Rainette, plancton, ichtyosaure… portraits de 6 fabuleux migrateurs

Un voyage Russie-France pour une chauve-souris

L’histoire aurait pu rester secrète. En 2022, revues scientifiques et journaux publient la nouvelle : une chauve-souris a parcouru au moins 2 400 km entre la région de Borok, en Russie, et l’est de la France. Cette pipistrelle de Nathusius a été retrouvée morte, en 2009, dans le petit village de Lully, en Haute-Savoie. L’animal portait alors un anneau d’aluminium avec un code.

Après de longues années de recherche, les scientifiques ont retrouvé la trace du poseur de bague et l’origine exacte de la bête. Scoop : ils avaient affaire à une championne! Avec ses 20 cm d’envergure, cette pipistrelle peut s’enorgueillir d’un record à titre posthume. L’espèce est cependant connue pour ses migrations à travers l’Europe, c’est même lors de ces voyages qu’elle cherche l’âme soeur et s’accouple.

D’une manière générale, les chauves-souris sont habituées aux périples entre lieux d’hibernation, gîtes estivaux et sites de regroupements automnaux. Les chercheurs s’intéressent de plus en plus à ces voyages que la prolifération d’éoliennes rend de plus en plus périlleux.

Rassemblements d'ichtyosaures

Les voyages du vivant ne datent pas d’aujourd’hui, ni même d’hier. Si l’on en croit une étude américaine parue en 2022, les ichtyosaures voyaient déjà du pays il y a 230 millions d’années. L’analyse de dizaines de fossiles de ces reptiles marins accumulés à West Union Canyon, dans le Nevada, suggère que l’espèce Shonisaurus avait pour habitude de se réunir sur ce site particulier qui, à l’époque, était une mer tropicale. Les squelettes concernent uniquement des adultes et des nouveau-nés, sur une période de plusieurs centaines de milliers d’années.

Selon les chercheurs, les ichtyosaures rejoignaient donc cette zone privilégiée dans le but de se reproduire. Un comportement migrateur proche de celui des baleines d’aujourd’hui.

Le vent du sud allié des libellules

Et si les libellules avaient inventé la migration par la voie des airs ? Difficile à démontrer, mais puisque leurs ancêtres sont apparus environ 150 millions d’années avant les premiers oiseaux, la question fait sens. Car oui, les libellules contemporaines se lancent elles aussi dans des voyages nord-sud à l’automne.

Originaire d’Afrique tropicale, l’anax porte-selle se reproduit régulièrement sur la côte méditerranéenne suite à des épisodes migratoires marqués. Elle colonise de plus en plus de régions vers le nord. L’année 2023 a été particulièrement faste pour cette voyageuse poussée par les vents du sud. Elle a été observée en Suisse et dans plus du tiers des départements français. Ses capacités de vol la poussent désormais régulièrement à traverser l’Atlantique jusqu’au continent américain.

L'endurante tortue caouanne

Dans l’immensité bleue, les tortues marines font preuve d’une élégance rare. On pourrait croire qu’elles volent avec leurs nageoires en mouvement. En Méditerranée, la tortue caouanne est la principale représentante de ces voyageuses menacées. Ces reptiles occupent une grande diversité d’habitats aux différents âges de leur vie : plages pour se reproduire, eaux peu profondes pour s’alimenter et haute mer pour effectuer leurs migrations. Les balises satellites sont un outil précieux pour suivre les longs déplacements de ces animaux mystérieux et ainsi définir les zones importantes pour leur survie.

Baroudeuse par excellence, une tortue caouanne captive relâchée au Cap, en Afrique du Sud, en décembre 2017, a rejoint l’Australie vingt-six mois plus tard. Yoshi, c’est son nom, a nagé l’incroyable distance de 37 000 km. Quasiment l’équivalent d’un tour du monde.

La rainette verte a besoin de corridors

Grenouille ? Pas vraiment. La rainette verte est d’une famille à part, surtout représentée en Amérique du Sud, en Asie et en Océanie. Avec ses pelotes adhésives au bout de longs doigts et ses moeurs arboricoles, la belle verte n’est pas vraiment équipée pour les longues excursions. Et pourtant… ce sont les individus aventuriers qui garantissent la pérennité de l’espèce dans nos régions. Pour éviter l’extinction d’une population isolée, du fait par exemple de mauvaises conditions météorologiques ou d’actions humaines, il faut à tout prix des échanges avec des rainettes d’ailleurs. Ces migrantes garantissent un renouvellement démographique et génétique indispensable.

Bonne nouvelle : en restaurant les points d’eau de reproduction et les corridors écologiques indispensables à cet amphibien voyageur, le canton suisse d’Argovie a multiplié par cinq le nombre de sites occupés par la rare rainette verte entre 1999 et 2019 !

La migration nycthémérale du plancton

Le plancton ne fait pas le planton, loin de là ! Dans les océans et mers du globe, partout la vie marine dépend de ces micro-organismes végétaux et animaux en suspension. Ce petit monde serait-il juste bon à dériver à l’insu de son plein gré ? Non ! Il opère un déplacement vertical quotidien entre profondeurs et surface. L’essentiel du phytoplancton monte vers la lumière en journée et plonge la nuit. Cette migration dite nycthémérale, qu’accompagnent une partie du zooplancton et certains poissons prédateurs, serait la plus importante sur Terre en biomasse.

En même temps, certains organismes moins dépendants de la lumière font le mouvement inverse pour éviter d’être consommés. Le plancton voyage aussi suite aux activités humaines. Une étude récente montre que beaucoup d’espèces de l’Atlantique montent vers le nord en réaction au réchauffement de l’océan.