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Le moineau, piaf, tout simplement
La place aux 100 moineaux de Neuchâtel
Les moineaux se portent bien en Suisse, au plus proche de l'homme. Reportage et enquête en plein centre-ville.
Les moineaux se portent bien en Suisse, au plus proche de l'homme. Reportage et enquête en plein centre-ville.
8 juin, rue du Musée. En sortant des bureaux de La Salamandre, je n’ai pas fait trois pas que j’entends son cri entre le bla-bla des passants et le moteur des voitures. Tchirp tchirp tchip : le moineau. C’est décidé, ce matin je pars à l’aventure dans les rues de Neuchâtel pour tenter de comprendre pourquoi ces piafs me semblent nombreux ici alors qu’ils se font rares dans bien des centres-villes que j’ai traversés.
Le tram s’éloigne en longeant les eaux bleues. Au bord du grand lac, une poignée de moineaux déambule dans les enrochements. Les mouettes leur ont faussé compagnie pour aller nicher dans les marais, elles reviendront dans quelques semaines. Sur les quais, les bancs sont vides, midi n’a pas encore sonné et la température est un peu frisquette.
Entre les pavés
Direction la place Pury, au cœur de la cité neuchâteloise. Sous les câbles entrecroisés des trolleybus, les voitures vont et viennent dans un mouvement d’accordéon, rythmé par les feux rouges, orange et verts. Dans tous les sens, des femmes et des hommes filent à grandes enjambées ou à pas mesurés, avec ou sans cravate, avec ou sans masque anti-Covid. Parmi cette foule qui retrouve la vie sociale, la cohorte des oiseaux urbains est toujours là. Entre les nuages qui défilent, des martinets noirs lancent leurs appels stridents. J’entends crisser le chant du rougequeue noir à l’angle d’un chéneau, tandis qu’une ombre passe sur la statue du bienfaiteur de la ville, David de Pury : un goéland leucophée. Sans oublier une corneille noire qui se toilette et croasse sur un panneau d’information. Le tableau des volatiles citadins serait incomplet sans l’inévitable pigeon. Des kilomètres de fils métalliques disposés le long des toitures sont censés décourager ce biset domestique. A voir les dizaines qui se dandinent sur les pavés, je ne suis pas convaincu du résultat.
Et les moineaux alors ? Justement, près de l’arrêt de bus, une fillette s’agenouille avec sa brioche et leur propose quelques miettes. Qui de l’enfant ou des oiseaux est le plus attiré par l’autre ? Les piafs se tiennent à 50 cm et évaluent la situation. Un mâle plus gaillard s’approche en sautillant, mais recule au passage trop proche d’un badaud pressé. L’enfant patiente encore, bras tendu, pendant que sa mère papote. Puis, en une fraction de seconde, l’audacieux moineau saisit la portion de viennoiserie lors d’un habile vol sur place, avant de s’écarter à quelques mètres, poursuivi par le reste du clan.
Mais qu’ont-ils d’autre à avaler que ces offrandes ? A première vue, les pavés me paraissent on ne peut plus propres. Et pour cause, ils sont probablement nettoyés tous les jours. Début de réponse un peu plus loin, rue du Coq-d’Inde. Des bancs circulaires entourent complètement les troncs des platanes et protègent le pied des arbres des machines balayeuses. Quelques moineaux profitent évidemment de ce refuge à miettes parmi les mégots.
Pique-assiette
10 h 38, je me dirige vers ce qui me semble un point stratégique d’observation : une terrasse de café. Commande de boisson chaude passée, je n’attends pas une minute avant d’avoir de la visite. L’oiseau malin voit très vite l’absence de nourriture et repart. En revanche, dès que j’ai ouvert la capsule de crème, une moinelle débarque sur la table, se saisit du récipient et le renverse pour en boire le contenu. Quelle effrontée ! Un mâle la rejoint aussitôt. Les deux oiseaux ont l’air de coopérer dans cette tâche opportuniste, voire carrément parasite.
Voici donc un couple de moineaux à moins de 50 cm de moi. Un spectacle impensable à la campagne ou même au jardin. C’est l’occasion de détailler cette bête que l’on ne regarde jamais vraiment. Madame d’abord : son regard doux vient de son sourcil chamois clair. Une teinte que l’on retrouve dans ses bretelles dorsales qui alternent avec du gris, du noir et du brun. L’aile joue aussi de cette alternance bariolée. Le bec fort et grisâtre présente une part variable de jaune pâle. Masquant en partie ses pattes roses, son ventre rond est gris poussière.
Une élégance sobre qui lui permet de se faire discrète si nécessaire. Monsieur arbore davantage d’éclat. Sa bouille unique, il la doit à un large plastron noir, surmonté d’un bec de jais et d’un regard prolongé de lores tout aussi obscurs. Sa calotte brune coiffée d’un béret gris achève le portrait du fier passereau. Soudain, dans un décollage précipité faisant valser le pot de laitage, la paire fonce rejoindre un groupe en train de se régaler de sucre. La poudre a été déversée au sol à leur effet par un papi cherchant de la compagnie.
Loft ou cabane ?
Côté gastronomie donc, tant que les rues et les places sont vivantes et animées, l’ombre de la disette ne plane pas sur le quotidien des moineaux. Reste l’amour et l’eau fraîche. Pour la boisson, la fontaine de la place des Halles est une source inépuisable et très convoitée. Les piafs s’y succèdent en permanence.
Reste la question de la suite nuptiale et des berceaux. Où nichent donc tous ces moineaux dans cet environnement très clean où la fissure, la tuile cassée et la fiente n’ont pas bonne presse ? Je tiens peut-être un début de réponse en découvrant une femelle au bec débordant de nourriture. J’attends quelques secondes puis elle décolle avec une trajectoire à 45° jusqu’au troisième étage d’un immeuble. L’oiseau fait une pause sur la tablette d’une fenêtre puis s’engouffre dans le coffret d’un volet roulant. Voilà donc un hôtel sûr et abrité dégoté par le malin piaf. Un squat de luxe, au-dessus de l’enseigne de la plus prestigieuse des marques de montres. J’observe encore deux ou trois manèges semblables.
Le nourrissage bat son plein en ce début d’été. Je peine à identifier le contenu des becquées, mais je n’y distingue pas d’insectes, une source de protéines pourtant nécessaire aux oisillons. Ces petites bêtes sont en effet les grandes absentes de la cité. Je remarque néanmoins une piéride du chou, quelques abeilles domestiques et une charpentière dans le parterre fleuri de la place Pury.
Relève assurée ?
Je poursuis ma quête de gîtes à moineaux. Me revoici rue du Coq-d’Inde où je débusque deux poussins fébriles et tremblants, aux commissures jaune éclatant, tapis sous une chaise de bistrot. Ils piaillent tout ce qu’ils savent. Leurs cris de famine surpassent le brouhaha ambiant. Les deux parents répondent dans les platanes et c’est en les cherchant que je découvre un nichoir en bois puis toute une série posés par deux. Certains ont des trous menus sûrement destinés aux mésanges bleues – non observées – alors que d’autres sont tout à fait dimensionnés pour le robuste moineau. Les services de la Ville et les associations locales aident les oiseaux à nicher en toute sécurité : voilà probablement une des clés importantes de l’abondance des moineaux neuchâtelois.
Sur le retour, je croise un mâle aplati au sol, tournant sur lui-même, pattes fléchies et queue relevée. Il offre sa plus belle parade à sa belle. Une nouvelle nichée à venir sur la place aux 100 moineaux ?
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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