Quand le tichodrome investit le vieux bâti
C’est l’hiver. Le tichodrome s’échappe de sa haute montagne pour se réfugier dans les vallées, parfois jusqu’en plaine. Cherchons-le !
C’est l’hiver. Le tichodrome s’échappe de sa haute montagne pour se réfugier dans les vallées, parfois jusqu’en plaine. Cherchons-le !
Une bise légère achève d’effiler le douillet brouillard que la nuit a patiemment tricoté. Comme pour célébrer le retour de la lumière sur ses tuiles grises, le clocher de l’église sonne un coup puissant dont l’écho résonne sur les falaises ventrues. 10 h 30. Le rassemblement clairsemé des croyants pénètre dans le monument séculaire et avec lui le brouhaha des conversations du dimanche.
Ma quête de l’oiseau papillon commencera par les barres calcaires exposées sud et est. Je parie que les faibles rayons du soleil de décembre réveilleront d’abord ces quartiers privilégiés de la vallée. Un écureuil traverse le sentier à la vitesse de l’éclair. Puis s’en retourne avec la même célérité, comme s’il avait brusquement changé d’avis ou oublié quelque chose de très important. Je ris intérieurement devant cette scène. Après quelques minutes d’ascension parmi les troncs nus de chênes et de charmes, la vue sur la roche s’ouvre enfin. Je déplie les trois pieds, puis libère les caches de l’objectif et de l’oculaire. La longue-vue est en place.
Unique en son genre
C’est assez rare pour être souligné, le tichodrome échelette est le seul représentant de la famille des tichodromidés, et la seule espèce du genre Tichodroma… En d’autres termes, il n’y a qu’un seul tichodrome dans le monde, et nous avons la chance de l’accueillir dans les massifs montagneux de Suisse et de France. Plus à l’est, sa répartition s’étend à travers les montagnes d’Eurasie jusque dans le nord-est de la Chine. Aucun autre continent n’abrite celui que l’on surnomme l’oiseau papillon.
Sans trop savoir pourquoi, peut-être simplement par analogie avec la lecture, je commence le balayage en haut à gauche et je longe la ligne de crête vers la droite. Puis je descends d’un étage et renouvelle lentement l’opération. L’idée est de tomber sur le tichodrome lorsqu’il se déplace en papillonnant. S’il est immobile, c’est beaucoup plus hasardeux : le seul espoir est alors d’avoir l’œil attiré par ses mouvements d’ailes nerveux.
Là ! Un ovni furtif volette devant l’écran minéral. Je saisis mes jumelles pour avoir plus de champ de vision. Fausse alerte, ce n’était que l’ombre projetée d’une grive draine sur la paroi. Arcade, iris et pupille retournent dans l’œilleton et la quête reprend…
D’un sommet à l’autre
Les villes et villages abritent un autre oiseau originaire des hauts sommets, et pas seulement en hiver. Le rougequeue noir habitait naturellement les milieux minéraux d’altitude comme les éboulis et les petites falaises. Au fil du temps, il s’est adapté aux constructions humaines, y compris dans les recoins les moins végétalisés et les plus bétonnés. De ses origines, il garde la manie de se percher sur les toits et les points hauts, bien en évidence.
Quelques mètres plus loin, une cavité ovale s’ouvre dans une large faille. Dans la sombre grotte, un grand corbeau occupe ce qui semble être son nid. L’heure n’est pourtant pas encore aux amours pour le gardien de la falaise.
Un mouvement… C’est lui ! Agrippé au plafond de l’antre du corvidé, un minuscule varappeur apparaît à la lumière en effectuant des déplacements brefs dont on ne saurait dire s’il s’agit de sauts ou de vols. Je tourne l’oculaire pour zoomer jusqu’au grossissement 50x. Le tichodrome : gris roche dessus, la gorge blanche et des ailes noires largement tachées de rouge fuchsia. Lors d’un envol plus ambitieux, l’oiseau et son ombre se séparent subitement comme si l’un voulait échapper à l’autre. Mais bientôt, ils ne forment à nouveau qu’un.
