Certaines libellules sont des migratrices au long cours
A la faveur des vents, de nombreuses libellules parcourent des distances considérables pour voir du pays. Enquête dans le sillage de ces migratrices téméraires.
A la faveur des vents, de nombreuses libellules parcourent des distances considérables pour voir du pays. Enquête dans le sillage de ces migratrices téméraires.
Il n'y a pas que les oiseaux qui migrent ! Les libellules aussi entreprennent des voyages longue distance. Mais attention : leurs déplacements n'ont rien de comparable. D'une manière générale, les oiseaux vont et viennent entre sites d'hivernage et de reproduction. D'une génération à l'autre, ils s'aventurent rarement à changer de circuit ou de site de villégiature. Les libellules, elles, sont de vraies têtes brûlées quand il s'agit de choisir un vol long-courrier et laissent souvent le hasard élire leur destination.
Aventurières sans boussole
Certaines sont de vraies migratrices, qu'on voit revenir chaque printemps. « En Suisse, c'est le cas du sympétrum à nervures rouges, une espèce répandue dans toute l'Afrique qui fait des incursions répétées en territoire helvétique, sans jamais avoir établi de population stable » , détaille Christian Monnerat, odonatologue du Centre Suisse de Cartographie de la Faune. Cette vagabonde pond au gré des opportunités et reste rarement fidèle à son site de naissance. Des populations plus pérennes existent dans le sud de la France, mais l'espèce garde un comportement nomade.
Un autre globe-trotter, l'anax porte-selle, entreprend carrément des vols transatlantiques. Au gré des vents, cet Africain réussit à atteindre l'Europe, mais aussi l'Amérique. Venu du Maroc et des pays voisins, l'aeschnidé prend chaque année un aller simple pour le nord du bassin méditerranéen. « Cette espèce s'aventure rarement à l'intérieur des terres. Ce fut pourtant le cas en 1989. Une importante migration printanière, poussée par les vents du sud, remonta la côte méditerranéenne espagnole pour emprunter ensuite la vallée du Rhône et disperser des individus jusque dans le nord de l'Allemagne ! » s'enthousiasme Daniel Grand, membre de la Société Française d'Odonatologie. « En 2011, cette fois, ils ont emprunté la façade atlantique du Portugal et de la France pour atteindre le val de Loire et le nord du pays. »
Immigrantes audacieuses
D'autres odonates ne se contentent pas de voyager. Ils s'installent de manière permanente et deviennent colonisateurs. La libellule écarlate, l'aeschne affine ou le sympétrum méridional font partie de ces nouvelles venues qui explorent nos régions et s'y sentent comme chez elles. Depuis une trentaine d'années, cinq espèces afrotropicales ont franchi le détroit de Gibraltar et se sont installées en Espagne méridionale.
Leur périple n'est pas terminé. Parmi elles, la libellule purpurine a atteint la France et exhibe ses magnifiques couleurs rouge pourpre dans le Languedoc et l'ensemble du Sud-Ouest jusqu'au nord de Bordeaux. Les changements climatiques semblent être en cause dans cette progression.
Réfugiées climatiques
Si des températures plus clémentes attirent plus au nord des espèces tropicales, qu'en est-il alors des libellules qui apprécient le froid ? « Elles ont tendance à refluer vers les contrées les plus continentales de l'Europe ou bien à monter en altitude, lorsqu'elles le peuvent... » s'attriste Daniel Grand.
Les cinq leucorrhines rencontrées dans nos pays sont notamment touchées par ce phénomène. Certaines de ces espèces vivent parfois jusqu'à 2000, ou même 2300 m d'altitude, et apprécient les zones de tourbières, milieux sensibles qui se raréfient. Parmi les espèces en régression en France, on trouve le leste enfant, le sympétrum vulgaire et la déesse précieuse.
« La survie de cette dernière est aussi très précaire en Suisse. Nous nous soucions également de la discrète cordulie alpine dont les larves vivent dans la tourbe et les sphaignes d'altitude. Au-delà des questions climatiques et de manière plus fondamentale, ce sont surtout le drainage et la disparition des zones humides, ou encore les pollutions, qui menacent fortement la survie des libellules » , conclut Christian Monnerat.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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