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Graines de génie

Récits de semences en voyage

Et si les graines nous racontaient le périple de leur vie ? Récits de voyage empruntés au réel.

Et si les graines nous racontaient le périple de leur vie ? Récits de voyage empruntés au réel.

C’est un banal après-midi de septembre à la campagne. Fine brise, fleurs fanées, familles qui flânent, rien d’extraordinaire ne se passe… Vraiment ? Par milliers, des bébés plantes partent à l’aventure, avides de nouveaux horizons. L’espace aérien est saturé de vagabonds plumeux, la friche est le théâtre de cascades sautillantes, rongeurs et oiseaux se font complices d’un intense trafic de fruits. Alors, pensez-vous encore que les plantes sont immobiles et fichées dans le sol ? Tendons l’oreille, de petites voix nous parlent en bord de chemin.

Le monde en stop

« Bébé bardane, je m’accroche à la vie, mais je lâche prise sur la destination. Mon fruit se regroupe avec ses voisins autour d’une sphère prolongée par des centaines de crochets. Cette boule fait du stop et s’agrippe aux pelages, plumages ou chaussettes qui voudront bien la pousser. Ce mode de transport longue distance est utilisé par environ 6 % des végétaux de nos régions. Une seule toison de mouton peut capter plus de 8 000 fruits ou graines de 85 espèces différentes. Côté sauvage, le sanglier est aussi un taxi efficace, avec plus de 1 600 graines dans ses poils. Moi la bardane, j’ai inspiré, avec mon mode de fixation, l’invention du velcro en 1948 par l’ingénieur suisse George de Mestral. »

Bardane commune, Arctium lappa

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Partir, mais en chore

Chez les quelque 6 000 plantes à graines sauvages que comptent la France, la Suisse et la Belgique, les semences voyagent souvent accompagnées du fruit sec ou charnu qui les enveloppe. D’autres sont relâchées nues et se débrouillent seules. Les modes de dispersion, ou chories – du grec ancien se mouvoir –, sont classés selon le type de mobilité douce emprunté.

  • Par le vent : anémochorie
  • Par les animaux : zoochorie
  • Par l’humain : anthropochorie
  • Par l’eau : hydrochorie
  • Par la plante mère : autochorie
  • Par la gravité : barochorie
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Voyage léger

« Moi, graine de pissenlit, je suis née ici. Le petit fruit sec qui m’enveloppe porte un parasol soyeux, le pappus. Sur la tête de ma mère, nous sommes plus de 200. Espacées de manière régulière, nous dessinons une sphère parfaite permettant une prise au vent optimale. Un léger courant chaud et ascendant me soulève. Libre et légère, je me déplace presque à l’horizontale sous ma petite ombelle.

Si les enfants savent depuis la nuit des temps qu’il suffit de souffler sur une tête de pissenlit pour que ses graines décollent, la physique a seulement percé en 2018 les mystères d’un vol si stable. En nous observant dans une colonne à air, une équipe de recherche en dynamique des fluides à l’Université d’édimbourg a découvert un type de vol encore jamais observé dans la nature, ni même inventé par l’humain. Les soies de mon pappus sont savamment espacées pour que l’air s’écoule au travers et forme un cercle tourbillonnant quelques millimètres au-dessus. Ce vortex aspire le fruit vers le haut pour le garder en suspension, sans aucune dépense énergétique. Le voyage est merveilleux, je suis portée par les courants sur 1 km et rencontre en chemin d’autres globe-trotteurs. Enfin, je me parachute dans une prairie grasse. Dans cet eldorado, ma nouvelle vie commence. »

Pissenlit officinal, Taraxacum officinale

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Le merveilleux voyage de Bébert

« La tension est à son comble sur l’herbe-à-Robert. Devenu sec, le fruit qui me porte finit par lâcher et me projette en l’air telle une fronde. C’est l’éclate ! Je suis catapultée dans ma capsule sur 3 m de distance, l’espace d’une fraction de seconde. Débarquant en terrain neuf, je suis prête à coloniser les friches ou vieux murs. Cette dispersion musclée est aussi prisée par la balsamine des bois, qu’on surnomme l’­impatiente ne-me-touchez-pas. Au moindre contact, ses capsules envoient leurs projectiles à 7 m à la ronde ! »

Géranium herbe-à-Robert, Geranium robertianum

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Le tour du monde en 80 jours

