Les ponts de pierre du Jura
Ah, les petits ponts de pierre ! On s’y penche, on y pêche, on s’y prend à rêver. Près de Baume-les-Messieurs, en Franche-Comté, ceux de la Haute-Seille ont su garder un charme de vieille gravure.
Ah, les petits ponts de pierre ! On s’y penche, on y pêche, on s’y prend à rêver. Près de Baume-les-Messieurs, en Franche-Comté, ceux de la Haute-Seille ont su garder un charme de vieille gravure.
Le bout de bois arrive à toute allure contre les enrochements. Freiné dans sa course, il s’arrête, coincé entre deux pierres, virevolte puis repart, poussé par le courant. Accoudée sur le rebord du pont, je ne le quitte pas des yeux. Bientôt, la branche disparaît sous l’arche, engloutie par la pénombre. Et moi, comme une enfant, je cours l’attendre de l’autre côté, soucieuse de son sort, réjouie de la revoir.
Des générations d’enfants et d’adultes se sont à coup sûr arrêtées là, pour le même jeu. Polies par l’usure, les pierres du parapet s’en souviennent encore.
Quand le diable s’en mêle
En matière de jolis ponts, la Seille est généreuse : ils sont une bonne douzaine à jalonner ses premiers kilomètres. Certains, situés sur le tracé de chemins oubliés, disparaissent sous la mousse et les fougères des berges. D’autres enjambent discrètement son cours au détour d’un hameau ou prolongent les murets de pierres sèches des villages comtois.
Tous ont eu leur heure de gloire. Car construire un pont de pierre, même petit, est un projet ambitieux. Au Moyen Age, on faisait déjà appel à une main-d’œuvre qualifiée : maîtres maçons et charpentiers s’appliquaient à monter les piles et à cintrer les arches, tandis qu’une équipe d’ouvriers s’acharnait, à grand renfort de pompes et de godets, à détourner le cours d’eau pendant la durée du chantier.
Souvent, la nature remportait la bataille : orages et crues avaient tôt fait de réduire à néant le travail de plusieurs semaines. La protection divine était constamment sollicitée. Pour certains ouvrages, communément baptisés « Pont du Diable », on raconte que les maîtres d’œuvre s’étaient résignés à conclure un pacte avec le Malin pour arriver à leurs fins !
A-Dieu-vat !
Trait d’union entre deux rives, passage obligé des bergers, des artisans, des commerçants, des voyageurs, des soldats ou encore des pèlerins attirés, comme ici à Baume-les-Messieurs, par le rayonnement d’une abbaye, le pont fut de tout temps indispensable.
Colosses aux pieds fragiles, les ponts de pierre n’ont pas traversé les siècles sans dommage. Beaucoup ont été détruits pendant les guerres ou, plus récemment, remplacés par des ouvrages de fer et de béton. Les rescapés sont en sursis, car la nature poursuit inlassablement son travail de sape. S’il en était autrement, les vieux ponts de pierre auraient, j’en suis sûre, beaucoup moins de charme…
La renouée n’est pas un ange
Les ponts construits en pierres taillées, agencées sans mortier, sont plus résistants, mais ils se font très rares. Généralement, les maîtres d’œuvre utilisaient un lien à base de chaux pour jointoyer les moellons : prompt à se désagréger, ce mortier nécessitait un entretien régulier.
Aujourd’hui, par souci d’économie, la réfection des anciens ponts se fait presque systématiquement à grand renfort de béton. Ces atteintes peu scrupuleuses au patrimoine historique apportent aussi leur lot de misères à la nature. Un seul exemple ? La renouée du Japon, plante invasive qui s’installe volontiers dans les gravats des entreprises de terrassement, profite de ces chantiers pour propager sa semence au bord des rivières.
Une fois installée, la plante a beau jeu de confier ses graines au courant, qui les déposera en aval. Résultat ? des kilomètres de berges étouffent déjà sous d’épais massifs de renouée exotique, au grand dam de la flore et de la faune.
Découvrez pourquoi les plantes envahissantes progressent tant, avec notre article.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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