L’histoire de la domestication des céréales en 9 idées reçues
Démontons neuf idées reçues sur l'histoire des céréales, des hommes et de quelques autres plantes compagnes.
Démontons neuf idées reçues sur l'histoire des céréales, des hommes et de quelques autres plantes compagnes.
Manger des graminées, c'est déjà l'agriculture.
Faux !
Au bord du lac de Tibériade en Galilée, les vestiges d'un village préhistorique vieux de 20 000 ans ont été exceptionnellement bien conservés dans la boue lacustre. On y a trouvé plus de 90 000 restes botaniques appartenant à 140 espèces probablement consommées par ces hommes de l'âge de pierre. Pistaches, figues, pommes… mais aussi énormément de blé, d'orge et d'autres graminées sauvages. Difficile de savoir en revanche si ces grains étaient consommés en bouillies ou en galettes.
Plusieurs autres villages datant d'il y a douze millénaires en Israël, en Jordanie et en Syrie présentent une architecture plus élaborée avec des fondations de pierre. La fin de la dernière glaciation enrichit les ressources naturelles disponibles dans la région et favorise la sédentarisation. Pourtant, les hommes de cette culture dite natoufienne sont toujours chasseurs-cueilleurs. Toutes les céréales qu'ils consomment, ils les cueillent dans des prairies sauvages.
Les premiers paysans cultivent des céréales.
Faux !
Dans les petits champs, on sème des graminées sauvages, bien avant d'autres plantes comme des fèves ou des lentilles. Mais une céréale, c'est autre chose : une graminée modifiée par l'homme au point de perdre son indépendance. Autrement dit, une véritable plante domestique.
Une fois l'agriculture en place, les archéologues observent, au fil des siècles, une augmentation progressive de la taille des grains. Par ailleurs, la mise en culture favorise des plants à germination rapide et à vitesse de maturation homogène. Ces graminées perdent aussi progressivement la capacité de leurs graines de se détacher à maturité. Tout simplement parce que des plantes qui répandent rapidement leurs semences ont tendance à ne pas être amassées à la moisson, donc à ne pas être engrangées et à ne pas être plantées à la saison suivante.
Tout cela prend du temps, beaucoup de temps. En Anatolie par exemple, pendant mille ans, les premiers paysans récoltent aussi bien des grains cultivés en champs que dans les prairies sauvages adjacentes. Peu à peu, la sélection, d'abord fortuite, devient de plus en plus dirigée par l'esprit humain, aboutissant au final à des variétés domestiques au rendement supérieur et aux grains faciles à décortiquer. Façonnées artificiellement, les céréales sont prêtes pour conquérir le monde.
Un jour, un homme devient paysan.
Faux !
C'est un peu ce qu'on croyait, à savoir que cette révolution se serait produite à un endroit précis en quelques générations. La multiplication des fouilles a changé la vision des archéologues. Le processus s'est étalé sur des siècles et même sur plusieurs millénaires, tout cela dans une large aire géographique.
Au Proche-Orient, on peut commencer à parler d'agriculture il y a 11 500 à 10 700 ans. Peu à peu, on voit apparaître dans les villages les premiers outils agricoles, de grandes meules de pierre et des structures de stockage. Ces réserves attirent des souris dont on retrouve partout les excréments. Quant aux murs de terre battue, ils sont truffés de paille de graminées. Peu à peu, toute l'économie de subsistance se centre sur ces plantes nourricières.
L'agriculture estinventée une seule fois.
Faux !
La révolution agricole n'est pas une exclusivité du Proche-Orient. Mais c'est là qu'elle se serait déroulée en premier. Tous les autres foyers sont plus tardifs. En Chine d'abord, sur les rives du fleuve Bleu, le Yangzi Jiang, les plus anciennes preuves de culture du riz datent d'il y a 7 à 8000 ans. Un millénaire plus tard, deux céréales à petits grains sont domestiquées dans le bassin du fleuve Jaune : le millet commun et le millet des oiseaux.
En Afrique subsaharienne, le millet à chandelles est cultivé il y a 4000 ans dans une grande zone entre Mauritanie, Mali, Burkina Faso et Ghana. Au Mexique, l'agriculture naît à peu près simultanément autour de la culture d'une graminée fameuse, le maïs, et des cucurbitacées. Dans les Andes péruviennes, outre le maïs, on domestique la pomme de terre il y a environ 3000 ans.
Pourquoi là et pas ailleurs ? Sans doute faut-il chaque fois la rencontre somme toute assez improbable entre des plantes nourricières se prêtant à la domestication, des conditions climatiques favorables et un contexte culturel qui permette cette immense innovation.
En Europe, l'agriculture apparaît progressivement.
Faux !
C'est une vague rapide qui balaie le continent européen. Il y a 8000 ans, la révolution agricole atteint d'abord la Grèce et les Balkans. Puis la diffusion des céramiques dessine un double axe d'arrivée des céréales. Par voie maritime, du Proche-Orient jusqu'en Provence et en Catalogne. Et en remontant le Danube, depuis l'actuelle Roumanie jusqu'en Europe centrale. Des hordes d'agriculteurs proche-orientaux ont-ils soudainement conquis le continent ou y a-t-il eu mélange avec les populations locales converties au nouveau mode de vie ?
