Par amour de lucius
Tête à tête avec Dario Zuccari, grand passionné de poissons et auteur d’un livre de 450 pages sur Esox lucius : le grand brochet !
Monsieur Zuccari, comment est née votre passion démesurée pour les brochets?
L’amour pour ce poisson unique remonte à mon enfance. Quand j’avais quatre ans, j’accompagnais mon père à la pêche sur le Pô, le plus grand fleuve italien. De temps à autre, pour récompenser ma patience il m’accrochait un poisson-chat à l’hameçon… Ces moments m’ont profondément marqué. En grandissant, j’ai cherché à capturer toutes sortes de poisson en utilisant mille astuces différentes. Au fil du temps, ce sont les prédateurs qui m’ont véritablement séduit. Le brochet avant tout. Mais peut-être que ma passion pour cette espèce en particulier est née lorsque j’ai trouvé un brocheton dans une mare. Je l’ai gardé dans mon aquarium et je l’ai contemplé pendant des jours… Puis, la nature méfiante de ce carnassier et le manque d’informations sur lui n’ont fait qu’alimenter ma soif de connaissance. Du coup, j’ai été obligé de lire chaque magazine, livre ou étude qui parlaient de ce géant d’eau douce.
Pourquoi le brochet plutôt que le silure ou le sandre?
Je ne peux pas l’expliquer. Ce serait comme essayer de comprendre pourquoi on tombe amoureux… Chaque prédateur occupe une niche écologique différente, préfère un certain type de proies et montre des comportements qui lui sont propres. Pour moi, le brochet a vraiment quelque chose de plus que les autres. Il réveille en moi des émotions ancestrales. Quand je pense à lui, je vois aussi la roselière plongée dans la brume et je devine la terreur des bancs de poissons qui nagent rasant les herbiers dans l’espoir de ne pas être repérés. D’ailleurs, aucun autre poisson n’a donné naissance à tant de légendes qu’Esox lucius… Les pêcheurs du monde entier racontent des individus énormes et des batailles interminables pour les capturer. C’est un chasseur merveilleux!
Vous avez vécu d’innombrables rencontres avec ce farouche prédateur. Laquelle vous a marqué le plus?
C’est évidemment pendant la pêche que j’ai assisté aux épisodes les plus inoubliables. Parfois, quand les brochets sont très affamés, ils oublient toute prudence et vont jusqu’à s’attaquer à tout ce qui passe devant leur gueule. Un jour, avec mon ami Pippo, nous étions en train de jeter l’hameçon depuis quelques heures sur un plan d’eau. On avait déjà essayé tous les leurres de notre collection, mais aucun poisson ne mordait à l’hameçon. Comme il arrive souvent, une canne à pêche est restée posée contre le bord de la barque, le leurre pendant au-dessus de l’eau. Soudain, un brochet a surgi du lac avec la gueule ouverte et a attaqué les hameçons. Agressif et enragé, le poisson a fini par casser la canne et la ligne ! Le rusé prédateur nous avait donc suivis sous l’embarcation… Je revis ce moment à chaque fois qu’un leurre pend du bateau.
Racontez votre rencontre avec ce fameux brochet de 160 cm…
C’est il y a quelques années, sur le lac Majeur. Je suis en bateau avec des amis à la recherche de sandres. En hiver, ces carnassiers se tiennent immobiles sur les bas-fonds et se laissent parfois tenter par nos leurres imitant de grosses écrevisses. On se met à fouiller méthodiquement chaque gros bloc et toutes autres cachettes potentielles. Tout d’un coup, je croise le regard d’un beau brochet planqué entre les branches d’un arbre tombé dans l’eau. Il est gigantesque. Sa circonférence et sa longueur sont justes impressionnantes. C’est du jamais vu. Emerveillés, on le regarde longtemps, sous des angles différents. Puis on tente de le pêcher en lui lançant une virgule (un leurre souple). Miracle : il mord. Mais après un court combat, le poisson se libère tout en laissant une grosse écaille sur le leurre. De retour à la maison, j’observe l’échantillon au microscope. Résultat ? Six anneaux… seulement six anneaux de croissance ! Est-ce possible que cet énorme exemplaire, d’un poids avoisinant probablement les 20 kg, n’ait vécu que six ou peut-être sept hivers ? Même si la littérature ne décrit pas des spécimens plus grands que 140 cm, aujourd’hui nous sommes encore tous convaincus que ce brochet mesurait au moins 1,6 m.
Comment pouvez-vous pêcher des brochets si vous les aimez tant?
Attention! Je pêche, mais bien évidemment je pratique le catch and release. D’après cette règle très éthique, il faut toujours relâcher la proie encore vivante après l’avoir prise. Je suis persuadé que cette procédure soit le minimum que l’on puisse faire pour sauvegarder les écosystèmes aquatiques qui me plaisent tant. Il faut penser que lorsqu’un poisson meurt, il laisse une place qui pourra être occupée par un autre individu. Ce qui pourrait laisser croire qu’au final la pêche ne provoque pas de dégâts particuliers aux populations de poissons. Mais lorsqu’on se réfère aux prédateurs, notamment par exemple aux gros brochets, il serait faux de penser que les conséquences de la pêche soient négligeables. La recherche des plus gros spécimens perturbe la structure pyramidale des populations de brochets. Des études menées en Alaska ont en effet mis en évidence que les individus qui dépassent le mètre de longueur représentent environ 1% de tous les brochets, voire moins. Ce qui explique d’ailleurs que même dans les plans d’eau européens les géants sont assez rares. Il faut comprendre que lorsqu’on en sort un, on se retrouve face à quelque chose de vraiment unique et exceptionnel et qu’il faut le protéger. Voilà pourquoi moi et de nombreux autres pêcheurs remettons toujours à l’eau nos prises…
Vous avez écrit un livre de 450 pages sur le brochet. Pourquoi?
Il y a une quinzaine d’année, j’ai senti le besoin de faire l’inventaire de toutes les connaissances sur le brochet. Il luccio e le acque est le livre que j’aurais toujours voulu lire et qui n’a jamais existé. Au début, j’ai commencé à réunir toutes mes rencontres et les témoignages de mes amis. Puis, j’ai complété la partie scientifique. Monographies, articles scientifiques et autres documents m’ont permis de traiter la biologie de cette espèce et aussi son écologie. J’espère que cet ouvrage réveille chez le lecteur la curiosité. Car la curiosité mène toujours à la croissance et au respect. Mais je souhaite surtout que mon livre favorise la prise de conscience de la fragilité des écosystèmes aquatiques et responsabilise aussi plus les pêcheurs en les poussant à pratiquer une pêche plus responsable comme le catch and release.
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