« Je suis ambroisie junior. Issue d’une lignée de grandes voyageuses, j’attends mon tour, impatiente. Originaires d’Amérique du Nord, mes ancêtres ont émigré en masse durant la Première Guerre mondiale, cachés parmi le fourrage dans les navires à destination de l’Europe. Prolifique et adaptable, mon espèce s’est vite répandue au point d’être aujourd’hui taxée d’exotique envahissant. Mauvaise graine ? Ce n’est pas notre faute si l’humain est un moyen de transport si efficace : le souffle des trains, le remblai de chantier, le libre-échange agricole… Une bourrasque et je m’envole parmi mes milliers de sœurs. Quand je serai grande, je produirai un pollen allergène. Si on me repère quand je prendrai racine, je risque d’avoir un sérieux pépin… »

Ambroisie à feuilles d’armoise, Ambrosia artemisiifolia

Vingt mille lieues sous les terres

« Tel un bon vin, je prends le temps de mûrir dans mon cellier, un fruit prolongé d’une longue arête aux allures de bec d’échassier. Voilà pourquoi mon parent est surnommé bec-de-grue. L’appendice de ma capsule est devenu si sec qu’il se tortille d’un coup et se propulse en l’air. Et voilà, ça part en vrille ! J’atterris à quelques centimètres de là, sain et sauf. Le temps devient humide, le tortillon se déroule. L’atmosphère s’assèche et la spirale se resserre. À force de changements météo, les mouvements du fruit me font avancer au sol. Jusqu’à ce que je bute contre une fissure, la tête la première. Les mouvements continuent, mais grâce à la pointe enfoncée, ils provoquent mon enfouissement sur quelques millimètres. Tel un tire-­bouchon, je suis bien déterminée à me visser toute seule en profondeur. Santé ! »

Bec-de-grue commun, Erodium cicutarium

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La main sur le cœur

« Je suis une baroudeuse d’à peine 1 mm, future capselle bourse-à-pasteur. En ce moment, mon fruit est un cœur qui se brise. Alors que mon enveloppe tombe à terre, je m’agrippe à la cloison centrale qui subsiste, désormais nue et vulnérable. Un coup de vent et je m’écrase à 50 cm du pied mère. Et voilà qu’il pleut. En une poignée de secondes, j’absorbe 16 fois mon poids en eau au niveau de mon enveloppe, qui sécrète alors du mucilage, un liquide visqueux. Gluante, j’attends sans trop y croire le passage d’un sabot, d’une patte d’oiseau ou d’un engin agricole. L’inespéré se produit. Je me colle finalement à une semelle, je subis le métro et le centre commercial pour enfin me poser par chance dans un parc. Là, mon mucilage attire la minuscule faune souterraine et finit par la tuer. Les cadavres enrichissent mon terreau en nutriments. Une graine carnivore, incroyable, non ? »

Capselle bourse-à-pasteur, Capsella bursa-pastoris

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L’Odyssée d’Acer

« 15h07. Larguez les samares ! Je fais une chute libre en tournoyant. Puis, l’aile nervurée qui prolonge mon fruit, la samare, s’incline à 80° par rapport à l’axe dont je suis le centre d’inertie. Ses dimensions et sa courbure sont parfaites pour créer de la portance. Je tombe toujours à la verticale, mais le mouvement s’en trouve ralenti. J’augmente ainsi mes chances d’être poussée au loin par un coup de vent latéral. Horreur, j’atterris sur un désert de bitume. Mais il reste un embryon d’espoir... « Hélicoptère ! » Cet étrange cri se rapproche, puis une main d’enfant me soulève. Devant une paire d’yeux émerveillés, je me donne en spectacle avec soin et atterris sur un doux humus. Sauvée ! »

Érable champêtre, Acer campestre

Mémoires nomades

« Ce matin, j’envoie du lourd. Le pédoncule qui attache mon fruit, la noisette, finit par céder à la gravité. Le grand saut, quelques tonneaux au sol et je suis stoppée net par une racine. Je réalise que je vais subir l’ombre de mon arbre parent. Comment sortir de cette situation à la noix ? Un écureuil passe par là et ne se fait pas prier. Le rongeur a l’habitude d’accumuler des réserves et peut cacher plus de 3 000 glands, faînes et autres fruits secs par saison. Il me saisit entre ses mâchoires et s’élance de branche en branche. Mon vœu est exaucé, il ne casse pas la graine et m’enterre au pied d’une souche. Sa mémoire est redoutable pour retrouver ses caches, mais pas infaillible... »

