Mare mystérieuse
Les eaux dormantes abritent des créatures issues des plus étranges expériences de l’évolution. Immersion dans un laboratoire top secret de la nature.
Les eaux dormantes abritent des créatures issues des plus étranges expériences de l’évolution. Immersion dans un laboratoire top secret de la nature.
12 avril, la lueur de la lune laisse apparaître sur l’eau les reflets des joncs. Pas un bruit ni un signe de vie, seules quelques petites formes aux longues pattes glissent à la surface par à-coups, comme des fantômes. Dans la nuit, la mare a l’air endormie, étrangement tranquille.
Rapprochons-nous avec précaution. Un mouvement brusque trouble soudain ce calme apparent : une sorte d’araignée à six pattes glisse à la surface en deux mouvements pour capturer une malheureuse larve venue respirer. C’est un gerris, un insecte qui marche sur l’eau : ce patrouilleur solitaire n’est pas le seul habitant de cet énigmatique point d’eau. Une enquête discrète s’impose pour percer ses autres secrets…
Aiguille hypodermique
Gerris, notonecte, nèpe et ranatre font tous partie du même ordre d’insectes : les punaises. En guise de bouche, ces animaux possèdent un organe piqueur suceur nommé rostre. Pour manger, ils ne découpent donc pas leur nourriture en morceaux. Ils capturent leur proie, la piquent avec leur stylet pour lui injecter des sucs digestifs et sucer enfin son intérieur prédigéré.
Le lendemain, retour sur les bords de la mare. Approchons-nous discrètement de la surface, l’entrée de ce laboratoire clandestin. Ici, certains insectes ont expérimenté avec succès un spectaculaire retour à la vie aquatique.
Merveilleux sujets d’étude, les gyrins parviennent à marcher sur l’eau sans couler à pic. Les ondes circulaires provoquées par leur ballet hypnotique signalent la présence de ces petits insectes noirs appelés parfois tourniquets tant leur course est effrénée. Leur rapidité vient d’un corps fuselé et de deux paires de pattes postérieures transformées en nageoires qui leur permettent de progresser à la surface sans effort. Lorsqu’ils se savent repérés, les gyrins déguerpissent en zigzag, comme des torpilles lancées à la vitesse prodigieuse de 50 cm/s.
A deux clapots de là, un camp d’entraînement déploie ses troupes en rythme. Dans des mouvements de patineurs artistiques, les gerris courent sur l’eau. Pas besoin de patins pour ces punaises aquatiques : leurs pattes sont équipées de poils hydrophobes qui suffisent à les maintenir à la surface sans briser sa tension superficielle. Ces insectes se sont réunis pour aspirer les sucs d’un papillon qui s’est crashé dans la mare. Non loin de là, quinze centimètres sous le miroir, une notonecte nage sur le dos grâce à des pattes postérieures développées en rames. La technique est parfaite pour voir des proies qui vivent à la surface.
Voilà qu’elle plonge en profondeur. Suivons-la courageusement...
Double vision
Le gyrin a la faculté de voir en même temps au-dessus et au-dessous de la surface de l’eau. Comment ? Ses yeux composés se divisent en deux au niveau de la ligne de flottaison de l’insecte. Il semble donc posséder quatre yeux, une paire à l’air libre et une paire immergée. Cela lui permet de chercher sa nourriture tout en surveillant ses prédateurs.
Sous-marins armés
Prédateurs redoutables, les notonectes savent se défendre. Elles peuvent administrer des piqûres et morsures douloureuses lorsqu’on les prend dans la main. Les rostres et pattes ravisseuses des punaises, tout comme les mandibules des coléoptères, transpercent la peau sans problème. Cette dangerosité potentielle confère à ces arthropodes des noms évocateurs : abeille d’eau pour la notonecte, araignée d’eau pour le gerris, tigre d’eau pour la larve du dytique ou encore scorpion d’eau pour la nèpe.
En profondeur, les enfers de la mare. Le soleil éclaire l’eau trouble et révèle ce qui se passe sous la surface. Bien vite on aperçoit une multitude d’insectes dont chacun se déplace à sa façon. Ici, la nature expérimente mille et une méthodes pour ceux qui souhaitent vivre loin du monde aérien. Mais comment respirer et chasser sous l’eau ? Plongeur né, le dytique est un drôle de prototype. Ce coléoptère cache un scaphandre autonome sous ses élytres et on peut même voir une bulle d’air dépasser du bord postérieur de ses ailes. Prédateur vorace, il chasse des proies aussi grosses que lui. Prends garde têtard, tu ne lui échapperas pas !
Camouflée sur une brindille, voici la ranatre, la mante religieuse du monde aquatique. Appareillée comme un sous-marin futuriste, cette punaise semble tout droit sortie du laboratoire du Docteur Frankenstein. On a greffé à cette créature d’inquiétantes pattes ravisseuses à l’avant du corps et un long tuyau à l’arrière. Mary Shelley n’a rien à voir avec cette bestiole, la ranatre existe bel et bien. Son curieux organe postérieur est un tuba qui lui permet de prendre de grandes respirations sans trop remonter à la surface. On pourrait croire qu’avec de telles adaptations, cet insecte reste toute sa vie sous l’eau. Que nenni ! La chasseuse profilée peut à l’occasion décoller et voler par temps chaud.
Le calme revient sur les eaux profondes. Mais la mare est loin d’avoir révélé tous ses secrets. Si vous prenez le temps, bien d’autres surprises vous y attendent. Il suffit pour cela d’approcher ses yeux tout près de l’eau.
Parachutage en mare
A l’instar de leurs cousins papillons et mouches, les insectes aquatiques commencent leur vie par un stade larvaire. Certaines larves sont complètement aquatiques et respirent à l’aide de branchies. C’est le cas chez les libellules ou chez un curieux coléoptère appelé dytique. Sa larve est armée de mandibules impressionnantes par rapport à sa taille qui en font un prédateur redoutable. La métamorphose transforme le prédateur allongé en une espèce de gros scarabée nageur tout aussi vorace. Adulte, le dytique s’envolera à l’occasion pour conter fleurette dans un autre point d’eau et coloniser ainsi de nouvelles contrées.
Découvrez les dessous du film Les dents de la mare.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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