Robe brune pour le lièvre variable
Avec sa fourrure toujours assortie à la saison, le lièvre variable est une créature insaisissable. Bertrand Gabbud nous raconte son face-à-face improbable avec ce roi du mimétisme.
Avec sa fourrure toujours assortie à la saison, le lièvre variable est une créature insaisissable. Bertrand Gabbud nous raconte son face-à-face improbable avec ce roi du mimétisme.
D’habitude, lorsque le réveil me tire de mes rêveries durant le week-end, c’est pour partir à la rencontre des bêtes de l’Alpe. Depuis mon adolescence, je les cherche dans mon coin de Valais, mais aujourd’hui, c’est un tout autre objectif que je poursuis. Je veux faire découvrir à ma petite famille un paradis où la nature a disséminé une myriade de lacs vert émeraude. Comme dans un miroir, les montagnes y projettent leurs plus beaux atours en cette fin d’été.
L’air est frais et vivifiant. Nous attaquons le raidillon qui nous conduit vers ces merveilles. Les nuages virevoltent, des brumes jouent à saute-montagne donnant un air d’Ecosse à ces hautes terres. Des ombres se dessinent à travers ces nuées et le pierrier prend un air grave. Au détour d’un sentier, nous nous retrouvons nez à museau avec de solides bouquetins qui paissent la maigre herbe déjà jaunie. Les anneaux qui s’imbriquent année après année à l’arrière de leurs cornes comme des cornets de glace témoignent qu’il s’agit de vrais patriarches. Leurs beaux yeux ambre nous surveillent depuis le bord de l’abîme.
Un rayon de soleil tente une percée, comme pour effacer les prémices de l’hiver qui a saupoudré quelques pellicules blanches de-ci de-là. La scène prend des allures de théâtre géant.
Soudain, le cri guttural d’un lagopède alpin retentit dans le pierrier. Quelques crottes ponctuent ses empreintes en croix et laissent deviner la présence invisible de celui qui hante ces terres d’altitude, été comme hiver. Je scrute le pierrier en espérant découvrir cette boule de plumes que je connais bien. Rien ne bouge. Le temps est comme suspendu dans l’attente d’une rencontre. Mais les enfants s’impatientent. Il est temps de repartir.
Réveillés par ces traces de vie, mes yeux vont et viennent entre le sentier et le chaos de pierres. Quand le brouillard retire son voile, je marque de courtes pauses pour scanner les environs. Tout à coup, une forme arrondie attire mon attention… Immobile entre les blocs du pierrier, un blanchon défie mon regard au fond des jumelles. Malgré son surnom, qui fait référence à sa fourrure hivernale immaculée, le lièvre variable est encore brun gris à cette saison. Mes enfants ont de la peine à le distinguer tant il se fond dans son milieu.
Malheureusement, je n’ai emporté qu’un zoom léger pour prendre quelques photos de paysage. Confiant dans son invisibilité, le lièvre m’observe du coin de l’œil. Alors, je l’approche très lentement, sans abuser de sa tolérance tacite. L’image réalisée aujourd’hui est tout aussi intéressant qu’un gros plan… et je suis fier de ne pas avoir dérangé mon sujet.
Crottes en boucle
Le lièvre variable produit deux sortes de crottes : la nuit, il évacue des boulettes légèrement ovales et relativement sèches et, le jour, de petites croquettes molles et enrobées de mucus. Si les premières constituent des indices précieux de sa présence, les deuxièmes disparaissent aussitôt, avalées par son propriétaire ! La réingestion des crottes, ou caecotrophie, permet à cet animal de récupérer des protéines, des vitamines et des sucres qui n’avaient pas été absorbés lors du premier transit. Une astuce très pratique pour ce végétarien inféodé aux zones alpines les plus désolées.
Variable et audacieux
Linné l’avait baptisé Lepus timidus, soit lièvre timide. Certes discret, le lièvre variable est loin d’être craintif. Bon, pour s’en rendre compte, il faut déjà le voir ! Pas simple : brun gris en été, ce mammifère se camoufle entre les rochers et les prairies steppiques alpines. Blanc comme neige à la saison froide, il se fond à la perfection dans la montagne hivernale, tout en brouillant la piste qui conduit à son gîte. Lorsqu’un danger approche, prédateur ou être humain, il se blottit en comptant sur son mimétisme. L’intrus peut passer à côté de lui sans même le voir. Si la situation s’aggrave, le blanchon prend la poudre d’escampette à une vitesse de 50 km/h.
Bertand Gabbud
Enfant d’en haut, Bertrand Gabbud est né dans le Val de Bagnes en 1974. Très tôt, il se passionne pour la faune de ses montagnes. Il gravit les pentes au fil des saisons et par tous les temps, toujours muni de son appareil photo pour ramener un souvenir de ses rencontres sauvages.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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