Noisetier commun, Corylus avellana

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Terre d’or

« Chez nous, trèfles souterrains, une seule devise : on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Je suis née par autofécondation de ma mère. De nature discrète, elle a caché ses petites fleurs blanches sous des touffes de feuilles rasant le sol. La pollinisation est donc rare. Désormais, les fleurs sont devenues gousses. Les tigelles qui les portent sont en train de s’allonger sur près de 20 cm et plongent vers le bas. Des crampons apparaissent pour ancrer les fruits au sol. Eh oui, je suis casanière, comme ma cousine tropicale la cacahuète ! »

Trèfle souterrain, Trifolium subterraneum

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Latitude 0

« Penchée au-dessus du vide, je suis portée par ma mère, la gracieuse cymbalaire, dans un fruit arrondi. Je rêve de m’installer comme elle à la verticale, les pieds dans un vieux mur. Mais comment vais-je réussir à grimper ? En réponse, le pédoncule qui me porte se tord vers l’arrière et enfonce son fruit dans une fissure à proximité. La plante a glissé le plus précieux de ses trésors dans un lieu protégé. Merci maman de veiller au grain ! »

Cymbalaire, Cymbalaria muralis

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Le sel de la terre

« Le vent s’est levé. La capsule que je partage avec des milliers d’autres graines se fait secouer comme un cocotier. Selon une trajectoire parfaite, je m’échappe par l’un des petits trous au sommet du fruit sec. Je profite de mon élan et de ma petite taille pour me glisser entre les tiges de blé. En bon coquelicot, j’aime m’inviter dans les cultures céréalières. On raconte que ma technique de dispersion par saupoudrage depuis une capsule a inspiré le botaniste Raoul Heinrich Francé pour concevoir la salière qui trône sur nos tables. »

Coquelicot, Papaver rhoeas

Au pays des oiseaux

« Je m’apprête à faire un voyage intérieur et devenir la meilleure version de moi-même : aubépine. Je suis née dans une cenelle. Cette petite bille rouge et charnue fait de l’œil au merle du coin. L’appel fonctionne, le volatile me gobe d’un coup. Je traverse alors la nuit noire de mon existence. Je suis en transit... intestinal. Quand viendra le bout du tunnel ? Grâce à ma coque dure, je résiste aux sucs digestifs, tout en m’abîmant légèrement en surface pour mieux germer. Je sors enfin quasi intacte du cockpit, à 200 m de là, accompagnée d’une fiente qui fertilisera le sol. Quelle synchronicité ! »

Aubépine à un style, Crataegus monogyna

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À la pagaie

« Deux ans que je patiente au bout d’une branche d’aulne au-dessus d’une rivière. Je suis enveloppée par un petit fruit sec prolongé d’une aile circulaire. Pourtant, je ne me sens toujours pas prête à voler. Je m’approche dangereusement de la rampe de lancement dans le strobile, sorte de pomme de pin miniature. Au secours ! Je décolle. Je surfe maladroitement sur un courant d’air et je tombe à l’eau. Se noyer si jeune, quelle tristesse. Les secondes s’écoulent, mais je ne coule pas et je comprends : maman m’a équipée de flotteurs de liège et elle m’a habillée d’un ciré enduit d’huile. Il suffit de me laisser porter par les flots vers mon destin, comme le font mes amis les saules, peupliers ou massettes. Un jour, au terme d’un voyage qui pourrait durer un jour comme un an, j’échouerai sur une rive. L’endroit idéal pour prendre racine ! »

Aulne glutineux, Alnus glutinosa

Sur le chemin noir

« Du haut d’une chélidoine, mon fruit s’ouvre en deux. Attachée par un petit ressort, je me fais éjecter à quelques centimètres de là dans les décombres. La chute est rude. Pourquoi ma mère m’a-t-elle fourni un goûter riche en gras, l’élaïosome, auquel je n’arrive pas à accéder ? Une fourmi passe par là, visiblement intéressée par mon déjeuner. Elle me prend entre ses mandibules et marche sur plusieurs mètres. Ainsi sont dispersées jusqu’à 30 % des semences d’une forêt tempérée. Dans la fourmilière, des dizaines de ces insectes noirs avalent le paquet nutritif, puis m’évacuent intacte de leur forteresse. Ouf ! J’atterris sur une terre riche et meuble, grandie par le voyage. »

Chélidoine élevée, Chelidonium majus

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Couverture de La Salamandre n°283

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 283  Août-Septembre, article initialement paru sous le titre "Semences en tous sens"
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