Surprise ! Les derniers résultats de la génétique publiés en 2015 confirment la première hypothèse. Les populations de chasseurs-cueilleurs européens ont été presque entièrement supplantées par des agriculteurs homogènes génétiquement et donc originaires de la même région. Ceux-ci ont balayé l'Europe jusqu'aux rivages de l'océan Atlantique, en n'intégrant que 7 à 11 % du génome des autochtones. Autrement dit, il y a eu très peu de métissage.
Ces cultivateurs précurseurs ont été à leur tour balayés par une seconde invasion massive à l'Age du bronze, lorsque des populations indo-européennes ont colonisé toute l'Europe. Le Proche-Orient ayant lui aussi connu des brassages de population importants, c'est curieusement en Sardaigne que l'on trouve aujourd'hui le type génétique le plus proche des premiers agriculteurs européens.
Aucune céréale n'a été domestiquée en Europe.
Faux !
Les paysans venant de l'est n'amènent pas seulement dans leurs bagages les céréales, les légumineuses, le bétail, les outils agricoles ou la poterie qui facilite le stockage et la cuisson des aliments. Sans le vouloir, ils importent aussi dans leurs sacs de semences un riche cortège de plantes compagnes des cultures.
Au fil du temps, le travail des champs sélectionne des espèces qui ont le même rythme que les céréales. Et parfois même, des semences de même taille et de même poids. Parmi ces compagnes orientales appelées plantes des moissons ou messicoles, il y a les fleurs du coquelicot, du bleuet, de l'adonis ou du miroir de Vénus… mais aussi des graminées indésirables. Ainsi l'avoine et le seigle, originaires eux aussi du Proche-Orient, arrivent-ils en Europe par la petite porte, comme de vulgaires mauvaises herbes.
Ces deux plantes sont finalement domestiquées en divers endroits du continent, près de six millénaires après le blé. L'avoine a une très haute valeur nutritive et supporte les sols maigres, mais elle craint le gel. Le seigle au contraire résiste très bien au froid. Il y a quelques dizaines d'années, il était encore cultivé dans les vallées alpines, jusqu'à une altitude de 2000 mètres.
Toutes les fleurs des moissons viennent du Proche-Orient.
Faux !
Ce n'est que le début de l'histoire ! Le coquelicot tout comme le bleuet, symboles de ce cortège coloré, sont en effet originaires d'Anatolie. Le travail des archéobotanistes sur les fouilles archéologiques permet de suivre l'arrivée des plantes compagnes en Europe. Dans un premier temps, on dirait que tout se passe de manière aléatoire, au gré des échanges de sacs de céréales. Chaque village a son petit cocktail d'introduites. Et puis, curieusement, il y a 3000 ans, à l'âge du Bronze, cette flore des cultures s'homogénéise sur tout le continent, sans doute à la suite de l'intensification des échanges commerciaux.
Ce premier arrivage oriental s'enrichit à l'époque romaine par un second cortège de plantes d'origine plutôt méditerranéenne. Dans un troisième temps, avec la découverte du Nouveau Monde et l'importation du maïs, de la tomate ou de la pomme de terre, de nombreuses espèces américaines rejoignent et enrichissent la flore compagne des cultures.
Les fleurs des moissons ne sont que des mauvaises herbes.
Faux !
Qu'est-ce qu'une mauvaise herbe ? Simplement une plante qui pousse au mauvais endroit… du point de vue de l'homme ! Autrefois, aussi coloré qu'il soit, le cortège des plantes des moissons diminue le rendement modeste des champs de céréales. Mais aujourd'hui, l'industrialisation de l'agriculture avec engrais azotés et herbicides débarrasse les champs de la plupart des anciennes compagnes des céréales : adieu nielle des blés, dauphinelle des champs ou encore adonis annuelle.
Etroitement liées aux cultures par plusieurs millénaires de coévolution, un grand nombre de ces plantes spécialisées disparaissent, alors qu'elles étaient autrefois très communes. En Suisse, leur diversité a chuté de 60 % en un siècle et de nombreuses espèces se sont éteintes. En France, il subsiste encore des îlots avec une flore diversifiée ici ou là en Provence, dans le Massif central ou les Pyrénées. Mais pour combien de temps ?
C'est le progrès qui a transformé celles qu'on qualifiait autrefois de mauvaises herbes en raretés patrimoniales.
L'agriculture chimique et industrielle est l'avenir de l'humanité.
Faux !
On commence heureusement à s'en rendre compte. L'agriculture moderne a triplé ou quadruplé les rendements en un siècle… mais elle a aussi dépossédé les agriculteurs de leurs propres moyens de subsistance : les tracteurs appartiennent à la banque et les semences aux multinationales agroalimentaires. Elle a épuisé les ressources de notre planète, détruit la biodiversité à large échelle et fini par nuire même à la santé de ceux qu'elle devrait nourrir.
Devant cette voie sans issue, la prise de conscience est de plus en plus forte. L'essor de l'agriculture biologique est spectaculaire, tout autant que la reconstitution de liens directs entre agriculteurs et consommateurs. Les anciennes variétés de céréales rustiques reviennent à la mode alors que de nouvelles méthodes de culture écologiques dépassent les rendements promis par l'agrochimie. Ouf, nous pouvons espérer un avenir durable.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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