La morille, un champignon difficile à trouver
La morille, champignon le plus recherché du printemps, peut nous jouer bien des tours. Ou comment une simple cueillette devient une partie de cache-cache.
La morille, champignon le plus recherché du printemps, peut nous jouer bien des tours. Ou comment une simple cueillette devient une partie de cache-cache.
On raconte qu’il existe au pied du Jura un royaume de morilles, éphémère et mouvant. Et qu’il s’éveille au printemps après avoir reçu les caresses du soleil et le chatouillis de la pluie. Ses premiers tressaillements naissent dans le sol. Imperceptiblement, un réseau de filaments blancs se fraie un chemin entre les granules de terre pour concocter de véritables trésors. Saurez-vous les retrouver ? Telle pourrait être l’introduction d’un jeu grandeur nature. Tentée par une partie, j’ai essayé de me rendre dans cette contrée mystérieuse...
18 avril, 9 h 12. Une fauvette dépose un ruban de notes flûtées dans l’air tiède. Arrosé par une averse matinale, le sol scintille. Panier, bottes de sept lieues et chemise à carreaux, je me dirige d’un air cavalier vers la lisière de forêt. Je n’ai encore jamais trouvé de morilles de toute ma vie, mais je compte bien ramener à la maison ce champignon que l’on surnomme la reine du printemps…
Casse-tête chinois
La morille est l’un des champignons comestibles les plus chers et prisés au monde. On a tenté de la cultiver sans succès durant près de deux siècles. Enfin, en 1992, un botaniste chinois met au point une méthode qui propulse son pays au rang de premier producteur mondial. Depuis que la société France Morilles a acheté un droit d’exploitation en 2012, les essais de culture se multiplient en Europe. Avec plus ou moins de succès, mais toujours dans le secret. On compte une centaine de moriculteurs en France et une poignée en Suisse. Assez vite, hésitation et doute s’inscrustent dans la partie. Je sais que le réseau souterrain filiforme, répondant au nom de mycélium, a fait pousser ça et là quelques fructifications, les fameuses morilles. Du haut de leur pied, elles ont pour but de confier au vent une poudre de spores pour conquérir de nouvelles terres.
Mais où diable ont-elles choisi d’émerger ? Largement réparties et assez communes par endroits, ces fées clochettes ne sont pas moins exigeantes. Et ce serait trop facile si elles étaient toujours fidèles au même lieu. Sans compter que, souvent, on arrive juste trop tôt... ou trop tard. « Bonne chance », m’avait lancé tonton André, qui ne révélerait ses coins de cueillette pour rien au monde. Il m’avait tout de même livré quelques conseils. « D’abord, regarder les petites fleurs. » De vraies alliées dans cette quête hasardeuse. Elles donnent des indices sur la nature du sol, souvent calcaire au royaume des morilles. Parmi le parterre de primevères officinales, quelques hellébores fétides, un arum tacheté et deux parisettes à quatre feuilles. Je suis sur la bonne piste ! !
« Ensuite, lever les yeux au ciel. » Non pour implorer une force divine, mais pour repérer certains arbres susceptibles de servir la reine du printemps. Le frêne en tête de liste. J’en repère justement un à ses bourgeons qui ressemblent curieusement à des chapeaux de gnomes noirs et coniques.
L’idéal serait de trouver un noisetier par ici, un orme ou un sorbier par là, car ma précieuse semble s’épanouir encore plus lorsque sa cour est diversifiée. Un mystère enveloppe la relation qu’elle entretient avec ces arbres. Bien que le mycélium se connecte aux racines pour se nourrir de leur sucre, on ne sait pas si les végétaux gagnent de l’eau ou des minéraux en échange.
« Enfin, prospecter autour des arbres. » Morchella montre un faible pour les terrains perturbés, où les racines blessées sont une manne de sucre. Remblais, coupe forestière, glissement de terrain, restes d’incendie... Le mycélium gourmand est aussi capable de décomposer les fruits tombés au sol.
