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Vous avez dit lézard ?
Climat d’incertitude pour les lézards face au réchauffement
Les lézards, avides de chaleur, vont-ils profiter du changement climatique ? Notre enquête révèle une réalité plus complexe.
Les lézards, avides de chaleur, vont-ils profiter du changement climatique ? Notre enquête révèle une réalité plus complexe.
Le dérèglement du climat a bien souvent des conséquences désastreuses pour les êtres vivants. Mais qu’en est-il pour les lézards ? Ces amateurs de bains de soleil pourraient-ils se réjouir du réchauffement en cours ? Oui, peut-être en partie. Mais la réponse n’est pas évidente. Si la science s’est beaucoup intéressée aux impacts des changements globaux sur les oiseaux et les mammifères, peu d’études ont été consacrées aux reptiles. Les lézards sont pourtant très sensibles aux variations du thermomètre. Alors, comment réagissent-ils ?
Certains avantages…
Sur le terrain, on constate des modifications dans le cycle de vie de nombreux reptiles, notamment un avancement des dates de reproduction ou de sortie d’hibernation. Certains d’entre eux voient leur période d’activité doubler, passant de quatre à huit mois pour un réchauffement annuel moyen de seulement 1,5 °C. De quoi permettre parfois une ponte supplémentaire. Avec cette chaleur, les sauriens réduisent leur durée d’exposition au soleil durant laquelle ils sont très vulnérables aux prédateurs. Ils prennent donc moins de risques et consacrent plus de temps à la recherche de nourriture.
« Avec des printemps plus doux et des étés chauds, nous observons des pontes anticipées et une période d’incubation plus courte », souligne Christine Wisler Hofer, correspondante régionale du canton de Berne pour le Centre de coordination pour la protection des amphibiens et reptiles de Suisse (KARCH). Conséquence directe de ces naissances précoces, les juvéniles ont plus de temps pour grandir avant l’hiver.
Manuel Massot, chercheur à l’institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris (iEES) du CNRS, constate le même phénomène chez le lézard vivipare. Il précise : « Une de nos études montre une augmentation de 28 % de la taille des jeunes en dix-huit ans dans le Massif central. » La maturité sexuelle peut alors être atteinte plus rapidement et les femelles produire davantage d’œufs. Mais il faut rester prudent dans l’interprétation de ces données car il est difficile de mesurer la part attribuable au réchauffement global. Par ailleurs, « la hausse des températures moyennes n’est qu’une manifestation du changement climatique. Il a beaucoup d’autres effets, directs et indirects », complète le scientifique. Le régime de précipitations par exemple change aussi, ce qui modifie la structure de la végétation.
... et des inconvénients certains
Revers de la médaille, les températures maximales, au-delà desquelles les reptiles réduisent leur activité, grimpent très vite. Ainsi, le lézard agile se fait discret au-dessus de 32 °C. Passé un certain seuil, l’organisme des sauriens surchauffe. Une vague de chaleur intense peut même provoquer leur mort. En effet, « ils ne peuvent pas réguler la température de leur corps qui chauffe avec l’air ambiant », rappelle la biologiste. Voilà pourquoi de fortes gelées tardives après un printemps estival comme en ce mois d’avril 2021 leur sont nocives.
Et puis, d’une espèce à l’autre, il y a de fortes disparités dans l’amplitude thermique tolérée. Ainsi, celles qui sont habituées aux climats chauds et secs comme le lézard vert ont développé des adaptations morphologiques, par exemple une coloration plus claire ou une peau moins perméable, qui réduisent les pertes en eau.
“La hausse des températures moyennes n’est pas la seule manifestation du changement climatique. » Manuel Massot, chercheur à l’iEES
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De gré ou de force
Face à ce bouleversement qui s’accélère, les lézards s’adapteront, coloniseront de nouveaux habitats ou seront menacés de disparaître. Mais l’adaptation demande souvent du temps et le climat change très rapidement. C’est particulièrement le cas en Suisse, où la température moyenne annuelle a augmenté de 2 °C au cours des cinquante dernières années. Face à ce chamboulement, les reptiles optent quand ils le peuvent pour des habitats plus ombragés et moins exposés plein sud.
