Rencard avec la belle de nuit
Etes-vous libre samedi soir ? La séduisante onagre vous invite pour une nuit inoubliable.
Etes-vous libre samedi soir ? La séduisante onagre vous invite pour une nuit inoubliable.
C’est peut-être pour ce soir. Une année et quelques mois après être sortie de sa petite graine, la belle de nuit s’apprête à revêtir enfin sa robe fleurie. Cette métamorphose glorieuse est le couronnement d’une enfance timide. Pendant un premier été, cette plante d’origine nord-américaine n’a formé qu’une rosette de feuilles lavées de pourpre au ras du sol. Quel calvaire alors de capter un peu de lumière entre les gigantesques mélilots ou les tanaisies luxuriantes qui s’épanouissaient déjà à ses côtés sur les terrains vagues, les gravières ou les gares de triage.
Passé l’hiver, l’onagre bisannuelle comme l’appellent les botanistes prend l’ascenseur pour le soleil. Du haut d’une tige dépassant désormais un mètre de hauteur, elle prépare sa revanche. De juin à septembre, chaque soir elle offrira à la nuit un bouquet de fleurs jaunes qui s’ouvriront en quelques minutes à peine. Pour admirer ce spectacle improbable, rendez-vous entre chien et loup au bord d’un chemin ou dans une ancienne carrière.
Messieurs, c’est l’heure !
L’obscurité tombe, le monde perd ses couleurs et l’onagre se fait belle pour la nuit. Parmi les nombreux calices vert pomme rassemblés sur le haut de sa tige, l’un d’eux frissonne très légèrement. Quelques minutes plus tard, un œil s’ouvre entre les sépales raides et laisse transparaître un brin de fleur safranée. Les secondes passent, tout paraît immobile. Regardez de plus près. Le calice continue de s’ouvrir imperceptiblement…
Lever de lune, bal de chauves-souris. Et voilà qu’on devine plus clairement la fleur enroulée en spirale. Le décollage de la floraison est imminent. Compte à rebours. D’abord, les quatre pétales se déploient progressivement en formant une hélice couleur de soufre. Ils poussent sur les sépales souvent encore unis deux par deux. 3-2-1… Bloom ! D’un coup, la fleur explose. Elle aura mis moins de dix minutes pour s’ouvrir.
Remarquablement synchronisés, les différents pieds déploient chacun leurs deux ou trois drapeaux jaunes au quart d’heure près. Alors que la chicorée sauvage et les autres fleurs du talus se referment pour la nuit, c’est maintenant que l’onagre se met sur son trente-et-un. Un coup de parfum qui rappelle vaguement celui du jasmin, et c’est parti pour charmer son monde. La nuit commence à peine. Etes-vous toujours éveillé ?
Uniformément jaunes pour nos yeux aveugles à la lumière ultraviolette, les grands pétales de l’onagre présentent de jolis dessins aux papillons de nuit. Ces insectes capables de voir au-delà du violet repèrent de loin cette fleur claire à l’envoûtante gorge sombre. Des nervures foncées convergent vers la cible au fond de la corolle. C’est là que se trouve la récompense suprême : le nectar sucré. Les fleurs de la belle de nuit sont de véritables pistes d’atterrissage pour sphinx et compagnie.
21h viennent de sonner au clocher du village quand un drone tigré atterrit sur un pétale. Le syrphe s’envole peu après car la fleur capote à l’arrivée d’un mini-monstre articulé : un perce-oreille ! Affamé, il se régale en avalant goulûment des grains de pollen dorés.
23h37. Un objet volant non identifié approche en vrombissant. Son envergure d’environ 8 cm ne laisse guère de doute sur son identité : c’est un sphinx de la vigne. Probablement attiré par leur parfum, le papillon butine du bout de sa trompe quelques fleurs sans jamais se poser.
Pendant toute la nuit, des escales de phalènes et de sphinx se succèdent à l’aéroport de l’onagre. Puis, au lever du jour, le soleil réchauffe brutalement les fleurs délicates. Moins de 24 heures après leur éclosion, les pétales flétrissent comme du papier froissé. Ces aventures d’une nuit ont-elles suffi à la fécondation de la plante ? Qu’importe. Il paraît qu’une grande partie de ces fleurs s’autofécondent avant même de s’ouvrir. Et puis la belle de nuit tentera à nouveau sa chance en fleurissant ce soir, demain et jusqu’au bout de l’été. Un feu d’artifice silencieux à admirer tout près de chez vous.
Noms d’onagre
Sa floraison spectaculaire après le coucher du soleil lui a valu l’appellation populaire de belle de nuit ou en anglais de primevère du soir. L’onagre bisannuelle n’est pourtant pas une primulacée mais une onagracée comme les épilobes. On l’appelle aussi herbe aux ânes , car ces animaux en raffolent. La forme de ses feuilles rappelle d’ailleurs leurs oreilles. Et quid du jambon de Saint Antoine ? Cet autre surnom de l’ancien légume évoquerait le léger goût de jambon de sa racine rose. D’ailleurs, ses jeunes pousses et ses fleurs peuvent être consommées en salade.
Fleur fatale
Vendue comme plante ornementale, l’onagre rose ou primevère du Missouri est une dangereuse cousine de la belle de nuit. Ses magnifiques fleurs blanches teintées de fuchsia sont très parfumées et riches en nectar. Une attraction irrésistible mais fatale pour le moro-sphinx : le tube de la corolle est si étroit que l’interminable trompe de ce papillon y reste coincée. Pour tenter de se dégager, la victime s’agite inutilement et finit par mourir d’épuisement.
Elixir de longue vie
Chez les Indiens d’Amérique, l’onagre était déjà réputée pour ses vertus thérapeutiques. Dès son acclimatation en Europe au XVIIe siècle, elle est considérée comme une panacée royale. La belle de nuit possède en effet des propriétés antispasmodiques, anti-inflammatoires, anticoagulantes et cicatrisantes. Elle sert de remède naturel aux douleurs prémenstruelles, aux troubles intestinaux, aux maladies cardiovasculaires et même aux eczémas. Ses feuilles et ses tiges séchées préparées en infusion sont utiles pour soigner le rhume. Et pour finir, ses graines produisent une huile riche en acides gras polyinsaturés que l’on retrouve dans beaucoup de produits cosmétiques. Car elle ralentirait le vieillissement de la peau.
Sanctuaire à sphinx
Parmi les nombreux amants de l’onagre, le sphinx de l’épilobe est un papillon nocturne aux ailes verdâtres. Appelé sphinx de l’onagre par les Allemands, il se nourrit sur les onagracées et y pond ses œufs. Malheureusement, cette espèce figure sur la liste rouge des insectes menacés d’Europe. Le débroussaillage et la fauche systématique des talus de routes et de chemins de fer où poussent ses plantes hôtes lui sont très néfastes. Quelques pieds d’onagre et d’épilobe épargnés dans un coin du jardin lui rendraient un fier service.
Retrouvez les coulisses du travail de la peintre naturaliste Maeva Arnold.
Nos conseils pour observer l'onagre.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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