Où se cache sa majesté ? Derrière cette taupinière ? Non. Au bord de la route ? Non plus. Le temps file, je n’ai toujours pas trouvé le graal fongique, à l’exception d’un morillon (> Mots mêlés). Sous une averse, le petit jeu se mue en un frénétique parcours d’obstacles, entre ronces et branches en embuscade. C’est la douche froide, je rentre.
Le lendemain, deuxième manche et changement de stratégie : je vais jouer ma meilleure carte, celle de la contemplation. J’avance lentement dans une combe abritée du vent. Le lieu semble idéal. Je remue avec précaution les feuilles mortes, pleinement dans l’instant présent. C’est alors qu’un fin liseré de lumière révèle une silhouette inespérée. Un pied blanc laiteux coiffé d’un chapeau beige alvéolé, tel un cristal aux mille facettes. Je n’en crois pas mes yeux, une morille ! Je mesure alors son incroyable capacité à se camoufler. Grâce à son aspect ridé, couleur litière, on la confondrait presque avec une feuille morte recroquevillée. Dans ma vie, j’ai dû passer à côté de mille morilles sans les voir. J’ose à peine toucher cette pépite. Mais la curiosité me pousse à la cueillir et la couper en deux. Que cache-t-elle sous le chapeau ? Du vide ! La morille est creuse du pied à la tête.
Mots mêlés
Réunies dans le genre Morchella, on compte plus de 60 espèces de morilles dans le monde. Faute de consensus, chaque guide d’identification y va de sa nomenclature... à en perdre son latin ! L’analyse de leur ADN met petit à petit de l’ordre et confirme la présence de deux groupes. Les Esculenta ou morilles jaunes, au chapeau arrondi et ochracé, et les Elata ou morilles noires, plus pointues et brunes. Le morillon, dont le pied pénètre à mi-hauteur dans un petit chapeau, a rejoint ce dernier groupe. La verpe de Bohême, grossièrement ridée, reste proche parente du genre.
Son aspect bien gravé dans mon esprit, je prospecte la case suivante de mon nouveau terrain de jeu.
« Une de trouvée, dix de repérées », affirmait l’oncle André. Pas faux. Sans crier gare, de petites têtes blondes me font signe partout, tapies sous la litière ou dressées en petits groupes. J’ai appris que c’est la nature qui mène le jeu. Ses tours de passe-passe et ses mystères nous enseignent patience et humilité. Et nous font retrouver notre âme d’enfant.
Qui l’eût cru ?
Chapeau pointu ou rond, prudence, quelle que soit l’espèce ! Crues ou insuffisamment cuites, les Morchella contiennent des hémolysines provoquant des troubles digestifs. Si une cuisson prolongée les détruit, un risque demeure en raison d’une autre toxine encore non identifiée. Des tremblements, vertiges ou troubles oculaires peuvent apparaître environ douze heures après une consommation trop importante. Attention encore à la confusion avec le gyromitre ou fausse morille (Gyromitra esculenta). Hautement toxique, il a un aspect de cervelle sans alvéoles.
Nos conseils
- Cueillir
On peut trouver des morilles de mars à mai, selon les régions et la météo. Ne prélevez que des spécimens sains et aux alvéoles ouvertes, qui ont déjà eu le temps de se reproduire. Au moindre doute, faites identifier votre récolte par un spécialiste. Evitez les zones industrielles et bords de route car ces organismes accumulent les toxines dans leurs tissus.
- Conserver
Afin d’éviter tout risque d’intoxication (> Qui l’eût cru ?), séchez votre cueillette. Passez par exemple un fil dans chaque pied en les espaçant bien, puis suspendez votre guirlande dans un lieu ventilé. Après quelques jours, une fois les morilles légères et cassantes, placez-les dans des bocaux hermétiques.
- Consommer
Réhydratez vos champignons avant de les cuire au moins vingt minutes. N’ingérez pas plus d’une centaine de grammes à la fois ou sur plusieurs repas consécutifs. Devant tout symptôme inhabituel, contactez sans délai
un centre antipoison.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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