Contrairement aux oiseaux qui se déplacent aisément, déménager est difficile, voire impossible, pour les lézards qui occupent des habitats spécifiques. Seuls les moins exigeants comme la tarente pourront suivre le rythme en décalant leur répartition. « On pense que les espèces liées aux températures fraîches seront plus impactées par la hausse du thermomètre et risquent de perdre une part importante de leur territoire », précise Christine Wisler Hofer. Les travaux auxquels Manuel Massot a pris part vont dans ce sens : « Le suivi durant dix ans de 104 populations de lézards vivipares a montré l’extinction de 19 d’entre elles, situées à faible altitude et à la limite sud de l’aire de répartition. » Heureusement, cette espèce a une aire de répartition si vaste qu’elle n’est pas menacée à l’échelle mondiale.
Beaucoup plus alarmant, les lézards endémiques des Pyrénées du genre Iberolacerta pourraient s’éteindre rapidement. Ce climat bouleversé favorise aussi des nouveaux venus qui peuvent concurrencer les reptiles indigènes. Dans le nord de l’Allemagne où le lézard des murailles gagne du terrain, il pourrait impacter négativement le lézard agile. Enfin, la montée du mercure profite à certains parasites tels que les tiques ou les acariens qui affaiblissent leur hôte et sont vecteurs de maladies.
Femelles mal en point
Autre conséquence inattendue : les coups de chaud rebattent les cartes de l’équilibre des sexes en provoquant une plus grande mortalité des embryons femelles, comme l’a observé le chercheur du CNRS chez le lézard vivipare. Les mâles en surnombre occasionnent des accouplements violents et répétés, parfois fatals pour leurs partenaires. La proportion de femelles se réduit donc davantage, au point de localement mettre en péril l’espèce.
Reptile cherche asile
Bien que la menace climatique prenne de l’ampleur et inquiète, la spécialiste du KARCH est formelle : « A ce jour, le principal danger pour les reptiles et pour la biodiversité dans son ensemble reste la destruction et la fragmentation des habitats. » Manuel Massot le confirme : « Les conséquences du changement climatique sont exacerbées par d’autres dangers qui pèsent sur la faune. » Les animaux ont besoin de se déplacer vers des territoires au climat plus favorable – en montant vers le nord ou en altitude – mais ils sont confrontés à des obstacles infranchissables : zones urbaines, cultures intensives ou axes routiers.
“Le principal danger pour les reptiles reste la destruction des habitats. » Christine Wisler Hofer, biologiste au KARCH
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« La Suisse est connue pour sa propreté mais les milieux naturels n’ont pas vocation à être propres », déplore la naturaliste, regrettant que si peu d’espaces soient laissés en libre évolution. « Les jachères sont très rares ici, tout est cultivé ou fauché, on cherche à exploiter la moindre surface disponible et on ne laisse pas de place pour le sauvage. » Pour Christine Wisler Hofer, le déclin des insectes, principale source de nourriture des reptiles, n’arrange évidemment rien.
Mobilisation générale
« Les deux mots-clés à retenir, ce sont instabilité et complexité. Instabilité car le climat et l’environnement sont de plus en plus changeants et ça ne va malheureusement pas en s’améliorant. Complexité parce que les réponses varient selon les espèces, les populations et les individus », conclut le chercheur. Difficile donc de prédire précisément les impacts à venir.
Dès lors, que faire face à ces incertitudes ? Pour les deux spécialistes qui étudient de près les changements en cours, une chose est sûre : il faut non seulement freiner le réchauffement, mais aussi créer davantage d’aires protégées qui soient interconnectées. Si des zones d’ombre subsistent dans notre compréhension des dangers qui menacent le vivant, nous savons la plupart du temps comment les atténuer. Alors à l’action !
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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