© Arnaud Foltzer

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Option réintroduction

Grand tétras, prise de bec sur les crêtes vosgiennes

Très controversée, l’arrivée de grands tétras norvégiens dans les Vosges fait couler beaucoup d’encre. Décryptage.

Très controversée, l’arrivée de grands tétras norvégiens dans les Vosges fait couler beaucoup d’encre. Décryptage.

« Si un parc naturel régional ne remplit pas sa mission fondamentale d’expérimentation, de suivi et d’évaluation, en toute transparence, qui le fera ? », questionne Olivier Claude, directeur du parc naturel régional des Ballons des Vosges. Avant d’ajouter avec conviction : « L’inconnu, c’est le lot de tous les programmes de renforcement ou de réintroduction. » Pour ce responsable engagé dans le défi du retour du grand tétras, il fallait se donner toutes les chances pour sauver l’espèce dans ce massif du nord-est de la France. « Si ça marche, bingo !

Si c’est un échec, on l’assumera et tous les enseignements bénéficieront à la communauté scientifique et aux autres gestionnaires. »

Passion et division

Olivier Claude est très surpris par les levées de boucliers et le caractère électrique des débats qui entourent ce projet. « On a l’impression qu’on veut raser les Vosges ! On parle de sauver un oiseau et de prendre encore plus soin de nos forêts, c’est tout. Ce n’est pas une première pour la faune régionale, il y a eu le lynx, les cigognes, le castor… Et que dire de la présence du chamois qui a pourtant été introduit ici ! » Il faut dire que l’avis négatif des instances légitimes en la matière, à savoir le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) et son pendant régional le CSRPN n’a pas été suivi. La décision préfectorale d’engager le transfert de tétras norvégiens dans les Vosges dans ce contexte de division a été un tournant à la mi-avril 2024.

Dès lors, les deux camps deviennent farouchement opposés : des ONG en soutien, certaines qui doutent puis finissent par se ranger aux côtés des pour, et d’autres enfin qui mobilisent la justice pour faire capoter le programme. « Ce projet va faire un énorme flop. Ce sera un exemple de ce qu’il faudra éviter d’engager à l’avenir », prévoit le photographe Vincent Munier, enfant du pays. Pour ce fils d’un des grands spécialistes de l’oiseau-forêt, Michel Munier, les Vosges ne sont plus favorables à l’espèce et la décision est politique. « Le Groupe Tétras Vosges estimait la présence à seulement trois poules dans les Vosges en 2023, et aucun oiseau début 2024. » Pour le naturaliste, en l’absence de mâles, « il s’agit d’une réintroduction et non d’un renforcement. » Et d’ajouter : À quoi bon organiser des consultations publiques, si c’est pour balayer l’extraordinaire rejet qui s’y est exprimé ? »

Située sur la frontière entre les ex-régions d’Alsace et de Lorraine (aujourd’hui Grand Est), la réserve naturelle du massif du Grand Ventron et ses 1 647 ha sera-t-elle le théâtre du retour du grand tétras dans les Vosges ? / © Hemis / Alamy

Expatriés sous surveillance

Alors que les bip bip de l’appareil de télémétrie signalent la présence de grands tétras juste en face, sur la crête de la réserve naturelle du massif du Grand Ventron, Fabien Diehl se défend : « Le projet a été pensé de longue date, il bénéficie de trois études de faisabilité, de dossiers d’autorisation, sous le regard d’experts mandatés de l’Union internationale pour la conservation de la nature, en partenariat avec l’Office français de la biodiversité (OFB) et des spécialistes internationaux du grand tétras. » Pour le coordinateur du projet, opposer l’échec des ­Cévennes – où des centaines d’oiseaux ont été relâchés en vain au siècle dernier –, c’est de la mauvaise foi. « Nous nous basons sur l’expertise d’Emmanuel ­Ménoni, grand spécialiste de l’espèce à l’OFB, et sur les résultats encourageants d’opérations similaires en Pologne et en Allemagne », insiste-t-il. En attendant, neuf grands tétras sont arrivés ce printemps depuis la Norvège. Non pas du Grand Nord, mais d’une latitude proche d’Oslo où l’espèce est encore très chassée. « Alors que certains prédisaient leur mort en quelques semaines, les quatre poules et les cinq coqs relâchés sont toujours en vie début août », assure Fabien Diehl avec enthousiasme.

Les dés sont jetés

D’après Arnaud Foltzer, technicien de la réserve naturelle, les données de télémétrie ne montrent aucun comportement aberrant chez les tétras venus des pinèdes scandinaves pour s’acclimater aux sapins vosgiens. « C’est incroyable, les oiseaux visitent des places de chants historiques », s’étonne-t-il. Sur son écran d’ordinateur, il pointe un graphique issu de l’accéléromètre, un petit appareil porté par chacun des neuf oiseaux qui permet de deviner leur activité. « Pour cet individu, on voit de longues périodes d’activité suivies de longues périodes de repos. C’est classique. Mais pour cette femelle, on distingue des phases actives de quelques minutes seulement et des phases passives très longues. C’est le signe très probable d’une couvaison ! » Une première reproduction ? L’avenir le dira.

Neuf pionniers ne suffiront pas à garantir le retour du grand tétras dans les Vosges. Les gestionnaires le savent, il en faudra beaucoup d’autres, 50 par an pendant cinq ans d’après les experts. Pour espérer que les prophéties pessimistes soient déjouées, les Vosges devront retrouver un visage de plus en plus accueillant : de grands espaces de forêts préservées bénéficiant de longues périodes de quiétude, une acceptation sociale durable de la part des usagers d’un massif très fréquenté, etc.

Et puis, il faudra une résilience à toute épreuve des oiseaux importés et de leur éventuelle descendance, dans un habitat nouveau, un relief plus marqué et sous un climat moins froid et plus humide. Echec ou réussite, impossible à prévoir… L’enjeu sera de tenir compte des points forts et des erreurs sans perdre l’objectif de protéger durablement la forêt vosgienne, avec ou sans tétras.

Coq grand tétras en parade au milieu de poules sur une place de chant, dans la région de Norvège d’où sont originaires les individus déplacés dans les Vosges. / © Arnaud Foltzer

Le saviez-vous ?

15 000 : Nombre estimé de grands tétras chassés par an en Norvège, où la population de l’espèce est estimée à 200 000 individus. En France, la sous-espèce pyrénéenne, non chassable jusqu’en 2027 au moins, abrite 90 % des 4 000 couples français.

Musique d’avenir : Alors que la Belgique comptait encore 400 tétras lyres dans les années 1970, la population est tombée à trois ou quatre individus en 2017. Le projet de renforcement en cours dans les landes et tourbières des Hautes Fagnes a permis depuis de relâcher une centaine d’individus venus de Suède. En 2024, 13 mâles ont été dénombrés, contre six en 2023. De bon augure pour l’objectif espéré de 40 ?

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Couverture de La Salamandre n°284

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 284  octobre - novembre, article initialement paru sous le titre "Prises de bec sur les crêtes"
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