Les multiples vies des éphémères
Le pouvoir de métamorphose permet d'endosser successivement différentes identités. Les éphémères en usent et en abusent durant une existence pas si brève.
Le pouvoir de métamorphose permet d'endosser successivement différentes identités. Les éphémères en usent et en abusent durant une existence pas si brève.
Les cours d'eau abritent une créature serpentiforme, gardienne d'un rubis étincelant. Nombreux sont les voleurs à avoir succombé sous ses griffes. On raconte qu'elle se transforme à sa guise, prenant parfois l'apparence d'une jeune femme envoûtante. Grâce à ses métamorphoses, la vouivre a la chance d'expérimenter quantité de vies différentes. Un peu comme les insectes qui passent par une série de métamorphoses aussi bien physiques que comportementales. Si nous nous émouvons souvent de leur brève existence ailée, nous oublions qu'ils en ont vécu plusieurs autres auparavant.
Comme leur nom l'indique, les éphémères sont connus pour la durée très courte de leur vie adulte : de quelques heures à quelques jours. Même moins de cinq minutes pour la femelle Dolania americana. En revanche, le développement larvaire de certaines espèces s'étale sur près de trois ans. Presque une éternité pour un insecte.
Cette épopée commence par un œuf qui peut éclore dans toutes sortes de plans d’eau. En sort une larve qui entame la principale partie de sa vie : le volet aquatique. Respirant grâce à des branchies externes, elle passe son temps à manger et à éviter d'être mangée. Or, à force de s'empiffrer, elle se sent bientôt à l'étroit dans son enveloppe corporelle. Pour grandir, il lui faut changer de peau en muant. Un processus que la gloutonne répétera entre 12 et 40 fois, un record chez les insectes.
Lorsque le moment est venu, la larve remonte à la surface et sa cuticule se détache pour laisser apparaître un nouvel individu : le subimago. Ce stade intermédiaire entre larve et adulte peut durer entre quelques minutes et une trentaine d'heures. C'est un cas unique chez les insectes. Certains scientifiques voient en cette étape supplémentaire le moyen pour l'animal de garder ses ailes au sec, le temps qu'il sorte de l'eau. A ce stade, elles sont en effet recouvertes d'un étui protecteur. Toujours est-il que l'éphémère doit finalement opérer la dernière mue de sa vie.
La métamorphose est radicale : l'adulte a des ailes transparentes, des pattes frêles et une bouche atrophiée ne lui permettant plus de se nourrir. Qu'importe, car son unique mission désormais est la reproduction. Le mâle meurt peu de temps après l'accouplement qui suit le vol nuptial, tandis que la femelle se dépêche de pondre à la surface de l'eau, avant de s'éteindre elle aussi. Une étrange ronde perpétuée par ces insectes depuis plus de trois cent millions d'années.
La cigale cyclique
Magicicada septendecim ne vit que six à huit semaines une fois adulte. En revanche, cette cigale périodique américaine bat des records de longévité au stade larvaire : 17 ans ! L'insecte passe la majeure partie de sa vie enfoui dans le sol, où il suce la sève des racines. Puis, tous les dix-sept ans, une génération entière de ces cigales chanteuses émerge simultanément à raison de 1 000 à 2 000 individus au mètre carré. Les cigales déploient alors leurs ailes en quête d'un partenaire, se reproduisent, pondent, puis se taisent à jamais. Prochain concert, 17 ans plus tard…
Un bupreste doré centenaire
Un coléoptère cinquantenaire ? Si, si, c'est possible. Une larve de bupreste doré était âgée de 51 ans lorsqu'elle a décidé de pointer le bout de ses antennes d'adulte hors de la planche de pin qu'elle avait grignoté pendant tout ce temps. Une dizaine d'autres larves de cet insecte perceur répandu dans les forêts de conifères de Colombie-Britannique ont aussi dépassé les 26 ans. Pour les experts, l'étonnante longévité de ces spécimens s'explique par le fait que, durant sa transformation en charpente ou en parquet, le bois qui les contenait a été séché puis préservé de l'humidité. Ces conditions prolongent manifestement le cycle biologique d'une larve qui n'excède habituellement pas plus de quatre ans.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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