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Qui es-tu renard ?
Le renard la nuit par le peintre Jacques Rime
Ce soir, le peintre animalier Jacques Rime vous convie à une nuit à la belle étoile. Apercevrez-vous les amours du renard ?
Ce soir, le peintre animalier Jacques Rime vous convie à une nuit à la belle étoile. Apercevrez-vous les amours du renard ?
Dans un silence pareil, avec un peu d’imagination, vous devriez entendre briller les étoiles. Il n’y a pas un seul nuage dans le ciel. Vous êtes tellement bien dans votre sac de couchage que vous n’avez qu’une envie ; c’est de vous endormir. Mais il ne faut pas rater le lever de lune. Les lueurs de l’astre grandissent à l’Est, et vous pensez qu’il va bientôt sortir. Eh bien non ! Il faut attendre, et attendre encore. Sur la neige, là-bas, une bête se déplace le long des piquets alignés. C’est un lièvre, qui va croquer les herbes qui dépassent à leur pied.
Vous êtes là surtout pour le renard. C’est la saison des amours de goupil, et vous espérez en grappiller quelques bribes des yeux et des oreilles, en croquer quelques brins sur des feuilles de papier. Vous vous êtes installé à la lisière d’un pâturage que vous connaissez bien. C’est une sorte d’amphithéâtre enneigé, entouré de gradins de sapins et de rochers. Et vous attendez dans votre sac de couchage, bien au chaud et bienheureux, la venue de la lune et la venue du renard. Tout au fond de la vallée, sous les grands rochers, ses jolis jappements amoureux retentissent. Vous l’imaginez trottant sur la neige. « Il faudrait qu’il vienne quand la lune est levée. » Et qu’il passe par là, ou là.
Enfin, un liseré de lumière s’allume sur la crête de la montagne. La voilà, la lune ! Ça vous fait la chair de poule. Vous avez vu ça si souvent, mais c’est toujours comme la première fois. Elle grimpe le long de l’arête, monte vers le ciel et montre sa blanche rondeur au monde entier. Devant vous, sur la neige, c’est un grand jeu d’ombres et de lumières. Vous ne pensez plus à dormir ; c’est tellement beau. Vous êtes un peu tendu, vous voulez regarder partout à la fois, vous ne voulez rien rater. Une bête peut sortir n’importe où, à n’importe quel moment. Mais votre esprit se calme, à mesure que la lune monte, que les ombres tournent sur le sol et que le sommeil s’invite sournoisement au spectacle. Et vous pensez au renard.
Comment c’est, dans leur tête, dans leur ventre, quand vient la saison des amours ? Déjà à Noël, ça commence un peu ; ça sourd sous leur pelisse, cette envie d’on ne sait quoi. Goupil devient toujours plus agité, nerveux, oubliant parfois au terrier sa légendaire prudence. Lorsqu’il sent l’odeur d’une renarde sur une motte d’herbe, contre un caillou, sur une taupinière, ça lui fait quelque chose. Le renard est un poète, un sensible. Il est vite ému par les effluves de la renarde. Et elle aussi d’ailleurs ! Alors, durant des semaines, sous la pluie, sous la neige, sous les étoiles, ils vont chercher, chercher, marquer, appeler, crier leur inapaisable envie de rencontre.
La lune a fait un grand bout dans le ciel. Vous avez sûrement dormi. Vous vous réveillez étonné et heureux d’être là. Autour de vous, tout est beau, froid, silencieux. Le renard est peut-être passé pendant que vous dormiez ? Vous avez même ronflé et il vous a entendu. Aïe ! Ouvrir l’œil ! Et le temps va passer encore, lentement, chaloupé de vagues de sommeil, de veilles engourdies, la tête un peu bourdonnante de fatigue. Mais quelle belle nuit. Vous avez vous aussi des envies de rencontres, des envies de voir des bêtes sauvages.
Vous sursautez. Trois chevreuils sont là, apparus par enchantement. Ils traversent la clairière comme des ombres. Ils font les fous, se poursuivent et disparaissent dans la forêt. Ce n’est pas fini. Une renarde longe la clôture en marquant des piquets. Un mâle la suit de près, cauteleux, empressé, courtisan. Plusieurs fois, la renarde fait volte-face violemment, la gueule grande ouverte, pour le remettre au pas.
En voilà encore un… la renarde a du succès. Les deux mâles se pressent autour d’elle, se poursuivent, se battent en caquetant comme des poules. ça ne paraît pas très sérieux, et les coups de dents des comédiens n’atteignent que leur fourrure.
En voilà encore un autre, drôlement décidé, plus trapu, plus épais, avec une grosse tête ronde et des allures de chat. Il ne s’arrête même pas une seule fois. Il va droit vers le petit groupe, en faisant le dos rond, hérissant les poils, doublant de volume. Il va y avoir de la bagarre. Eh bien non ! Les courtisans s’enfuient. Seule la renarde reste. Le grand mâle calmé et digne la rejoint. Les deux bêtes se sentent, se tournent autour, esquissent quelques coups de dents, quelques prises de gueule. Ils se parlent, bien sûr. Ils se chantent des choses qui ne sont pour vous que glapissements terribles, hululements lugubres, plaintes de désespérés.
L’opéra de leurs amours résonne dans la clairière, sur la forêt, sur les montagnes et, si vous écoutez bien, jusqu’aux étoiles. Quelques poursuites, quelques câlins, quelques miaulements… la fin de la nuit promet d’être belle, là-bas, sous les grands sapins où ils disparaissent. Les deux éconduits reviennent sentir, marquer, rêver. Plus la peine de se battre. Chacun part de son côté chercher d’autres aventures. Le petit ballet est terminé.
