Mille et un squats dans la maison pour les insectes
En automne, entre sol et plafond, la maison s’anime d’une foule de bestioles. Osez visiter ce mini-monde clandestin.
En automne, entre sol et plafond, la maison s’anime d’une foule de bestioles. Osez visiter ce mini-monde clandestin.
Qui ne s’est jamais imaginé minuscule, plus petit qu’une pâquerette ? Par un coup du sort ou dans un rêve merveilleux, se retrouver tel un Schtroumpf, ou, plus drôle encore, un chapardeur du film d’animation Arrietty. Dans ce monde presque imaginaire, aux multiples recoins et cachettes, chaque armoire est un immeuble, chaque mur une falaise digne du Yosemite. Le robinet devient une cascade sauvage, le géranium un arbre et le chat un véritable T. rex. Ce monde est peuplé d’une multitude de créatures à six, huit ou mille pattes, rampant, grimpant ou trottant dans tous les sens. Ce monde existe, c’est tout simplement chez vous. Et l’automne est la meilleure saison pour le visiter. Prêts ? Abracadabra ! Vous voilà sur le rebord extérieur d’une fenêtre, plein sud, les pieds brûlés par la brique chaude.
Filets blindés
Les coins extérieurs des fenêtres abritent des œuvres extraordinaires mêlant art et haute technologie. Les conceptrices de ces toiles sont bien souvent des épeires diadèmes ou des fissures. Elles font partie des araignées dites orbitèles, c’est-à-dire tissant de vrais pièges circulaires. Plus solide que l’acier, plus résistant que le Kevlar et plus léger que le coton, la soie d’araignée est une matière magique qui intéresse hautement les chercheurs.
Trois monstres aplatis vous guettent sur cette terrasse improvisée. Grisâtres, formes anguleuses, antennes dressées, on dirait de mini-chars d’assaut. Pas de panique ! Ces punaises des bois sont végétariennes. Leur mission : trouver un abri pour l’hiver et se reproduire avant le printemps. La plupart de leurs congénères choisissent la litière forestière ou un tas de détritus du potager pour passer la saison froide. Mais ces trois-là veulent tenter l’aventure dans cet immense refuge bien chaud. Elles perçoivent avant vous le petit espace de la fenêtre entrouverte et s’y précipitent. Suivez-les ! Les punaises ne vont pas bien loin. Trop chaud, trop sec et aseptisé, ça sent le piège mortel. Pourtant l’une d’elles, aventurière, s’envole maladroitement dans l’immensité de la cuisine. Jamais elle n’en ressortira.
Allez, il est temps de poursuivre l’exploration à l’intérieur. Dans l’embrasure et sur la manivelle du volet roulant grouille une armée de demi-sphères orange ponctuées de noir, ou noires tachées de rouge. Ce sont des dizaines de coccinelles asiatiques animées par le même projet que les punaises : se planquer pour l’hiver. Leurs déjections et le stress qu’elles ressentent en vous voyant s’accompagnent d’une odeur désagréable.
Votre désescalade périlleuse vous mène au sol, au pied d’une étagère alimentaire. Vous avez pu saluer, en passant, quelques teignes émergeant nonchalamment d’un paquet de farine entamé. De ses gros yeux multifacettes, une mouche domestique vous dévisage. Du calme ! Si elle se frotte les pattes, ce n’est nullement à l’idée de se régaler de vos entrailles, mais simplement qu’elle nettoie ses menottes de manière obsessionnelle. En un éclair vibrant, cette maniaque du geste barrière s’envole contre la vitre où elle paraît s’écraser à plusieurs reprises sans dommages. Sur la paroi de verre, une tipule – ou cousin – impassible semble résignée à ne pas pouvoir franchir cet obstacle invisible.
Qu’il fait sombre au Ground Zero de l’étagère ! Oserez-vous faire un pas de plus ? Quelque chose vous freine. Comme un filet tendu. Angoisse.
Moustique géant ?
