Les Verts auraient-ils oublié la nature ?
Pour le philosophe Dominique Bourg, professeur à l'institut de géographie et durabilité de l'Université le Lausanne, la plupart des politiciens écolos n’ont plus de vert que le nom. Dommage car le temps presse. Interview.
Pour le philosophe Dominique Bourg, professeur à l'institut de géographie et durabilité de l'Université le Lausanne, la plupart des politiciens écolos n’ont plus de vert que le nom. Dommage car le temps presse. Interview.
Dominique Bourg, le vert est devenu ces dernières décennies une couleur politique. Pour quelle raison ?
Par l’association évidente entre le vert et la nature et par le constat que l’homme détériore gravement son environnement. L’idée la plus immédiate que l’on se fait de la nature, c’est la frondaison des arbres, le vert d’une prairie…
Où en est aujourd’hui la pensée verte ?
Sur le plan politique, c’est très décevant. Je suis Franco-Suisse et donc attentif à ce qui se passe dans les deux pays. En France, le mouvement vert vit malheureusement une descente aux ténèbres. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un parti marginal et querelleur, sans grandes idées, totalement détourné des questions écologiques. Au niveau national c’est une catastrophe. En revanche, au niveau local, il y a de nombreux militants toujours fidèles aux aspirations d’origine. Sauf qu’ils pâtissent de la mauvaise image du parti.
Et en Suisse ?
Disons que je ne suis pas autant déçu, mais que je n’ai pas non plus un enthousiasme fou. Je pense que nos Verts suisses, libéraux ou non, sont quand même essentiellement des Verts techno.
C’est quoi, des Verts techno ?
Ils ne pensent qu’éolien, photovoltaïque, écologie industrielle… Evidemment, c’est positif de développer les énergies renouvelables, mais ils le font sans critique et n’ont plus que ça à dire. Les technologies vertes, est-ce toute la solution ? Est-ce que cela ne permettra pas simplement de consommer plus ? Au final, vous n’aurez pas de changement fondamental sur les flux de matières et d’énergie. Or c’est cela aujourd’hui le fond du problème à l’échelle planétaire.
Donc les Verts ne sont plus verts ?
Au sens chlorophylle plus beaucoup. La protection de la nature n’a plus de réelle expression politique. Ce souci émerge de temps en temps, par exemple quand on débat d’aménagement du territoire. Ou que survient un accident nucléaire ou un sommet climatique. Mais c’est passager et largement insuffisant.
Est-il bon que la préoccupation écologique soit limitée à un parti qui lui est dédié ?
Bien sûr que non ! C’est important de ne pas lier la défense de la nature à une coloration politique. Cette préoccupation devrait être prioritaire pour tous les hommes politiques.
Mais voilà ! Une vraie prise en compte de ce qu’on appelle la nature, cela remet énormément de choses en cause quant au fonctionnement de notre économie. Peu importe que vous soyez de gauche ou de droite, ce qui détruit la nature est tout simplement notre modèle de civilisation. Et c’est précisément cela qui nous met tous en danger. Je refuse d’associer écologie à gauche ou à droite. Mais aujourd’hui, une vraie écologie n’a d’autre choix que de remettre en question les fondements de notre société. Et c’est évidemment difficile.
C’est pour cela que cela ne bouge pas plus ?
Oui ! De plus en plus d’experts et de chercheurs pensent que le système actuel ne pourra évoluer autrement qu’en s’effondrant. Notre système économique est peut-être irréformable de l’intérieur. Il est trop fort. Il a détruit cette évidence politique que la nature est indispensable à notre culture. Il s’appuie sur quelque chose d’extrêmement puissant qui s’appelle le consumérisme. En ce sens, les verts technologiques ne sont que de gentils accompagnateurs du système.
Jusqu’au bout, donc jusqu’à la catastrophe ?
Elle s’annonce de partout, cette catastrophe. Elle n’est même pas qu’écologique.
Vous n’êtes pas très optimiste alors ?
