© Maéva Arnold

Prêles, des plantes préhistoriques dessinées par Maéva Arnold

Rendez-vous dans une forêt humide avec des plantes si étranges qu’elles nous font voyager dans le temps.

Rendez-vous dans une forêt humide avec des plantes si étranges qu’elles nous font voyager dans le temps.

© Maéva Arnold

La terre est encore grasse et humide en cette fin de printemps. Attention, ça glisse ! Pour rejoindre le lit de la rivière, je dois m’accrocher aux branches et aux fougères qui bordent le sentier forestier. J’entends l’eau qui coule sur les pierres, mais la brume légère qui couvre le fond du vallon m’empêche d’apercevoir le ruisseau. Une courte forêt de prêles attire mon attention sur le sol meuble des berges. Ces étranges tiges vertes cerclées de brun ne ressemblent à aucun autre végétal. A ce stade, elles rappellent à des antennes de crustacés. En les caressant, je crois toucher des écailles de reptiles, une carapace d’insecte, voire un minéral. Ces plantes bizarres semblent se situer à la croisée des règnes. Alors, je m’agenouille auprès de ce jardin sylvestre et m’évade en pensée dans un passé très lointain.

Me voilà au début du Carbonifère, il y a 350 millions d’années. Le climat est lourd et humide. En lieu et place de ma petite rivière s’étale un marécage luxuriant où des plantes de 10 m de haut poussent les pieds dans l’eau. Ce sont des calamites, un genre de végétaux arborescents très répandus durant cette période géologique. Leur tige, qui peut atteindre 1 m de diamètre, est articulée en plusieurs tronçons. Sur chacun d’entre eux, de courts rameaux sont fixés en verticilles, c’est-à-dire en colliers. Comme l’ensemble de la végétation de l’époque, ces ancêtres des prêles profitent du fort taux de C02 alors présent dans l’atmosphère.

La fin d’un règne

Autrefois, les ancêtres des prêles formaient de véritables forêts, mais ces formes XXL ont disparu au cours du Permien, il y a 250 à 270 millions d’années. Le climat qui leur profitait est devenu trop frais et sec. Les équisétacées représentent la seule famille de prêles qui subsiste de nos jours. On compte moins de dix espèces en France et en Suisse, auxquelles s’ajoutent au moins autant d’hybrides. La variété cultivée est quant à elle issue d’une espèce asiatique plus vigoureuse.

© Maéva Arnold

La faune n’est pas en reste. Une biodiversité abondante se développe et c’est la période faste des arthropodes et des amphibiens. D’énormes libellules de l’envergure d’un faucon sillonnent les airs au-dessus de cloportes primitifs de 2 m de long !

Le marécage est également peuplé de fougères arborescentes et de quelques conifères. Ces derniers sont encore rares, mais ils possèdent de grands avantages évolutifs qui les conduiront bientôt sur le devant de la scène… Leurs vaisseaux internes conduisent en effet l’eau bien plus efficacement que ceux des fougères et des calamites. Un système de croissance performant et une écorce ligneuse leur permettent déjà de culminer à 40 m de haut.

Eau de vie

Contrairement aux plantes à fleurs, les prêles sont restées dépendantes de l’eau pour se reproduire, comme d’ailleurs les fougères. Les gamètes mâles doivent nager dans l’élément liquide à l’aide des cils vibratiles pour rejoindre et féconder les cellules femelles. Peu efficace, cette reproduction sexuée est heureusement compensée par une colonisation végétative via des rhizomes, tiges souterraines pourvues de racines.

En mourant, tous ces végétaux s’enfoncent dans les marais et s’y décomposent d’autant plus lentement que les champignons capables de dégrader la lignine n’existent pas encore. Tout ce carbone enfoui se transformera progressivement en charbon, donnant ainsi son nom à cette période du Carbonifère.

Retour dans la forêt d’aujourd’hui, en ce mois de mai pluvieux. Les prêles qui pointent sous mes yeux sont étonnamment semblables aux calamites d’alors, en miniature. Pour traverser tous ces millions d’années, elles se sont cantonnées aux terrains instables et aux zones humides, où les autres végétaux peinent à s’implanter. Elles étirent de profonds rhizomes sur plusieurs niveaux et se fixent même dans des substrats très meubles. Les deux espèces visibles au bord du ruisseau forestier que j’arpente, la prêle des marais et la prêle géante, en sont une parfaite illustration. Les bouleversements saisonniers comme les crues ne posent aucun problème à ces plantes.

Au contraire ! Des fragments de racines arrachés par les flots iront coloniser les terres en aval. Un moyen très sûr de conquérir de nouveaux territoires. En comparaison, leur reproduction sexuée a bien moins de chance d’aboutir.

Les rayons du soleil dissipent la brume et la surface vert-de-gris du ruisseau se dévoile. Il paraît que les prêles des milieux humides peuvent être menacées par l’accumulation des polluants organiques liée aux activités humaines. Serait-ce si facile de faire disparaître des plantes plus anciennes que les dinosaures ?

Je me rends compte que, malgré leur aspect primitif, les prêles recèlent encore de passionnants secrets. Grâce à leurs rhizomes qui explorent le sol en profondeur, elles sont capables de ramener vers la surface l’eau, le calcium, le phosphore et le potassium, les rendant disponibles pour les autres végétaux. Ce rôle de pompe à nutriments est à l’étude.

Et si la prêle venue du fond des âges était également une plante du futur ?

Prêles à tout

Grâce à leur forte teneur en silice – environ 10 % –, les prêles étaient autrefois utilisées comme papier de verre afin de nettoyer et polir les objets en étain et en laiton. Côté jardin, un purin à base de cette plante est efficace contre les champignons microscopiques et permet d’activer le compost. Au Japon, les jeunes pousses de prêles des champs sont consommées comme des asperges. Enfin, la phytothérapie leur prête des vertus diurétiques, cicatrisantes et reminéralisantes. Prudence toutefois, ces plantes renferment aussi des alcaloïdes qui peuvent s’avérer toxiques.

Couverture de La Salamandre n°269

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 269  Avril - Mai 2022, article initialement paru sous le titre "Prêles historiques"
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