Des nichoirs pour étudier la chouette hulotte
Pour étudier la chouette hulotte, les scientifiques lui offrent des nichoirs. En échange, elle leur ouvre les portes de son intimité. Rencontres dans une forêt vaudoise.
Pour étudier la chouette hulotte, les scientifiques lui offrent des nichoirs. En échange, elle leur ouvre les portes de son intimité. Rencontres dans une forêt vaudoise.
Avril 2010. Sorti de la route goudronnée, le 4X4 cahote sur les chemins forestiers. Les soubresauts du véhicule et le bruit du matériel qui s'entrechoque à l'arrière donnent à cette sortie un parfum d'aventure. Tout en conduisant, Pierre-Alain Ravussin, membre du Groupe Ornithologique de Baulmes et Environs (GOBE), évoque les qualités particulières de la hulotte. « C'est un oiseau maniable et compact, fait pour voler en forêt » , explique-t-il en mimant avec ses bras la rondeur de l'oiseau.
Nous nous arrêtons en plein milieu du chemin. Notre chauffeur, l'œil malicieux, montre du doigt le but de l'expédition : une large boîte de bois solidement arrimée au tronc d'un hêtre, à six mètres de haut. Entrée large, boîte costaude, rien à voir avec le petit nichoir à mésanges d'un jardin.
Du maniement de l’épuisette
« On filoche ? » propose notre ornithologue barbu à son complice Guillaume Emaresi, jeune biologiste doctorant à l'Université de Lausanne. La filoche ? Un large filet au bout d'un manche très long. Placé devant le trou d'envol, il incite la femelle à sortir si elle se trouve au nid. Déjà, une masse sombre se précipite dans l'épuisette. Avec dextérité, Pierre-Alain Ravussin dégage rapidement le gros poisson : une hulotte femelle rousse qui se laisse saisir sans résistance. Capturée, la chouette fait le mort. Les yeux fermés, elle se fait toute molle, dans l'espoir que ces prédateurs à deux pattes se désintéressent d'elle. Déjà baguée, elle est répertoriée et donc connue. Une fois toutes les mesures faites, elle sera déposée là-haut dans son logement, avec ses petits. « Nous quadrillons la région avec 375 nichoirs. Du coup, nous connaissons pratiquement toutes les hulottes du secteur », s'enorgueillissent les deux passionnés. « Grâce au baguage, nous suivons leur reproduction d'année en année. »
2010, bon millésime
Après la femelle, il est temps de s'occuper des jeunes. Le long du tronc, Guillaume Emaresi gravit une échelle, un panier à la main. Avec ses gants noirs, il ressemble à un voleur soucieux de ne pas laisser d'empreintes. Le chercheur ouvre la porte du nichoir puis en extrait délicatement deux petites boules grises. Il détaille aussi le garde-manger en attente dans la boîte : un muscardin, un mulot à collier et un demi-campagnol roussâtre. Les ventres ronds des oisillons confirment que la table du printemps est bien garnie. « Les surplus de nourriture présents dans le nid sont un indicateur d'une année réussie ou non. Cette saison, on trouve beaucoup de rongeurs forestiers, c'est bon signe » , assure Pierre-Alain Ravussin en examinant le muscardin. Quand la disette guette, les parents chassent plus de passereaux, et ce sont plutôt des merles et des fauvettes à tête noire que l'on trouve dans le nichoir. Retour à la voiture pour continuer la mission chouette auprès d'un nouveau nichoir. Cette fois, six oisillons se serrent dans la cavité. Plus âgés que les précédents, ils sont en pleine forme et profitent de cette « bonne année » dont les ornithologues ne cessent de se réjouir. Pour les deux spécialistes, l'équation est simple. Plus les arbres produisent de fruits, plus les mulots sylvestres et les autres rongeurs forestiers se reproduisent. Si les forêts grouillent de proies dodues, aucun doute que les hulottes auront beaucoup de petits à l'envol.
Faînes = mulots
Les fruits des hêtres et des chênes constituent la ressource la plus importante pour les rongeurs. Lorsqu'ils sont abondants en automne, faînes et glands permettent l'hivernage des nombreux mulots et campagnols nés en été. « Quand la faînaie explose, les rongeurs farfouillent toute la nuit dans les feuilles mortes et font du bruit. La hulotte n'a qu'à tendre l'oreille et se servir » , observe Pierre-Alain Ravussin.
Les monocultures d'épicéas ou d'autres conifères n'attirent pas les micromammifères et sont largement désertées par les rapaces nocturnes. En revanche, les forêts d'arbres à feuilles caduques représentent un formidable stock de nourriture. En plaine, ce sont elles qui assurent le meilleur fonctionnement des chaînes alimentaires. Et donc une biodiversité maximale.
Froid moi ? Jamais !
Quand les rongeurs grignotent tout leur soûl dès l'automne, la hulotte peut pondre en plein hiver. Cette stratégie s'avère payante, car des jeunes élevés tôt abandonnent le nid dès le début du printemps, quand la nourriture foisonne. Bien sûr, en cas de coup de froid prolongé, les risques de mortalité sont élevés. Mais si la nichée est perdue, le couple aura encore tout le printemps pour tenter une deuxième chance.