Voici l’aube. Voilà le jour. Vous espérez, en vain, le premier chant de la grive draine. Il fait encore trop froid. Et vous pensez tout haut que les hulottes n’ont pas chanté et que c’est bientôt le moment du petit-déjeuner.
Le renard ! Il est là, sur la neige, droit devant vous, magnifiquement fourré de roux, d’ocre jaune, de gris. Et cette tête aux larges joues blanches, ces yeux bridés ocre brun, ce regard malin qui brille dans un masque sombre. Le larmier foncé qui coule jusqu’aux lèvres noires, le menton et la gorge blancs, le poitrail gris et les bottines noires. Il est en chasse, superbement à son affaire. Il s’arrête. Il écoute, la tête penchée, ses oreilles de velours noir tendues vers un bruit. Une patte antérieure levée, repliée en arrière, toute l’allure, la tension, toute l’attention, dans cette ligne tirée d’un seul coup de crayon, du bout du museau au bout de la queue. Le dos s’arrondit lentement. Les pattes se replient un peu. La tension est à son comble chez lui comme chez vous… Et hop ! Le saut de l’ange roux, magistral. Il s’envole et vous vous envolez avec lui.
Le renard retombe sur ses pattes de devant. Quelques mouvements nerveux des pattes et du museau fouillent la neige, la queue battant l’air. Sa tête réapparaît tout enneigée avec un gros campagnol dans la gueule. Vous imaginez son palais, sa langue, ses dents, ses lèvres sentir la frémissante chaleur de la proie. Le malheureux campagnol est vite avalé. Vous pensez à lui. Il est tout rond, tout dodu, avec, piquées dans sa boule de fourrure, les deux petites billes noires de ses yeux. Vous lui auriez souhaité une longue vie de campagnol, comme au renard d’ailleurs. Mais c’est comme ça. Ce matin c’était le tour du campagnol. Un jour, ce sera celui de son prédateur. A propos, c’est aussi la saison de la chasse au renard. Hier soir, il y a eu deux coups de feu. Ça vous a quand même fait mal au ventre.
Passent les lunes, les giboulées, les pluies… Et voici les premiers chants des grives draines. La renarde a rôdé toute la nuit. Elle arrive sous une barre rocheuse, se couche sur la terre sèche, s’enroule dans sa queue et s’endort au soleil. Dans son ventre qui monte et qui descend au rythme de sa respiration, il y a des souris, bien sûr, mais aussi des petits tout chauds et bien vivants. Chaque nuit, les étoiles offrent leur incommensurable énergie pour faire grandir ses renardeaux, mais aussi les arbres, les fleurs et les petits d’hommes.
40 cris pour le renard
Le renard ne se contente pas de glapir. Des études détaillées ont permis de différencier plus de quarante émissions vocales différentes dont l’amplitude s’étend sur cinq octaves ! A distance, les renards s’informent sur l’occupation d’un territoire, sur leur statut social ou sur leur sexe. Il est probable qu’ils puissent se reconnaître individuellement à la voix. De près, combinées à des mimiques et à des postures, les expressions vocales nourrissent la cohésion du groupe et définissent la place de chacun. Le cri le plus fréquent est un aboiement de trois à cinq syllabes se terminant de manière aiguë. Quand la renarde veut mettre ses petits à l’abri, un jappement unique provoque la fuite éperdue des renardeaux vers le terrier.
Ecoutez les vocalises du renard, enregistrées par Boris Jollivet.
Panache !
En général, on surestime largement sa taille. C’est grand comment, un renard ? A peine plus qu’un gros chat auquel on aurait rajouté une longue queue touffue. Cette queue souvent terminée par un toupet blanc représente plus du tiers de la longueur de l’animal. Elle lui sert de gouvernail et de balancier lors de ses changements de direction ou de ses sauts. En hiver, le renard au repos réduit ses pertes thermiques en se roulant en boule et en la ramenant devant son museau et sur ses pattes. Enfin, son allure révélerait l’état de santé et le statut social de son propriétaire. Les renards dominants auraient toujours une queue bien touffue et de belle taille.
L’un dans l’autre
L’excitation gagne les renards mâles courant décembre. Ils deviennent alors agressifs et parcourent de grandes distances à la recherche d’une femelle. Patience, car celle-ci ne sera réceptrice que durant trois jours en moyenne, généralement courant janvier en plaine et plutôt en février en montagne. L’accouplement ne dure que quelques secondes mais les partenaires peuvent rester accrochés un long moment l’un à l’autre, parce que, gonflée à bloc, l’extrémité du pénis du mâle reste coincée dans sa partenaire. Si tout se passe bien, de petits renardeaux aveugles et couleur chocolat naîtront 53 jours plus tard.
Doudoune
La fourrure du renard est une merveille qui s’adapte aux saisons. Quand les jours raccourcissent, les poils s’allongent pour atteindre au début de l’hiver une dimension impressionnante. Son tour de taille double presque par rapport à l’été. Le voilà équipé d’une polaire ultra-isolante formée de poils de bourre longs d’environ 4 cm, puis d’un manteau de poils de jarre qui atteignent jusqu’à 10 cm de long. Ainsi équipé, il ne ressentirait pratiquement pas le froid jusqu’à une température de -13°C. Ce sont les qualités exceptionnelles de cette fourrure qui lui valent encore d’être piégé par milliers dans le Grand Nord. Au printemps, les vieux poils tombent par plaques, d’abord le long des pattes puis sur le corps. Cette mue nécessaire lui donne durant quelques semaines une drôle d’allure.
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Découvrez la vidéo de Jacques Rime sur ses plus beaux moments de rencontre avec maître Goupil.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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