Des chevreuils sortis vivants du cimetière
Les chevreuils squattant le cimetière du Hörnli devaient être abattus. Une campagne inédite de capture a permis leur sauvetage. Récit de l’intérieur.
Les chevreuils squattant le cimetière du Hörnli devaient être abattus. Une campagne inédite de capture a permis leur sauvetage. Récit de l’intérieur.
Comment attraper un chevreuil, animal agile par excellence, dans un lieu clos avant de le relâcher ensuite dans un environnement plus accueillant ?
C’est le casse-tête auquel ont été confrontés le biologiste Claude Fischer et son équipe. Cette opération, une première dans un tel lieu de mémoire, s’est déroulée dans le cimetière du Hörnli près de Bâle entre l’hiver 2023 et le printemps 2024.
Des chevreuils piégés dans un cimetière
Les chevreuils, qui peuplaient les lieux depuis des décennies, se sont retrouvés piégés au fil des années par la fermeture progressive des accès de cet espace de 54 ha, bordé par la forêt avoisinante. Les jardiniers voulaient éviter les intrusions de sangliers. Ils n’avaient pas anticipé la multiplication des chevreuils entre les tombes.
Semi-enfermés – des portes restent parfois ouvertes par inadvertance – les ongulés étaient alors protégés des prédateurs et disposaient d’une nourriture abondante.
La belle vie. Problème, les chevreuils ne se gênaient pas pour grignoter des décorations mortuaires.
En 2019, le gouvernement bâlois a estimé le coût annuel des dégâts à 100 000 francs ! Le 12 mai 2020, le Département de la justice et de la sécurité du canton de Bâle-Ville a donc accordé à la municipalité de Riehen l’autorisation « de réduire la population de chevreuils en les abattant ».
80 000 signatures pour sauver les chevreuils de la chasse
Mais, face à la menace du fusil, les animaux ont suscité un fort soutien populaire.
En l’espace de quelques jours, une pétition lancée par la fondation Franz Weber contre leur abattage a récolté plus de 80 000 signatures.
Suite à cette mobilisation, les autorités ont accepté la mise en place d’une opération de transfert des chevreuils vers le canton du Jura.
Mais seulement si la phase de test était concluante, car poursuivre de vifs quadrupèdes entre les pierres tombales faisait penser à un scénario de science-fiction.
Dans les mailles du filet
La première journée d’opération, en mars 2023, s’est vite révélée très prometteuse. « On a réussi onze captures en une heure », se souvient avec le sourire Claude Fischer, professeur de la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève.
Pour ce qui est de la théorie, le procédé pour piéger les chevreuils est simple. Après avoir repéré des bêtes, les bénévoles les effraient pour les pousser vers des filets maillants dressés sur les principaux points de passage. Dès qu’un cervidé est pris dans les mailles, quatre personnes se précipitent pour le sortir.
« Il y a des capteurs cachés dans les filets. Ils sonnent dès qu’il y a une secousse. Cela permet d’être très réactif. Quand l’animal se fourre dedans, on le tire d’abord par la croupe pour le dégager », commente Claude Fischer.
“« C’est assez incroyable de tenir un chevreuil entre ses mains. C’est un travail d’équipe. Il faut garder son calme et se coordonner pour le manipuler en faisant le moins de bruit possible afin de ne pas l’effrayer », témoigne
„
Sandrine Wiber, une doctorante à l’Université de Neuchâtel, qui a participé aux journées de capture.
Des chevreuils stratégiques
Mais les bêtes ont rapidement déjoué la stratégie des humains. « Les animaux comprennent très vite comment éviter les filets.
La deuxième journée, on n’avait fait que trois captures. On a donc changé de méthode. Au début, on mettait tous les filets à la ligne. Ensuite, on a plutôt fixé des filets en décalé dans des goulets d’étranglement, par là où les chevreuils s’échappaient », explique Claude Fischer.
Des bénévoles se sont transformés en électrons libres. « Ils étaient en avant par rapport à la traque et avaient pour mission de courir après les bêtes. En prenant de la vitesse, ces dernières repèrent moins facilement les filets », poursuit le biologiste.
Pour la dernière journée de capture, le 13 mars 2024, une tension particulière prenait aux tripes les participants.
« Comme c’était la dernière chance, l’objectif était de sortir les quatre derniers chevreuils encore présents. Plusieurs battues ont été organisées. J’étais sur une ligne qui a permis d’en capturer deux », raconte Sandrine Wiber, qui a été formée à manipuler des animaux sauvages – la loi suisse rendant obligatoire ce prérequis.
Un taux de survie élevé
Au total sur deux saisons, 37 ongulés ont été sortis du cimetière dans des caissons spécialement aménagés, puis transportés en camion jusqu’à leur nouveau point de chute dans les montagnes du Jura.
La relâche des herbivores a été un franc succès. Sur les 21 individus déplacés en 2023, plusieurs ont été revus gambadant à l’état sauvage.
Longue vie aux chevreuils !
Des usagers divisés
Dans le cimetière du Hörnli (BS), la cohabitation avec les chevreuils a divisé la population. Vera Weber, présidente de la fondation Franz Weber, qui a déposé le recours contre l’abattage et a organisé le transfert des animaux, a mesuré la gêne soulevée par leur présence.
« Les chevreuils ne pouvaient plus sortir du cimetière, dont les accès donnant sur la forêt voisine ont été fermés au fil des années. Évidemment, les fleurs des tombes étaient très attrayantes pour eux. Ce menu fantastique était en plus renouvelé chaque jour. Cela dérangeait beaucoup de visiteurs en deuil de voir que leurs présents étaient broutés. Mais pour d’autres personnes, c’était un ravissement de voir ces animaux élégants se promener entre les tombes. »
Pour les jardiniers, la présence des ruminants représentait une lourde charge de travail. Chaque jour, ils devaient réaménager les parterres fleuris.
Une seconde vie ?
Les 37 chevreuils capturés dans le cimetière du Hörnli ont tous été relâchés dans le canton du Jura, le seul qui ait accepté leur présence.
« Pour les individus relâchés en 2024, il n’y a pas encore assez de recul. Mais les gardes-faune jurassiens ont déjà observé plusieurs des animaux capturés en 2023, tous munis d’un marquage spécifique à l’oreille », explique Monica Biondo, la biologiste de la fondation Franz Weber.
Les gracieux mammifères ont été relâchés dans des zones choisies pour leur tranquillité, à l’écart des routes ou des habitations. Mais ils ne sont pas à l’abri de la chasse qui est autorisée dans l’ensemble du canton en octobre et novembre : un prélèvement de 1 200 individus est fixé par année.
« On a choisi de relâcher les animaux au printemps pour qu’ils aient le temps de connaître leur nouveau territoire et de s’y cacher au mieux lorsque la chasse reprendra », conclut Monica Biondo.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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