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Secrets de longévité
L’immortalité est elle biologiquement possible ?
A l’Université de Genève, la professeure Brigitte Galliot étudie les processus permettant à l'hydre de se régénérer et de résister au vieillissement. Ses découvertes pourraient aider la médecine humaine. Interview.
A l’Université de Genève, la professeure Brigitte Galliot étudie les processus permettant à l'hydre de se régénérer et de résister au vieillissement. Ses découvertes pourraient aider la médecine humaine. Interview.
Pourquoi sommes-nous incapables de reconstituer un bras coupé comme le ferait une hydre ?
Les mécanismes que cet animal mobilise pour se régénérer sont aussi en nous. Nous les avons tous utilisés au moins une fois pendant l’embryogenèse. D'ailleurs, jusqu’à 6 ou 7 ans, un enfant qui perd la dernière phalange de son doigt est encore en mesure de la faire repousser. Mais cette faculté se bloque avec l’âge. Pour la réactiver, il faudrait comprendre où se situent les freins.
En cas de blessure, les cellules de la zone touchée libèrent des signaux de stress. Des cellules migrent alors vers la plaie, stimulant sa fermeture. C'est là que les signaux sont interprétés différemment : chez l'hydre, le processus de régénération est lancé, alors que chez nous, c'est la coagulation puis la cicatrisation avec la production d’un épais tissu fibreux. Pourquoi cette différence d'interprétation ? Nous l'ignorons encore. Nous savons seulement que le tissu fibreux empêcherait le dialogue entre les couches cellulaires superficielles et profondes, indispensables pour initier la régénération. Cela dit, bien cicatriser comporte aussi des avantages : nous ne saignons pas durant des heures, la plaie ne s’infecte pas et la blessure se referme.
Existe-t-il des pistes pour débloquer le frein de la cicatrisation et encourager la régénération ?
Un chercheur est parvenu à faire repousser le doigt d’une souris adulte en plaçant sur la plaie une bille remplie de facteur de croissance. Mais il faut être prudent dans la manipulation des processus cellulaires. En cas de blessure, les espèces qui régénèrent entièrement comme l’hydre ou partiellement comme la salamandre ou le poisson-zèbre développent un blastème, c’est-à-dire une zone où les cellules prolifèrent massivement au niveau de l’amputation. C'est en fait un cancer qui se termine bien. En serait-il de même chez les humains ? Il faut considérer le risque de cancer si on tente d'induire la repousse d’un membre.
En quoi l'hydre peut-elle nous aider à comprendre notre propre vieillissement ?
Au milieu du XXe siècle, on découvre que lorsque l'hydre est maintenue dans de bonnes conditions, elle se reproduit de façon asexuée par bourgeonnement et ne vieillit pas. Le scientifique belge Paul Brien décide alors de confronter cet animal à une situation stressante en les plaçant à 10 °C. Or, le froid a pour effet de déclencher la reproduction sexuée, puis le déclin et enfin la mort. Le chercheur en déduit que la production d'ovocytes ou de spermatozoïdes épuise les individus qui finissent par mourir.
En 2006, une équipe japonaise renouvelle l'expérience et remarque que les cellules souches qui permettent le maintien du système nerveux disparaissent en parallèle à la reproduction sexuée. Autrement dit, ces hydres vieillissent tout simplement ! C'est à ce moment-là que nous avons pris le relais.
Et qu'avez-vous découvert ?
La première année, nous ne sommes arrivés à rien. La population d'Hydra oligactis que nous avions laissée à 10 °C continuait de bourgeonner gaiement, malgré le temps qui passait. Nous avons alors demandé à nos collègues japonais de nous envoyer leurs hydres, pourtant issues de la même espèce. Et là, bingo ! nous sommes parvenus à induire le vieillissement. Conclusion : nous avions la chance d'avoir deux souches différentes dans notre laboratoire. L'une vieillissait, tandis que l'autre non. Nous pouvions alors commencer à comparer leur fonctionnement. Nous nous sommes aperçus qu'il existait de nombreux points communs entre la sénescence de l'hydre et celle des mammifères. Les neurones ne se régénèrent plus, la capacité musculaire diminue. L'hydre peut donc nous en apprendre beaucoup sur notre propre déclin.
