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Les tritons, héros de la mare
Réveil printanier pour les tritons
Certains soirs de printemps, la plus insignifiante des mares est le théâtre d'une spectaculaire renaissance.
Certains soirs de printemps, la plus insignifiante des mares est le théâtre d'une spectaculaire renaissance.
Chaussez vos bottes, prenez votre lampe torche et descendez au bord d'une mare. Par ce temps doux et prometteur, plongez vos yeux dans l'eau froide. Que voyez-vous ? Regardez, là ! On dirait un dragon bleu avec une ligne traitillée noire et blanche sur le dos. D'abord immobile, les quatre pattes posées sur le fond, le joli monstre s'écarte au bout d'un moment du rai de lumière, puis se propulse d'un coup de queue jusqu'à la surface pour y gober une bulle d'air. Au moment de replonger dans l'obscurité, l'animal révèle une fraction de seconde son ventre orange vif. Aucun doute : c'est un triton alpestre. Malgré son nom, cet amphibien aux mœurs chevaleresques vit communément en plaine. Heureusement pour nous !
Parfum du réveil
Tout a commencé quelques semaines plus tôt par une odeur imperceptible. Une fragrance de vase et de joncs diffusée dans l'air tiède et humide. Les gouttes de pluie qui imprégnaient la terre et détrempaient les feuilles mortes ont fini par chatouiller le museau des amphibiens engourdis dans la litière. Quelques grenouilles rousses maigres et glacées ont été les premières à se réveiller et à suivre ce fil odorant jusqu'à l'étang. Quant au triton alpestre, lui aussi miraculeusement sorti de terre, avec ses flancs terreux, sa peau sèche et ses couleurs tristes, il paraissait totalement insignifiant. Vieux comme l'hiver, lent et maladroit à mourir.
Et pourtant, pas à pas, le triton a voyagé, attiré lui aussi par le parfum. Il a survécu à la dent du putois, au bec du héron, à la traversée d'un ruban de bitume pour rejoindre, après 200 mètres d'une interminable migration, la mare dans laquelle il dansait l'an passé.
L'armure arc-en-ciel
Et là, ne le quittez plus des yeux ! A peine plongée dans l'eau, la vieille défroque de notre héros se déchire sur la tête. Puis le triton tout ravigoté se débat pour s'extraire de son manteau miteux. Finalement, il l'attrape avec les dents pour le retrousser comme un gant et s'en libérer. Sous la peau usée apparaît une combinaison de plongée flambant neuve aux couleurs extraordinaires. Voici le marcheur malhabile transformé en un maître-nageur totalement élégant. La mare est à lui. Après un jeûne de cinq mois, le moment est venu de faire la fête.
En route !
- Comme presque tous les amphibiens, les tritons mâles et femelles se retrouvent dans l'eau au printemps pour s'y reproduire. En plaine, ils se réveillent en février ou en mars, juste après les grenouilles rousses – les plus précoces – et un peu avant les crapauds. Un air humide et une température nocturne d'environ 5 °C déclenchent leur migration discrète de la campagne alentour jusqu'à une mare, un abreuvoir, une fontaine, parfois une simple flaque. En montagne, suivant l'altitude, ce voyage d'un à deux kilomètres au grand maximum peut être retardé jusqu'en juin ou en juillet.
Repéré au nez
Chaque point d'eau dégage un bouquet d'odeurs unique que les tritons mémorisent d'année en année. La spécificité du parfum d'une mare dépend probablement des amphibiens qui s'y trouvent. Ces animaux savent déceler à distance la présence de leurs congénères. Peut-être même ces odeurs les renseignent-elles sur leur degré de parenté.
Déplacé artificiellement dans un autre point d'eau, un triton saura retrouver le chemin de son étang. En revanche, si un scientifique recouvre l'endroit d'un film étanche aux odeurs, la mare n'est plus localisée.
Mare nostrum
Près des trois quarts des tritons adultes qui survivent d'une année à l'autre se retrouvent au même point d'eau. Plus précoces, les mâles seraient plus fidèles à leur mini-royaume de nénuphars et de lentilles d'eau. Cela ne signifie pas qu'ils retournent immuablement sur le lieu de leur naissance. En effet, pendant les deux à quatre ans qu'il leur faut pour devenir adultes, les tritons peuvent parcourir à pattes des distances considérables à leur échelle. C'est à ces jeunes et aux adultes aux penchants nomades qu'il revient de peupler une mare creusée dans un jardin ou dans un parc.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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