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Frère ours

Un diable d’ours

Comment et pourquoi l’Eglise médiévale organise la destruction physique et symbolique de l’ours.

Comment et pourquoi l’Eglise médiévale organise la destruction physique et symbolique de l’ours.

Au début du Moyen Age, l’ours est vénéré par la plupart des peuples européens. Vaincre un ours au corps à corps, armé d’un seul couteau, fait partie des rites pour devenir un guerrier, voire un roi. On boit son sang et on mange sa chair pour s’approprier sa force et devenir invincible.

« Pour l’Eglise catholique, c’est un rival à éliminer » , résume Michel Pastoureau. Celle-ci orchestre alors contre ce symbole du paganisme une lutte sans merci. Elle durera un bon millénaire. Toutes les ruses, tous les coups seront permis.

Par la force

L’élimination de l’ours à grande échelle débute à la fin du VIIIe siècle sous Charlemagne, bras armé de la chrétienté. Lors de ses campagnes, l’empereur entreprend d’éradiquer les cultes barbares, en priorité celui de l’ours. Des milliers d’animaux sont massacrés. Des défrichements de grande ampleur sont entrepris, qui relèguent les animaux dans les montagnes. La progression du christianisme dans les pays slaves fera subir à l’animal un sort analogue.

Avec les saints

A côté de ces destructions directes, l’Eglise s’évertue à faire descendre l’ours de son trône. Les récits de la vie des saints en offrent un premier moyen. On met en scène des personnages qui soumettent l’animal. Ainsi saint Gall, moine irlandais parti convertir un territoire aujourd’hui situé à l’est de la Suisse, se rend-il maître d’un ours qui tentait de s’emparer de sa nourriture. Puis le saint, avec l’aide de l’animal, construit un ermitage, qui deviendra une puissante abbaye. On l’aura compris : le saint, c’est la suprématie chrétienne, et l’ours, le culte païen qui se soumet.

Les fêtes des saints remplacent peu à peu les nombreuses fêtes dédiées à l’ours. Il en est ainsi de deux événements majeurs : l’entrée et la sortie de la tanière, célébrées dans toute l’Europe à la mi-novembre et au début de février. Dès le Ve siècle, la Saint-Martin supplante le premier. Et il faut pas moins de trois fêtes chrétiennes pour faire taire le second : la Présentation de Jésus au Temple, la Chandeleur et la Purification de Marie.

Par l’humiliation

Un autre stratagème consiste à diaboliser l’ours. Un des Pères de l’Eglise, saint Augustin, jouera un rôle déterminant. Se basant sur l’ Histoire naturelle de Pline l’Ancien et sur de rares extraits bibliques hostiles à l’animal, l’ours devient pour lui un « Diable incarné ». Brun et velu, mal léché et puissant. A la fin du XIIe siècle, l’Eglise réalise un dernier tour de force : faire du lion, animal exotique, le roi des animaux. Encore un mauvais coup pour l’ours, qui occupait jusque-là le trône.

Enfin, le plantigrade perd son statut de gibier royal qui lui assurait une relative protection. L’Eglise impose le cerf, qu’elle affuble de qualités chrétiennes. Elle va même jusqu’à encourager les montreurs d’ours et donc l’humiliation en public du plantigrade, alors qu’elle s’était toujours opposée à de tels spectacles.
Le dieu ours a fini par mourir. Et la bête s’est retirée dans les montagnes. Dans l’imaginaire européen, ce n’était plus qu’un animal parfois dangereux mais surtout lourdaud et ridicule.

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Frère ours

Couverture de La Salamandre n°194

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 194  Octobre - Novembre 2009, article initialement paru sous le titre "Un diable d’animal"
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