La ponte des libellules
Chez les libellules, pas question de mettre tous ses œufs dans le même panier. Une stratégie salvatrice face aux caprices de la nature.
Chez les libellules, pas question de mettre tous ses œufs dans le même panier. Une stratégie salvatrice face aux caprices de la nature.
Si les femelles libellules pratiquaient la philosophie, trois courants de pensée s'affronteraient au sujet du meilleur endroit où déposer ses œufs : endophyte, exophyte et épiphyte. Les demoiselles sont unanimement partisanes de la première méthode : endo signifiant à l'intérieur et phyte, plante. Les femelles insèrent leur ponte dans le tissu des joncs, laîches et roseaux ou dans des débris végétaux flottants. Parmi les anisoptères, les avis divergent. Les aeschnidés se rallient au courant endo , mais se permettent quelques libertés. Ils enfouissent aussi leurs œufs dans la tourbe, la boue ou la terre des rives. Les cordulégastres, qui fréquentent les eaux vives, cachent les leurs dans le sable.
Deuxième stratégie : certains anisoptères ont développé l'approche exophyte. Ils déposent leurs œufs directement sous la surface de l'eau ou les larguent depuis les airs. C'est le cas des cordulidés et des libellulidés. Enfin, quelques rares espèces comme la cordulie métallique ou la cordulie arctique prônent une troisième méthode : la ponte épiphyte, qui consiste à coller ses œufs sur des végétaux, des mousses dans leur cas.
Layettes bien pensées
L'aspect des œufs diffère selon le berceau où leur mère les dépose. Ceux qui sont glissés entre les fibres végétales sont allongés, cylindriques, parfaitement conçus pour se loger dans un espace étroit. Les œufs plongés directement dans l'eau affichent plutôt une allure arrondie. Initialement de couleur crème à jaune pâle, ils brunissent rapidement pour se confondre avec leur environnement. Certains, comme ceux des gomphes, sont enrobés d'un mucus protecteur qui gonfle au contact de l'eau et permet aux amas ainsi formés d'adhérer à la végétation. La cordulie à deux taches forme
même un cordon gélatineux de 15 à 20 cm. Enroulé en une boule compacte sous l'abdomen de la femelle, il est largué depuis les airs. Plongé dans l'eau, il se déroule et s'emmêle entre les tiges des plantes aquatiques. Ne reste plus aux embryons qu'à entamer leur développement.
Planning familial
Pour la suite, il y a peu de règles et beaucoup d'exceptions. Le développement de l'embryon prend d'une à trois semaines en fonction de l'espèce et des températures. Même au sein d'une même couvée et dans des conditions environnementales identiques, l'éclosion n'a pas forcément lieu au même moment. Une belle façon de faire face à toute éventualité : si un prédateur ou une météo venaient à éliminer les premiers-nés, leurs frères et sœurs, encore protégés sous forme d'œufs, écloraient sous de meilleurs auspices.
Naissances programmées
Pour mettre toutes les chances de leur côté, les œufs déposés en fin d'été ont la faculté de stopper leur croissance pour passer l'hiver en l'état : c'est la diapause. Ils se développeront et écloront au printemps suivant. Les toutes jeunes larves sont en effet très sensibles aux basses températures. Cet ingénieux stratagème leur permet de profiter des premiers beaux jours au lieu de risquer de naître lors d'un automne peu clément. La diapause est génétiquement programmée et surtout observée chez les lestes, les aeschnes et les sympétrums. Toutefois, le système reste souple. Les cordulies alpestre et arctique produisent à la fois des œufs à développement direct et des œufs à diapause. Plus l'été avance, plus la proportion des seconds est importante.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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