Non ! C’est une tipule. Ses deux ailes antérieures écartées dévoilent deux balanciers, appelés également haltères et caractéristiques des diptères. Dérivés des ailes postérieures, ils servent à l’équilibre du vol chez ce groupe d’insectes. Contrairement au moustique, et malgré une ressemblance morphologique certaine, celui que l’on appelle cousin ne pique pas. Son truc, c’est le nectar des fleurs. Ne frissonnez plus à sa seule vue, capturez-la à l’aide d’un verre puis montrez-lui plutôt la sortie. Mais gare à ne pas démembrer cette fragile créature, car elle abandonne volontiers ses pattes pour échapper à ses prédateurs.
Une ombre approche. Des frissons vous glacent, mais le cri libérateur ne sort pas. Le monstre est une tégénaire domestique qui heureusement rebrousse aussitôt chemin. Malgré votre petit gabarit, vous êtes encore un poil trop gros pour cette araignée de 5 cm. Elle se remet à l’affût dans son tunnel de toile. Cette femelle n’a pas bougé de son repère depuis des mois. Elle a vu plusieurs mâles – dont le père de sa dernière progéniture – mourir en pleine quête amoureuse sous un fracassant coup de pantoufle.
Un long sprint vous conduit à l’abri sous le canapé. Votre course a été suivie par les huit yeux d’un pholque agrippé au plafond, une araignée bien plus frêle et moins impressionnante que la locataire de l’étagère. Sur le parquet devant vous, un jeune grillon de l’année s’est perdu dans cette cathédrale inhospitalière où matou et chaussures pressées manquent régulièrement de le réduire en bouillie.. Le balourd patine et dérape à chacun de ses bonds… Pourvu qu’il s’en sorte et passe paisiblement l’hiver dans un terrier de la pelouse. Logée à la même enseigne, une sauterelle phanéroptère s’accroche au pli d’un rideau comme à son espoir de s’échapper. Depuis votre poste d’observation, caché derrière le pied du sofa, vous remarquez encore un clandestin dépassant du dessous du tapis. Un forficule, ou perce-oreille. Il déteste la lumière et tout est bon pour dissimuler son corps plat en attendant la nuit. S’il est découvert, c’est la mort assurée. Ses pinces à l’arrière du corps – qui ne sont finalement que des appareils reproducteurs – ont le triste don de faire horreur à ses hôtes humains.
Opération expulsion
Il n’y a rien à faire, vous ne supportez pas les perce-oreilles. Hors de question de faire chambre d’hôtes pour ces grouillants forficules ? Pas de problème, ils sont aussi bien dehors de toute façon. Ces prédateurs de pucerons et autres mini-ennemis du jardin se satisferont de quatre planches à leur disposition. Recyclez une caisse en bois ou un vieux nichoir et garnissez-le de végétaux secs. Chaque fois que vous délogerez ces bestioles de votre home sweet home, déménagez-les sans scrupule dans leur cabane de fortune.
Dehors, octobre réduit sacrément la longueur du jour et l’obscurité est déjà là. La fenêtre est restée ouverte, été indien oblige. Autour du lustre du salon, une femelle de frelon semble avoir perdu tout sens de l’orientation. Non pas qu’elle soit ivre du raisin qu’elle a savouré tout l’après-midi, mais elle est perturbée par la lumière. Ce drone noir et jaune vit ses derniers jours. Dans une danse folle et épuisante, la maxi-guêpe côtoie deux compagnes de galère : une noctuelle égarée et la punaise verte que vous avez rencontrée quelques heures plus tôt.
Décidément, pour beaucoup de ces créatures, la maison est davantage une impasse angoissante qu’un nid douillet. Ouf, le voyage touche à sa fin et vous retrouvez finalement par miracle votre taille normale. Mais n’oubliez pas cette aventure la prochaine fois que la tapette vous démange.
Seulement 30
Mille-pattes, centipède, myriapode… Ses différentes dénominations exagèrent toutes l’anatomie de la scutigère, une bestiole parmi les plus haïes de la maison. Cet invertébré consommateur d’araignées, de mouches et autres blattes ne possède en réalité que 15 paires de pattes. C’est déjà pas mal, direz-vous ! Une fierté anatomique qui lui confère une grande agilité sur les murs. Au sol, sa vitesse remarquable – jusqu’à 40 cm/s – lui vaut son nom de scutigère véloce. Pas agressif pour un sou, il faut bien admettre que ce prédateur vous mordra violemment si vous tentez de l’attraper.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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