Les plantes face aux abeilles voleuses
Les abeilles vident les corolles de leur pollen. Heureusement, les plantes ont plus d’un tour dans leur sac.
Les abeilles vident les corolles de leur pollen. Heureusement, les plantes ont plus d’un tour dans leur sac.
Qu’elle est belle, cette prairie multicolore butinée par des centaines d’abeilles ! Un spectacle bucolique, reposant, qui illustre croit-on le paisible équilibre entre la plante et l’insecte. Détrompez-vous !
Le pillage
Ce qui se passe ici n’a rien de pacifique. Des abeilles, insectes surdoués et efficaces, se livrent au pillage mesuré d’un champ de poudre. Une abeille, ça y va ! Non seulement elle aspire le nectar, mais elle dépouille systématiquement les fleurs de leur pollen. Plus grave encore : elle se nettoie avec ses pattes en plein vol. Entre deux fleurs, l’ouvrière rassemble en effet dans ses corbeilles toute la poussière jaune accrochée à son pelage.
Le pollen si chèrement fabriqué par les plantes risque de nourrir dans son intégralité les larves de l’insecte au lieu de féconder les fleurs qui l’ont produit. Du point de vue de la plante, c’est une catastrophe programmée.
Récolteuses bien armées
Mâles ou femelles, toutes les abeilles recherchent le nectar comme source d’énergie. Mais la collecte de pollen, souvent limitée à un type précis de fleur, est la tâche exclusive des femelles. En d’autres termes, une abeille aux pattes ou à l’abdomen alourdis d’une récolte jaune est forcément de sexe féminin. Les mâles n’ont ni brosses, ni corbeilles.
Seules les femelles sont équipées d’un aiguillon. Cet organe rappelle l’origine de ces insectes : c’étaient autrefois des guêpes qui utilisaient leur dard pour paralyser leurs proies (voir notre article : Jadis des guêpes).
La plupart des abeilles sauvages marquent peu d’agressivité. Leur piqûre est rarement aussi douloureuse que celle de l’abeille domestique. Mais gare aux allergies !
L’escalade
Pour limiter les pertes de pollen, les végétaux ont expérimenté de multiples stratégies : cacher cette poussière convoitée, la rendre indigeste, la coller par la force ou la surprise à l’endroit du corps des abeilles où elles ne parviendront pas à la brosser. D’un côté la plante continue d’attirer l’insecte indispensable, de l’autre elle doit éviter un pillage complet.
Les abeilles vont répliquer, et les plantes surenchérir avec des stratagèmes toujours plus subtils. Cette compétition va stimuler l’évolution à explorer de part et d’autre toutes les voies possibles, aboutissant à environ 20’000 modèles différents d’abeilles pour 250’000 de fleurs. Belle créativité !
Quelques stratégies bien rôdées :
EXPLOSIVE, la douce-amère
La douce-amère produit son pollen dans de minuscules cavités. Impossible de le récolter avec les peignes ou brosses ordinaires. Certaines abeilles ont trouvé la solution. Elles font vibrer les muscles de leurs ailes à une fréquence qui libère la poussière jaune ! Aux dernières nouvelles, les abeilles domestiques n’auraient pas encore trouvé le truc.
INACCESSIBLE, la pulmonaire
La pulmonaire cache son pollen au fond de tubes étroits et inaccessibles. Seules quelques abeilles parviennent à s’en emparer grâce à des poils spéciaux, recourbés en crochet, qui tapissent leur langue.
INDIGESTE, le pissenlit
Le pissenlit décourage les abeilles avec un pollen doublement contre-indiqué. D’abord, il est très indigeste parce que fortement pigmenté. Et puis, ses protéines sont dépourvues d’un acide aminé essentiel pour les abeilles. Un régime pur pissenlit provoque chez elles de graves carences. Mais à petites doses, ça passe !
TOXIQUE, la vipérine
La vipérine semble offrir un pollen de rêve. Exceptionnellement riche en protéines, il est aussi truffé d’un alcaloïde toxique pour la plupart des abeilles. A part quelques spécialistes, celles-ci se contentent en général de son nectar abondant.
BARRICADÉ, le genêt
Le genêt offre généreusement son nectar pour mieux cacher ses étamines derrière deux solides pétales. Il faut les écarter pour accéder au trésor. Seules certaines abeilles savent forcer ce barrage. Mais au fond, la fleur espère la visite d’un bourdon, pour qui elle a prévu deux protubérances en guise de repose-pattes. Quand cet insecte s’est installé dans la bonne position, son poids entraîne par un savant mécanisme le déploiement desdites étamines. Longues et recourbées, celles-ci projettent par-derrière et par surprise un nuage de pollen sur son dos.
VÉNÉNEUSE, la renoncule
La renoncule a le pollen facile d’accès. Mais, de même que cette plante est toxique pour se protéger contre les herbivores, son pollen concentre le poison pour décourager les abeilles. Rares sont celles qui parviennent à le neutraliser. Toutes les autres visitent les renoncules pour leur nectar uniquement.
TOUCHANTE, la sauge
La sauge cache son jeu dans sa lèvre supérieure. Prenez une allumette et chatouillez le fond de la fleur, là d’où suinte son nectar. En appuyant légèrement, vous verrez s’abaisser deux longues étamines recourbées. Quand c’est une abeille qui déclenche le balancier, la fleur lui colle une tache de pollen sur le dos, seul endroit du corps où l’insecte ne parvient pas à se nettoyer. Certaines abeilles ont développé une parade. Elles écartent les pétales des jeunes fleurs en bouton pour se servir de la précieuse poudre avant que le piège ne soit fonctionnel.
Moqueries subtiles
Entre la plante et l’abeille, il y a un équilibre tendu. Car les intérêts des deux parties divergent complètement en matière de pollen.
Parfois, c’est l’insecte qui se moque de la plante. Des bourdons ou des xylocopes cambrioleurs coupent souvent par-derrière la base de certaines fleurs qui cachent leur nectar au fond de longs éperons. Ce raccourci leur permet de déguster une friandise réservée à la trompe des papillons, mais il ruine les efforts de la plante : une fois tarie la source sucrée, elle n’aura plus d’autres visiteurs.
A l’opposé, c’est parfois la plante qui se moque de l’insecte. Des orchidées raffinées - les ophrys - imitent le parfum d’une abeille femelle pour attirer ses prétendants. Excité par cette odeur, un mâle finit par se poser sur un large pétale dont la texture rappelle le corps de la partenaire désirée. Alors qu’il tente vainement de s’accoupler, le chevalier ridiculisé se voit coller une ou deux boules jaunes sur la tête...
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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