Quoi par exemple ?
Mon équipe travaille sur un processus commun à l'hydre et à l'être humain appelé autophagie et par lequel les cellules digèrent une partie de leur contenu. Cela permet à la cellule de survivre temporairement en cas de privation de nourriture et lui offre l'opportunité de se débarrasser de ses déchets toxiques. Les cellules qui ne se divisent pas, comme nos neurones, sont particulièrement concernées. En effet, les maladies neurodégénératives telles qu'Alzheimer, Parkinson ou la chorée de Huntington sont dues à l'accumulation de ces agrégats nocifs.
Vous voulez dire que l'hydre pourrait nous aider à soigner Alzheimer ?
Si nous parvenons à comprendre comment stimuler l'autophagie chez un organisme entier, nous pourrions peut-être ouvrir des voies pour soigner cette maladie ainsi que d’autres pathologies neurologiques. A cet égard, nous avons comparé la capacité de nos deux souches à éliminer les déchets cellulaires toxiques. Nous avons alors constaté une grosse différence : les hydres qui vieillissent ont une autophagie déficiente, alors que le mécanisme de nettoyage fonctionne parfaitement chez celles qui ne vieillissent pas. Cela ne veut pas dire que les premiers sont atteints d'Alzheimer, mais ça y ressemble. Voilà où en sont nos recherches. Nous ne pouvons pas directement en faire un remède miracle qui encouragerait l'autophagie d'ici dix ans, n'empêche que cela ouvre des perspectives.
Y a-t-il un enseignement à en tirer pour notre vie quotidienne ?
Absolument, si vous mangez entre les repas, vos cellules ont tout le temps accès à du sucre et de la graisse. Elles n’activent donc jamais leur processus d'autophagie, ce qui est très mauvais. La meilleure manière de le stimuler est de pratiquer un peu de jeûne, ce qui nettoiera vos cellules. Nul besoin de se priver à outrance, il suffit juste d'être vigilant. J'ai personnellement banni les friandises lors de nos conférences scientifiques, réunions et pauses-café. Il est important de boire régulièrement, mais pas de picorer deux heures avant un repas. Inspirés par ce constat, certains de mes collègues pratiquent des jeûnes plus longs, par exemple en ne mangeant pas à midi.
La science parviendra-t-elle un jour à rendre l’être humain immortel ?
Honnêtement, je n’y crois pas. Même si nous arrivons à augmenter encore notre espérance de vie en réparant les pièces usagées, en les changeant et en mettant au point des substances qui améliorent notre physiologie, notre stock de cellules-souches baisse irrémédiablement. A un moment donné, nos ressources s’épuisent et nous mourons. C’est inévitable et je pense qu’il faut l’accepter. Mon objectif est plutôt de mieux comprendre les mécanismes du vieillissement afin d’améliorer la qualité de vie des personnes âgées et des patients atteints de pathologies dégénératives. Mais aurons-nous envie de partir lorsque nous resterons en forme jusqu’à 100 ans ?
Que pensez-vous du choix de certaines personnes de se faire cryogéniser à leur mort dans l’espoir d’être ramenées à la vie lorsque les avancées scientifiques seront suffisantes ?
Je pense que c’est bidon. Dans notre laboratoire, nous conservons certes nos échantillons de cellules souches dans de l’azote et nous les « ramenons à la vie » par la suite. Mais on parle de cellules là ! Faire repartir un organisme entier, je n’y crois pas du tout. Nous n’y arrivons même pas avec des animaux aussi simples que nos petites hydres, alors un humain… Je peux comprendre le refus de la mort, personne n’a envie de s’y confronter. Mais l’humanité a besoin de se régénérer avec les générations suivantes et il faut leur faire de la place. C’est la vie.