Nous déposons un instant les petits sur le sol de la forêt. En attendant d'être examinés un à un, ils se serrent et continuent leur sieste. Sauf un, qui fixe les humains qui s'agitent avec leurs pieds à coulisse, leurs balances et leurs appareils photo. Les jeunes chouettes ont l'air bien fragiles, ainsi exposées. Vulnérables, elles le seront vraiment une fois sorties du nid.
« A l'âge de un mois, l'ambiance dans le nichoir est survoltée ! Les jeunes sont pleins d'énergie et s'agitent beaucoup. Alors ils s'évadent, avant de savoir voler. S'ils restaient plus longtemps, leur vacarme pourrait attirer toute une série de prédateurs ! » avertit Pierre-Alain Ravussin. Une fois les poussins rendus à la chaleur du nid, nous quittons la forêt, la besace pleine de précieuses données.
Grandir
vite et bien La mesure du poids, de la longueur de l'aile et du tarse permet aux scientifiques de suivre précisément la croissance des petits. Rapide et constante, elle produira un individu de « bonne qualité ». Cela signifie que, bien nourri, il aura les ressources nécessaires pour lutter contre les parasites, s'enfuir devant les prédateurs et chasser avec succès. Puis, à l'âge de un an, pour trouver un partenaire et se reproduire à son tour. Autre jour, mais même ambiance. Cette fois, le leader de l'équipe est Alexandre Roulin. Le professeur et biologiste de l'Université de Lausanne enquête sur l'un des mystères de la chouette hulotte : pourquoi certaines sont-elles grises et d'autres rousses ? Question de mode ?
Grise ou rousse ?
Les scientifiques parlent de morphes gris et roux. En désignant les plumes d'une hulotte dont il vient de contrôler la bague, Alexandre Roulin explique :
« Ce mâle est gris. D'après nos résultats, chaque coloration est liée à des capacités physiologiques et comportementales différentes. Les formes grises sont adaptées aux températures froides et résistent mieux au manque de nourriture. »
Ces hulottes-là ne se reproduisent pas chaque année, mais quand elles le font, elles investissent beaucoup d'efforts dans leur rôle de parents. Résultat : des petits bien nourris, résistants.
Son étudiant Guillaume Emaresi continue :
« En revanche, le climat chaud profite aux rousses. Plus grosses, elles se débrouillent mieux quand la nourriture abonde. Au contraire, en période de vaches maigres, elles résistent moins bien et leur investissement parental est moindre. »
La couleur est directement déterminée par l'abondance d'un pigment, la mélanine. Plus l'animal en possède, plus il sera gris. Cette substance influence aussi l'agressivité et la résistance au stress.
« C'est pourquoi, plus les chouettes sont grises, plus elles résistent aux rudesses du climat et aux parasites »
, assurent les deux chercheurs.
Botte secrète
L'existence des différents morphes est d'un intérêt majeur pour la survie de l'espèce.
« Une étude menée pendant 40 ans en Finlande a montré que l'on y observe de plus en plus de hulottes rousses et de moins en moins de grises »
, pointe Alexandre Roulin. Donc plus les hivers se réchauffent, plus les rousses sont avantagées et transmettent leurs caractéristiques à leur descendance.
Grises ou rousses, toutes des hulottes ! Cette diversité génétique et comportementale leur permet de s'adapter aux changements de leur environnement. Ainsi, la hulotte n'est pas aussi dépendante des températures que d'autres rapaces nocturnes. Le harfang des neiges par exemple, une chouette blanche des régions polaires, est intimement lié aux lemmings dont il se nourrit. Sa spécialisation le rend vulnérable face au réchauffement climatique. Mais la hulotte, généraliste et adaptable, paraît mieux armée pour relever ce défi. Si tant est que l'homme lui laisse des forêts riches en proies et en cavités.
Pas tous en même temps !
La femelle pond ses œufs à environ deux jours d'intervalle. Ainsi, au sein d'une nichée de six, les oisillons affichent une différence d'âge de deux à dix jours. Certains arborent déjà de belles plumes tandis que le dernier est encore couvert de duvet. Cette stratégie de ponte décalée ne doit rien au hasard. Si la nourriture manque au début des éclosions, l'aîné risque de mourir de faim, alors que ses frères et sœurs sont en sécurité dans l'œuf. Quand les conditions se durcissent au moment où tous les oisillons ont déjà éclos, c'est le cadet qui succombera le premier. Dans certains cas, la mère peut donner le cadavre du plus petit à manger aux plus grands : une assurance anti-coup dur qui évite la mort de toute la fratrie.
Chacun son job
Seule la femelle couve. C'est le mâle qui la nourrit, ainsi que les petits. La division du travail est stricte : la mère découpe les proies, surtout pour les plus jeunes, mais le mâle ne possède pas cette faculté. Si la femelle disparaît, il continue à élever la nichée seul, mais dépose simplement les proies entières.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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