d’un vol hésitant.
Plus à l’aise à l’abri des saules, il descend rapidement dans le sous-bois. L’oiseau creuse alors méthodiquement de petits trous dans le sol ou sous une souche ou encore utilise les fissures d’une écorce. Il dépose un, deux ou rarement trois glands par cache. Toujours extrêmement attentif à ce que personne ne le surveille, il couvre ses réserves avec un peu de terre, de la mousse ou quelques feuilles mortes.
Les allers-retours du geai déchaîné se suivent à longueur de journée. En quelques mois, un seul oiseau peut cacher 5000 glands, voire plus. Les retrouvera-t-il l’hiver venu ?
Riches en amidon, les glands se conservent sans problème pendant tout l’hiver. Le geai en profite lors des temps de disette, mais il en consomme également beaucoup au printemps, lorsque la recherche d’insectes pour élever les jeunes accapare tout son temps.
Tronc mort par terre, rocher, souche : pour retrouver ses trésors, le geai utilise les repères mémorisés tout autour de ses nombreuses caches. Parfois, il disposerait même des pierres pour mieux s’orienter.
Mais sa mémoire visuelle n’est pas infaillible. Et les glands oubliés ne sont pas perdus. Bien au contraire. Certains vont germer et assurer le renouvellement naturel de la forêt et la dispersion du chêne. Parfait, car cet arbre monumental joue un rôle majeur pour le maintien de la biodiversité. De très nombreux insectes menacés d’extinction ont besoin de cette essence dans leur cycle de vie. Le corvidé aux cris parfois irritants est donc un véritable ingénieur de la nature.
Autour des chênes
Croupion blanc très visible en vol, ailes tachetées d’un bleu turquoise intense et surtout des cris à n’en plus finir : le geai des chênes passe rarement inaperçu. Son régime alimentaire est composé à 50% de glands. C’est d’ailleurs en automne, lorsqu’il cherche ces fruits dans la litière, que ce corvidé remuant se laisse le plus facilement observer. Grand imitateur, il trompe souvent les autres habitants de la forêt en se faisant passer pour une buse, un autour ou une hulotte. De nombreux oiseaux ou même le chevreuil réagissent à ses cris d’alarme.
Vrai glandeur ?
Moins réputé que son cousin le cassenoix moucheté amateur de pignons d’arole, le geai des chênes peut pourtant consacrer 10 heures par jour à collecter et cacher sa nourriture. A l’aide de son bec et de son jabot, il transporte jusqu’à 9 glands à la fois. Une étude allemande révèle qu’il a suffi d’à peine vingt jours à 250 geais pour exporter trois tonnes de glands d’une chênaie.
Stocker de la nourriture est un comportement inné qui se manifeste essentiellement en automne. Parfois les geais cachent aussi de petits mammifères… voire du fromage ou du jambon dans les parcs urbains.
Nettoyage à sec
Pour entretenir son plumage et éviter les maladies, le geai se toilette et prend des bains de fourmis. Comme le grand corbeau ou d’autres corvidés, il se couche sur une fourmilière les ailes entrouvertes et s’imprègne des sécrétions métapleurales des ouvrières. Ces substances à l’action antibiotique, antimycosique et antiparasite protègent le plumage de l’oiseau. Les adeptes de ces baignades choisissent préférentiellement les nids de Formica, car ces fourmis projettent également de l’acide formique en abondance. Un désinfectant de plus pour soigner ses plumes.
Jets de geais
Généralement sédentaire sous nos latitudes, le geai effectue parfois des déplacements importants. Certains automnes, les ornithologues observent de véritables invasions provenant d’Europe orientale et septentrionale. En septembre-octobre 1977, 46’500 oiseaux ont été vus traverser en vol le lac de Constance, avec un record de 11’205 individus en un seul jour. Les causes de ces mouvements de masse ne sont pas totalement éclaircies, mais il semble qu’ils soient influencés par la fructification des chênes. Les années qui suivent les bonnes glandées dans le nord sont généralement sujettes aux invasions les plus fortes.
En pratique, lisez nos 3 conseils pour observer le geai des chênes.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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