Témoignages sur le retour de l’ours dans les Pyrénées
Dans les Pyrénées, le retour de l’ours déchaîne les passions. Avis d’éleveurs, de professionnels du tourisme et de scientifiques.
Dans les Pyrénées, le retour de l’ours déchaîne les passions. Avis d’éleveurs, de professionnels du tourisme et de scientifiques.
Claude, éleveur de 65 brebis en Ariège
« Je ne comprends pas comment on peut être contre l’ours » , s’enflamme Claude. Ce berger craint que son franc-parler ne lui attire les foudres des opposants. Il a exigé l’anonymat avant de nous rencontrer.
« Chacun a sa place, l’ours comme les autres. Je fais de l’élevage, car j’aime les animaux et la montagne. Ce n’est pas l’ours qui empêche l’agriculture de montagne de survivre. Des élus et des responsables agricoles l’utilisent pour fédérer les mécontents et pour détourner l’attention de l’échec du modèle agricole qu’ils soutiennent. Un modèle qui, via les primes attribuées par tête de bétail, incite les éleveurs à posséder le plus de brebis possible. Or, ces grands troupeaux, il est plus rentable de les laisser pâturer librement dans la montagne que de les faire garder. Dès lors, les bêtes sont à la merci des ours, des chiens divagants ou des voleurs.
Certains trouvent même plus intéressant de percevoir une indemnité pour une attaque d’ours que d’investir dans la protection de leurs bêtes. Quant aux agneaux, ils sont bradés à des intermédiaires pour être engraissés ou écoulés au marché noir. C’est tout ce système que l’ours vient déranger. Je défends l’idée de vivre de sa production. Le label Broutard du Pays de l’Ours s’inscrit dans cette logique. Son cahier des charges est exigeant. Il garantit des agneaux élevés sous leur mère. Les bêtes sont écoulées en vente directe à 12 euros par kilo, le double du prix habituel. Cela marche bien. On ne parvient pas à satisfaire la demande. On manque de producteurs, car ceux-ci subissent des pressions de la part des chambres d’agriculture et de la fédération ovine. »
François Arcangéli, président de l’association Pays de l’Ours-Adet et maire d’Arbas depuis 1995
« Comme les chapelles romanes, l’ours fait parti du patrimoine pyrénéen. Bien sûr, il pose un problème au monde pastoral, mais il apporte aussi des réponses. Grâce aux aides financières du programme ours, les bergers se professionnalisent. Leur nombre a doublé en cinq ans pour atteindre 200. L’argent permet aussi de rénover les cabanes, d’y transporter le matériel d’estive, et d’utiliser des patous. Ces chiens de protection sont désormais 150 dans les Pyrénées. Il faut souligner que, de manière générale, il y a moins de perte dans les troupeaux qu’avant les lâchers d’ours. Les éleveurs de ma commune sont largement pour ces mesures. Malgré une majorité hostile à l’ours, le pragmatisme l’emporte.
Alors pourquoi tant de bruit autour de cet animal ? On n’est plus au temps où les familles pauvres possédaient trois ou quatre moutons et où la perte d’une bête était une catastrophe. L’ours est le bouc émissaire d’un petit groupe de gens influents. Parmi les opposants, il y a les tenants d’un modèle agricole productiviste aujourd’hui dans l’impasse, certains élus et enfin les braconniers. Ces derniers voient l’ours d’un mauvais œil, car avec lui arrivent les scientifiques, les bergers et les touristes. Vu l’obligation internationale qu’a la France de sauver l’ours, il ne fait aucun doute qu’il y aura de nouveaux lâchers. »
Alain Reynes, directeur de l’association Pays de l’Ours-Adet
« Dans le passé, les Pyrénéens n’ont jamais cherché à exterminer l’ours. C’était une ressource comme une autre. Quand une battue était organisée, les volontaires ne se précipitaient pas. Chaque foyer devait envoyer une personne sous peine d’amende. En revanche, au XIXe siècle, certains chasseurs se spécialisèrent dans la traque à l’ours. Une dépouille rapportait gros. Des habitants se faisaient aussi guides pour les amateurs de chasse à l’ours. Enfin, on capturait les oursons pour les vendre aux montreurs d’ours de l’Ariège. L’excès de prélèvements engendrés par ces activités couplé aux aménagements forestiers ont eu raison de l’animal. Aujourd’hui, l’association Pays de l’Ours-Adet aide près de 120 professionnels à valoriser leur activité grâce à l’ours, avec des formations ou la mise à disposition d’un site internet. »
Francis Ader, éleveur à Cazeaux-de-Luchon et vice-président de la chambre d’agriculture
« Les ours n’amènent rien au tourisme et bouleversent l’activité pastorale. Mes 400 brebis estivent avec celles d’autres éleveurs entre 1500 m et 2500 m d’altitude. Le troupeau est scindé en deux groupes, chacun avec un berger. En raison du relief accidenté, il n’y a pas de regroupement nocturne. Nous refusons les chiens de protection pour éviter tout problème avec les nombreux randonneurs sur le GR10 qui traverse l’estive. Je me demande si, avec ce projet de réintroduction, l’Etat ne cherche pas simplement à se donner une meilleure image. C’est plus facile de défendre l’ours que de résoudre le problème de la pollution de l’eau. Ne veut-on pas faire des Pyrénées une zone protégée et vide de toute activité humaine ? »
Jean-Pierre Daffos, accompagnateur en montagne à Henne Morte
« En tant que membre du réseau ours brun, j’ai participé en Slovénie au piégeage des individus destinés à la réintroduction. J’ai également contribué à la rédaction de la charte des accompagnateurs du Pays de l’Ours. Respect de la tranquillité de l’animal et confidentialité des informations sensibles en sont les maîtres mots. Je souhaite faire accepter la présence de l’ours dans les Pyrénées, à côté des habitants qui y vivent. Le discours alarmant des anti-ours dissuade une partie des touristes d’aller en montagne, par peur de se retrouver face à l’animal. Pourtant, les chances de le croiser sont très faibles. Depuis 30 ans que je parcours le massif, je n’ai vu que quelques indices de sa présence, jamais l’animal lui-même. »
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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