Plein de gens, plein d’initiatives nous permettent de le rester. Quels que soient les pays, il y a une minorité de plus en plus forte qui a compris le côté délétère du système dans lequel nous vivons et qui cherche à s’en émanciper et à s’en protéger. Cette multitude d’initiatives redonne du sens et de l’espoir. Elle fait que tout n’est pas perdu, loin de là. Si vous êtes persuadé que quelque chose comme un effondrement est très probable, vous avez tout intérêt à faire de la permaculture. Et à créer des petits collectifs résistants. Voyez le film Demain…
Et la croissance alors ?
Depuis 20 à 30 ans, elle surconcentre les richesses, elle accroît les inégalités, elle accélère la destruction des ressources et des grands équilibres du système Terre, tout cela sans nous rendre plus heureux ni créer davantage d’emplois comme on nous l’avait promis. Bizarre qu’on ait autant de peine à se détacher de ce mythe.
Le système est devenu complètement idiot. Même des grands noms du capitalisme s’en inquiètent. Le système s’autodétruit en sapant ses bases naturelles mais aussi ses bases sociales.
Vous avez des enfants ?
Trois.
Que leur dites-vous ?
Qu’on est dans la panade et qu’ils doivent vraiment faire attention. Il ne faut pas se laisser feinter par ce système… Qu’ils doivent garder des repères, des valeurs fortes comme l’amitié, penser collectif, bien réfléchir à comment s’insérer dans la société.
Vous parliez de la catastrophe qui sera probablement nécessaire pour que ça change. Comment cela va-t-il se passer ?
On est déjà dedans. La catastrophe, c’est le délitement progressif de notre société. Voyez des villes comme Detroit ou Flint aux Etats-Unis ou certaines campagnes allemandes ou françaises : les équipements publics ne sont plus entretenus, les gens sont laissés à leur misère, l’argent se concentre dans les métropoles. Voyez l’islamisme radical directement favorisé par les sécheresses qui sévissent au Proche-Orient ou en Afrique. De la Syrie au Yémen, les aléas climatiques renforcent le chaos politique.
Alors que devons-nous espérer ?
Que le nombre de gens qui ne veulent plus de ce système augmente. Que nous fassions preuve d’inventivité et d’imagination pour créer des pôles de résistance. Tout cela, avec le moins de violence possible.
5 Questions à Dominique Bourg
- Si vous étiez une musique ? J’adore Bach. Il fut un temps où chaque soir je me couchais par terre pour écouter sa musique durant une demi-heure.
- Un plat de cuisine ? Le jambon au lait caillé qu’une vieille dame nous avait servi à mon père et à moi autrefois dans le Morvan.
- Un voyage ? Venise. Un ravissement extraordinaire quand j’avais vingt ans. Ce moment de la découverte, vous le vivez une seule fois, il ne faut pas le rater.
- Une odeur ? Celle du pain de seigle.
- Et enfin une couleur ? Pas le vert en tout cas ! Ce qui m’intéresse, ce sont les contrastes ENTRE les couleurs. Un chat tigré par exemple.
3 films plus que verts à (re)voir
Soleil vert (1973) New York en 2022.
La température est élevée, la faune et la flore ont pratiquement disparu. Tout le monde ne mange plus que des produits de synthèse fournis par une unique multinationale. Durant une enquête à rebondissements, le détective Thorn joué par Charlton Heston découvre d’où vient cette ultime source de nourriture…
La belle verte (1996)
Sur La belle verte, une planète de rêve, tous les habitants sont égaux, respectent leur environnement et communiquent par télépathie. Cela fait au moins 200 ans, autant dire depuis Napoléon, qu’aucun d’entre eux n’a eu envie de se désigner volontaire pour aller voir ce que les hommes fabriquent sur Terre. Quand Mila décide d’y aller et qu’elle se retrouve en plein Paris, on peut dire qu’elle tombe de haut.
Green (2011)
Ce documentaire d’anthologie met en scène le destin tragique d’une jeune orang-outan arrachée à sa forêt. Son destin exemplaire résume la destruction qui est à l’œuvre sur les cinq continents. 47 minutes d’une rare intensité avec une seule parole dans le film, le mot Green. A voir absolument!
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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