Histoire d'une découverte
Les incroyables capacités de régénération de l'hydre ont été découvertes en 1744 par le mathématicien Abraham Trembley. A l'époque, ce Genevois travaille en tant que précepteur et assure l'éducation des deux enfants d'un comte hollandais. En bon professeur, il les emmène observer la faune et la flore de l'étang, sis à côté de leur manoir. C'est là que le scientifique découvre un étrange petit organisme blanchâtre. Abraham Trembley se demande alors si cette chose est un animal ou une plante. Ce genre de question est très en vogue parmi les scientifiques de l'époque qui cherchent par exemple à savoir à quel règne appartiennent les coraux. Le Suisse décide de mener un test simple : couper cet individu en deux. S'il régénère, il s'agit d'une plante. Si au contraire il meurt, c'est un animal. Résultat : l'étrange créature régénère en trois jours. Mais le mathématicien est sceptique. Son sujet d'étude se contracte lorsqu'il le touche, il se déplace et ses tentacules attrapent des proies… Le Genevois comprend qu'il vient de faire une importante découverte : un animal capable de se reconstituer comme un végétal. Il lance un élevage et mène différentes observations et expériences. Il baptise aussi la créature du nom d'un monstre mythologique capable de faire repousser ses têtes coupées : l'hydre. Ne reste plus à Abraham Trembley qu'à informer ses pairs de cette découverte majeure. Il envoie alors des hydres aux quatre coins de l'Europe. En ouvrant les boîtes, les chercheurs découvrent un liquide puant sans intérêt. Forcément, les hydres n'ont pas tenu la distance… Malgré ces problèmes de logistique, le mathématicien réussit à convaincre de nombreux scientifiques de reproduire l'expérience chez eux. L'opération séduction remporte un grand succès, en particulier auprès de l'Académie anglaise des sciences. Trembley se fait d'ailleurs voler la vedette par un Britannique qui publie l’histoire avant lui et s'en attribue les mérites. Mal à l'aise, l’Académie finit par lui décerner la médaille Copley, soit l’équivalent de l'actuel prix Nobel. Depuis, la science ne cesse de s'intéresser à la petite immortelle des étangs.
Observer une hydre ?
Cherchez cet étrange petit animal entre mars et novembre au bord des mares et des étangs… pour autant que l'eau ne soit pas polluée. Très sensible aux métaux lourds et aux détergents, l'hydre est en effet un excellent indicateur écotoxicologique. On peut donc être immortel et fragile à la fois.
Penchez-vous et regardez dans l'eau sous les feuilles des nénuphars, examinez les brindilles… Il faut avoir l'œil, car cet animal, déjà très petit, se contracte lorsqu'il est effrayé. Si vous en voyez un, embarquez-le doucement avec son perchoir dans un bocal en ajoutant un peu d'eau. Pour bien l'observer à travers une bonne loupe, laissez-le se décontracter tranquillement, idéalement à une température de 18 °C - 20 °C. Puis ne tardez pas trop avant de relâcher votre trouvaille.
Brigitte Galliot
- 1956 : naît à Paris où elle grandit et obtient un doctorat en médecine.
- 1982 : travaille aux hôpitaux universitaires de Strasbourg et décroche en parallèle un doctorat en biologie moléculaire.
- 1993 : rejoint l’Université de Genève et crée son groupe au sein du Département génétique et évolution de la faculté des sciences.
- 2018 : devient vice-rectrice de l'université de Genève.
La Salamandre remercie chaleureusement pour leur précieuse collaboration durant la rédaction de ce dossier Adrian Aebischer (ornithologue) / Brigitte Galliot (biologiste et généticienne à UNIGE) / Patrick Gassmann (dendrochronologue) / Sophie Jaquier (Station ornithologique suisse) / Laurent Keller (myrmécologue à UNIL) / Jean-François Lemaître (CNRS) / Daniel Rigling (chercheur à Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL) / André Wagner (entomologiste à Aquabug).
Découvrez la suite de notre dossier sur les secrets de longévité.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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