La drosophile, la mouche star des labos
Pourquoi la petite drosophile fascine-t-elle les scientifiques du monde entier ? Réponse à Lausanne auprès du neurobiologiste Richard Benton.
Pourquoi la petite drosophile fascine-t-elle les scientifiques du monde entier ? Réponse à Lausanne auprès du neurobiologiste Richard Benton.
Il y a deux ans, il devenait une véritable vedette dans le monde académique suisse. A 38 ans, le Professeur Richard Benton recevait le prix Latsis pour ses recherches sur l'odorat de Drosophila melanogaster, la petite mouche du vinaigre. A quelques pas du lac Léman, dans les laboratoires du Centre intégratif de génomique de l'Université de Lausanne, le neurobiologiste d'origine écossaise se passionne pour ce diptère auquel il a en quelque sorte consacré sa vie.
Richard Benton, vous aimez les mouches ?
Oui, surtout les petites, les drosophiles que vous pouvez voir voler autour des plats de fruits trop mûrs. Bien sûr, une mouche, ce n'est pas aussi chou qu'un chevreuil par exemple. Mais c'est ouvragé avec une précision prodigieuse et cette beauté-là me fascine.
Et puis, la drosophile est un objet d'étude tout simplement extraordinaire, un modèle biologique qui met à notre portée les derniers grands mystères du vivant, par exemple le fonctionnement du cerveau.
Justement, pourquoi cet insecte est-il l'animal le plus étudié au monde ?
Vous voyez toutes ces grandes armoires le long du couloir ? Elles renferment des millions de drosophiles originaires du monde entier qui vivent et meurent dans des milliers de tubes en verre. La mouche du vinaigre comme on l'appelle est extraordinairement facile à élever. Il suffit de déposer un mélange nutritif au fond d'une éprouvette, d'y mettre quelques moucherons et de stocker le tout à 25°C. Une femelle pond 100 œufs par jour. A ce rythme-là, vous obtenez déjà une nombreuse nouvelle génération dix jours plus tard. Cette fréquence élevée permet toutes sortes d'expériences impensables chez la plupart des autres organismes vivants.
“« La drosophile met à notre portée les derniers grands mystères du vivant. »
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Comment cette aventure scientifique a-t-elle commencé ?
Au début du XXe siècle, on a créé pour la première fois des drosophiles mutantes pour étudier la transmission de caractéristiques visibles de génération en génération. A force d'expériences et de croisements, les chercheurs ont découvert les grandes règles de l'hérédité pressenties par le moine Mendel quelques décennies plus tôt. Et puis, certaines cellules des glandes salivaires de la drosophile ont des chromosomes de très grande taille, ce qui facilite leur observation au microscope. Cela a permis de faire pour la première fois le lien entre variation chromosomique et changements de l'anatomie.
La drosophile, cobaye génétique ?
Absolument ! Et ce n'est que le début d'un incroyable feuilleton scientifique. Car à partir des années 1960, les biologistes du développement adoptent eux aussi pour leurs expériences Drosophila melanogaster. La grande question, c'est de savoir comment un œuf fécondé peut se transformer en un insecte parfait. Comment se détermine l'axe du corps, comment se différencient et se positionnent les différents organes. Des dizaines de gènes architectes de cette genèse ont été identifiés. Etonnamment, beaucoup d'entre eux se retrouvent chez l'homme. Un peu plus tard, la science a aussi mis en évidence des combinaisons de gènes qui influencent certains comportements de la mouche. Et finalement, en l'an 2000, une équipe internationale est parvenue à séquencer tout le génome de cet insecte.
“« 60 % des gènes humains on des gènes homologues chez cette petite mouche. »
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Que nous dit ce génome ?
Il exprime la très forte unité du monde vivant. Première surprise : la drosophile possède environ 13 000 gènes contre 20 000 pour l'espèce humaine. On est dans le même ordre de grandeur. Et surtout, 60 % des gènes humains ont des gènes homologues chez cette petite mouche. Autrement dit, les informations de base pour coder un animal sont relativement semblables entre un moucheron et un primate.
Et vous, qu'avez-vous découvert ?
Je m'intéresse tout particulièrement au système nerveux de cet insecte. Je veux mieux comprendre ses perceptions et le fonctionnement de son cerveau. Avec 100 000 neurones seulement, la drosophile fait beaucoup de choses. Son système neuronal est très performant, beaucoup moins redondant que le nôtre. Avec mon équipe, on focalise nos recherches sur l'odorat. La mouche du vinaigre sent grâce à des neurones olfactifs localisés à la base de ses antennes. Les substances chimiques y excitent des récepteurs qui transforment cette stimulation en signal neuronal à destination du cerveau.
Nous avons par exemple découvert la famille de récepteurs olfactifs la plus ancienne chez les insectes. Des molécules analogues étaient déjà connues comme neurotransmetteurs mais on ignorait que l'évolution les avait dotées d'une autre fonction. C'est probablement ainsi que l'odorat est né chez les insectes. Chez les vertébrés, les récepteurs olfactifs sont apparus par un autre chemin. La nature a ainsi développé plusieurs solutions au problème de la détection des odeurs.
Quel rôle l'olfaction joue-t-elle dans la rencontre des sexes ?
Une fonction fondamentale ! L'un des récepteurs olfactifs que nous avons découvert est sensible à la présence de nourriture. Quand il est activé, cela stimule aussi l'excitation sexuelle du mâle. En d'autres termes, la simple présence d'un plat de fruits active son instinct reproducteur. Pas bête parce qu'il y a sûrement aussi des femelles attirées par la perspective d'un bon repas.
Au lieu de diffuser des odeurs érotiques à grande distance comme certains papillons, ces moucherons délèguent la publicité des rendez-vous amoureux à leur source de nourriture. Les odeurs spécifiques à la drosophile prennent le relais à courte distance. Une fois qu'il s'est rapproché, le mâle goûte les phéromones qui recouvrent le corps de sa partenaire, ce qui déclenche la parade et le chant d'amour. Car chez cette mouche-là, au fond de toutes nos éprouvettes, les mâles chantent en agitant les ailes.
Avec Nathalie Stroeymeyt, biologiste à l’Université de Lausanne, découvrez comment la fourmi se prémunit des pathologies grâce à l'immunité sociale.
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