Partager la terre dans la joie

Commençons par la fin : les 288 résidents de l’écoquartier de Pra Roman, perché au sommet de Lausanne, vécurent heureux. « C’est un quartier de rêve, jamais je ne déménagerai. Pour les jardins, la gestion participative, les espaces communs avec des lieux pour les enfants, des chambres d’amis... », sourit Maud, venue avec son conjoint et ses deux marmots louer un quatre pièces ici. « J’ai le sentiment d’avoir ouvert quelque chose de différent dans ma vie. C’est lié à ce plaisir de faire ensemble et d’utiliser ses compétences autrement que dans le monde professionnel », ajoute Hélène, une autre habitante.

Reprise en main

Pourtant, à sa sortie de terre en 2020, cet écoquartier conçu par la coopérative de l’habitat associatif (Codha) a eu du mal à faire le plein de locataires : trop loin du centre-ville de Lausanne, à 8 km, pour certains. Et puis, la magie s’est mise en place autour d’une idée des premiers occupants : relier du mieux possible leurs immeubles à la forêt voisine du parc naturel du Jorat. C’est en observant les paysagistes ­aménager les premiers espaces verts que les locataires ont voulu s’impliquer et insuffler leur propre philosophie. « On s’est dit que les paysagistes faisaient un peu n’importe quoi, comme tasser la terre. Au bout d’un moment, on a demandé à la Codha de mettre fin à leur contrat pour récupérer un peu d’argent et faire les choses nous-mêmes », explique Maud.

En se promenant à Pra Roman, on se dit que les membres de ce quartier coopératif ont suivi le bon chemin. Saupoudré des premières neiges en cette fin novembre, le jardin collectif offre un beau visage : mi-­sauvage, mi-cultivé, avec blettes, choux de toutes sortes, artichauts et une jungle d’arbustes fruitiers aux feuilles jaunies par l’automne. Une charte validée collectivement interdit l’usage de pesticides. Des efforts sont déployés pour économiser l’eau : des oyas sont ainsi enterrées dans certaines parcelles. Tous les dimanches matin, un atelier de jardinage participatif est ouvert à tout le monde pour prendre soin des cultures communes.
Plus loin, un panneau annonce les lopins de jardins individuels. Les surfaces accordées aux habitants varient de 3 à 24 m2. Au passage, Hélène enlève quelques herbes de la terre froide où poussent ses poireaux.

Nous traversons ensuite les rues entièrement piétonnes pour gagner l’extrémité opposée de Pra Roman où s’épanouissent d’autres jardins individuels. C’est aussi là, en bordure d’un champ, que les habitants projettent de faire pousser un jardin-forêt. Il sera sur le tracé du corridor biologique, déjà planté, qui permet à la faune d’aller et venir jusqu’ici depuis le parc du Jorat. Un perchoir à rapaces surplombe les lopins cultivés, une solution écolo pour contrôler la population de campagnols. Des tas de branches et cailloux ont été formés comme autant d’abris pour hérissons, lézards et mustélidés. « Récemment, on a observé une hermine », dit Magali, habitante et membre de la commission jardin. Les fauvettes à tête noire, rougequeues et mésanges sont aussi de plus en plus nombreux à venir se régaler des insectes et baies qui prolifèrent au pied des immeubles bardés de bois.

Lauréats du prix Binding

Ces multiples initiatives pour favoriser le vivant ont séduit en 2023 le jury du prix Binding pour la biodiversité, qui a remis un chèque de 100 000 francs au quartier. Cet énorme coup de pouce a rendu les habitants fiers du travail accompli, mais il a aussi entraîné beaucoup de questionnements dans un mode de fonctionnement très participatif. De nombreux échanges démocratiques ont été nécessaires pour attribuer cette somme à des actions concrètes. « En juin dernier, on a organisé une journée de la biodiversité pour lancer officiellement l’appel à projets. C’était un chouette événement avec des spécialistes, des ateliers, conférences, tables rondes... », témoigne Magali. Finalement, un an après l’obtention du prix, onze projets viennent d’être dévoilés. Il ne reste plus aux habitants qu’à voter pour leurs favoris. Au choix : dégoudronnage de certaines rues, végétalisation des façades, installation d’un poulailler et de nichoirs à chauves-souris et hirondelles ou encore creusement d’une grande mare.
De quoi accueillir toute une flopée de nouveaux voisins !

Aller plus loin

Le prix Binding : Créé par la Fondation Sophie et Karl Binding, le prix du même nom distingue chaque année, depuis 2021, un projet écologique en milieu urbain. Un prix de 100 000 francs est versé au projet lauréat et 25 000 francs au deuxième. En 2023, année qui a vu l’écoquartier de Pra Roman être gratifié, le thème était le développement de sites. L’association Areal Bach a également été récompensée grâce à un projet de valorisation de parcelles écologiques autour de la gare désaffectée de St. Fiden, à Saint-Gall. En 2025, le thème retenu par la Fondation Binding est ­santé et biodiversité,
toujours dans le cadre de projets réalisés en ville.

preis-biodiversitaet.ch/fr/

Agir chez soi : Les efforts que déploient les habitants de Pra Roman pour favoriser la biodiversité au pied de leurs immeubles sont inspirants. Mais il n’est pas toujours simple de savoir comment s’y prendre. Si vous voulez suivre le même chemin sur votre balcon, dans votre jardin ou pourquoi pas à l’échelle d’un quartier, nous vous proposons deux beaux guides : Agir pour la nature au jardin, David Melbeck et Sylvain Leparoux, éd La Salamandre, 2021 et Agir pour la nature - balcons et terrasses, Mathilde Planchat-Lévêque et Arnaud Tételin, éd La Salamandre, à paraître mars 2025