De la taille d’un moineau, ce visiteur venu des Alpes fouille chaque recoin de la falaise. Ses ailes démesurées s’agitent alors sans cesse. Que mange-t-il là-haut, pendu dans son monde vertical ? Araignées et insectes, c’est ce que dit la littérature et ce que dicte la logique. Mais dans le détail, les festins de l’oiseau papillon restent secrets, loin des regards. Son long bec fin est parfaitement adapté pour déloger toute bestiole nichée dans les fissures du minéral fendu et effrité.
Féru de vieilles pierres
Entre octobre et mars, le tichodrome peut s’égarer à des centaines de kilomètres des montagnes qui l’ont vu naître. Expatrié en rase campagne, il jette alors son dévolu sur tout ce qui ressemble à une falaise naturelle. Les monuments historiques répondent en tout point aux exigences du traîne-murailles : hauteur, verticalité, richesse en anfractuosités et arthropodes abondants.
En France, le tichodrome s’est offert les parois de Notre-Dame et du Panthéon à Paris, de la cathédrale de Chartres, du château des Ducs de Bretagne à Nantes, de la cathédrale d’Angoulême, de la basilique Saint-Sernin de Toulouse et même celles du Mont-Saint-Michel !
En Suisse, le château de Chillon, l’église de Villeneuve et la cathédrale de Fribourg ne sont que quelques-uns des sites historiques visités par l’oiseau escaladeur.
Il plonge ! En un instant, ses ailes éventail le projettent dans le vide et je le perds derrière un rideau de hêtres. En le cherchant dans les rares portions de roche visibles entre les troncs, la chance me sourit davantage que je ne l’espérais ce matin. Le maître des lieux est là : le grand-duc gonfle son épais plumage en direction du soleil pâle. Ses yeux fermés s’entrouvrent à de rares occasions, lui conférant l’allure d’un bonhomme éméché qui somnole.
Il est temps de redescendre pour le casse-croûte dominical en achevant la boucle du sentier. Le grand corbeau lance son cro-cro-cro guttural, histoire de signifier qu’il fait bien son job de vigile. Au sol, des empreintes de chevreuil parmi les russules vieillies. Encore deux ou trois virages et j’arrive parmi les premières maisons.
Sur la place de l’église, l’office est terminé et les pratiquants sortent au grand jour. Durant cette heure écoulée, j’ai beaucoup regardé le ciel pendant qu’eux le priaient. Ironie du sort, une étincelle rouge sang jaillit de l’angle du monument religieux. C’est le tichodrome qui s’invite à l’apéro sur les vieux murs de la maison de Dieu. Il faut bien admettre que les innombrables jointures de pierres et les façades exposées aux quatre points cardinaux lui offrent un véritable paradis. Dans un élan quasi œcuménique, une locution latine me vient spontanément à l’esprit pour saluer cette chouette matinée : Ave Tichodroma muraria.
Accenteur au rez-de-chaussée
Comme le tichodrome, l’accenteur alpin descend parfois en plaine en hiver. Il est plus difficile à trouver que son voisin des murailles, car il occupe potentiellement un plus grand nombre d’habitats. On peut l’observer dans les vieilles pierres des monuments historiques, mais aussi sur les enrochements de bord de lacs à très basse altitude. Certains ont même atteint la côte atlantique. Plus communément, il hiverne en fréquentant les éboulis, pieds de falaises et pelouses rocailleuses des vallées et piémonts.
Pour aller plus, lisez notre dossier complet sur le tichodrome.
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Cet oiseau unique vit dans les montagnes d'Eurasie, de l'Espagne à la Chine. Peu craintif, sa vie demeure pourtant mystérieuse tant ses territoires sont difficiles d'accès. Pour la première fois au monde, un documentaire (tourné en France et produit par Salamandre Films) est dédié à cet oiseau. À sa beauté, à ses exploits et à son mode de vie totalement original. Une espèce simplement mythique pour tant d'ornithologues...
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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