La vie hivernale de la roselière
Au cœur de l’hiver, Alain Spaeth est à l’affût de la faune des marais. Glace et neige subliment la palette fauve des roseaux et de ceux qui s’y cachent.
Au cœur de l’hiver, Alain Spaeth est à l’affût de la faune des marais. Glace et neige subliment la palette fauve des roseaux et de ceux qui s’y cachent.
Derrière la fenêtre, le thermomètre annonce -8 °C. Dois-je rester confortablement au chaud ou bien me rendre sur la rive du lac pour voir ce qu’il s’y passe, et peut-être faire quelques images ? Il ne fait pas encore jour mais le ciel dégagé promet de belles lumières dans la roselière. C’est décidé, j’y vais !
Arrivé sur place, je me glisse dans l’affût. Le sol gelé craque sous mes pieds, pas facile d’être discret ! Les premières lueurs ne tardent pas. Le vent est léger, la petite brume qui enveloppe la zone humide se dissipe lentement. Dans ce calme plat, difficile de distinguer au loin la frontière entre l’eau immobile et la glace miroitante. J’aperçois quelques silhouettes distantes de canards colverts et de sarcelles d’hiver.
Soudain, je remarque un oiseau bien plus proche. L’ombre que je devinais à mon arrivée et qui me semblait être un caillou commence à bouger. C’est une bécassine des marais ! Sur son dos, les bandes verticales couleur chamois rappellent les tiges des roseaux. Son croupion et sa queue sont couverts de petites perles de givre, rendant son camouflage encore plus efficace. Ce détail ne laisse aucun doute, elle a passé la nuit au bord du lac. Je suis soulagé qu’elle n’ait pas décollé à mon arrivée.
Je pose ma thermos de thé pour faire quelques photos, après avoir activé le mode silencieux de mon boîtier. Le soleil qui s’élève fait peu à peu fondre le costume givré de l’élégant volatile, laissant apparaître son plumage finement marbré.
J’entends du bruit dans la roselière d’en face, quand soudain, incroyable, un sanglier s’invite sur la patinoire ! La glace est suffisamment épaisse pour qu’il s’y déplace, alors que son poids doit se rapprocher du mien. Si j’en crois sa démarche assurée, il a l’air convaincu qu’elle ne cédera pas sous ses sabots. Le défilé se poursuit avec un butor qui paraît plus indécis malgré ses larges pattes et ses longues griffes. Surface glissante ou pas, il faut dire que ce héron marche toujours sur des œufs.
Au premier plan, la bécassine sort de sa torpeur et commence à s’agiter. De son bec démesuré, elle sonde la glace à la recherche d’un coin de vase accessible où trouver à manger. Des vers, crustacés ou autres petits mollusques feraient un bon repas. D’un seul coup, elle se tapit au sol et ne bouge plus. En levant les yeux, je comprends sa réaction : un busard Saint-Martin nous survole. Il semble que le rapace ne l’ait pas vue, elle a eu chaud ! Après avoir lissé ses plumes, la bécassine disparaît dans la végétation.
Je profite de ce moment de calme pour m’évader moi aussi, ravi d’être sorti malgré le froid.
Des tiges pour gîtes
La roselière est un habitat sensible, essentiel à tout un cortège d’espèces qui ont besoin de cette végétation typique des zones humides. C’est notamment le cas de nombreux oiseaux qui y trouvent refuge, s’y nourrissent et y nichent. Plusieurs d’entre eux portent des noms évocateurs : bruant des roseaux, phragmite des joncs ou encore busard des roseaux. Ces plantes jouent aussi un rôle majeur d’épuration et de dépollution de l’eau.
Elle vient du Nord
Vers 1960, on comptait environ 80 couples nicheurs de bécassines des marais en Suisse, à la limite sud de son aire de reproduction. Hélas, leur nidification est depuis devenue rarissime dans le pays. La plupart des individus que l’on observe aujourd’hui sont des hivernants qui viennent de Scandinavie, d’Europe de l’Est ou de Russie. Confiant dans son mimétisme, ce limicole s’envole parfois au dernier moment si l’on s’en approche à quelques mètres. Mais attention, il n’est pas pour autant insensible au dérangement !
Alain Spaeth
Carreleur récemment retraité, Alain Spaeth pratique la photo animalière depuis une trentaine d’années. Il photographie surtout les oiseaux et les mammifères autour de chez lui, dans le canton de Vaud.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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