Le tichodrome sous le pinceau de Nick Derry
Rendez-vous au centre-ville de Besançon à la recherche de l'oiseau de feu. Notre guide ? Un peintre britannique tatoué d'un tichodrome..
Rendez-vous au centre-ville de Besançon à la recherche de l'oiseau de feu. Notre guide ? Un peintre britannique tatoué d'un tichodrome..
13 février. La neige a débordé du Jura jusqu'en plaine et avec elle est arrivé un froid polaire. Parti du Locle à la frontière franco-suisse, un petit train à deux wagons longe les canyons du Doubs. Après une heure quarante-cinq d'un trajet poussif mais magnifique, il débouche enfin devant l'imposante citadelle construite par Vauban. Bienvenue à Besançon, ville de rêve pour qui aime grimper en s'accrochant à la verticale. Partout, des falaises d'un seul tenant ou faites de moellons assemblés en murs, en tours, en clochers ou en fortins.
C'est un peu à cause du tichodrome que Nick Derry a choisi de s'établir ici. Cet Anglais âgé de 30 ans est un artiste qui croque, qui peint, qui colle et qui dessine les oiseaux. Il m'attend devant la gare. Profil de tagueur, œil pétillant, piercing sur le sourcil. On traverse la ville à grandes enjambées pour en venir très vite à quelques confidences.
Tatouage, tags et containers
« Le tichodrome ? Je me le suis fait tatouer sur la fesse il y a quelques années. Je voulais un oiseau qui symbolise Besançon parce que ma venue dans cette ville a vraiment changé ma vie. Et sur les fesses parce qu'il aime les fissures, les petits recoins pour chercher à manger... Mais pas question de laisser quelqu'un d'autre dessiner un oiseau que j'aurai toute la vie dans la peau ! J'ai fait un dessin très stylisé et je l'ai donné au tatoueur pour qu'il le décalque. Il a fait cela très bien. »
Après avoir niché dans des falaises inaccessibles, le tichodrome descend souvent en plaine à la mauvaise saison, surtout semble-t-il lors des hivers rigoureux. Il fréquente alors volontiers des parois artificielles comme Notre-Dame de Paris, la cathédrale de Fribourg ou les vieux murs de Besançon. Dans la capitale franc-comtoise, Nick l'a vu grimper au-dessus de containers, s'accrocher à des chéneaux ou picorer sur des murs tagués. Il l'a même aperçu une fois depuis la fenêtre de son appartement. « Je me suis demandé si c'était un rêve... mais il était bel et bien là ! »
Dénicher la nature en ville
Cette proximité surprenante fascine le Britannique. Il aime peindre la rencontre entre la nature sauvage et le monde des hommes : une pie-grièche dans une zone industrielle, une cigogne en vol au-dessus d'une ville, un milan noir avec un avion dans le ciel... ou un tichodrome au-dessus d'un camion. « Je crois que montrer la nature tout près de l'homme rend celle-ci plus accessible. » Tout en marchant, Nick évoque son enfance dans l'Angleterre industrielle, tout près de Birmingham. « Pas d'arbres, que du béton ! » La nature, il a fallu la chercher : des mouettes sur un terrain de foot, une bergeronnette sur un pont, des verdiers dans un morceau de parc. La découverte de ces petits perroquets vert et jaune a marqué le gosse qu'il était. Peut-être est-elle à l'origine de sa passion pour les oiseaux.
La première fois
A 21 ans, Nick Derry séjourne quelques mois à Besançon. De retour en Grande-Bretagne, l'artiste découvre dans un livre la présence de l'invraisemblable tichodrome en Franche-Comté.
« J'ai eu besoin de revenir pour trouver cet oiseau. Et maintenant, j'habite à Besançon et chaque automne je guette son retour. »
Sa première fois, il s'en souvient comme si c'était hier. C'était une fin d'après-midi à la Citadelle. Il cherchait sur tous les murs à s'en arracher les yeux. Un pic vert le suivait partout dans les cours et les allées. Il tournait, il tournait. Et soudain, juste avant la fermeture, il aperçoit sur le toit de la chapelle quelque chose qui ressemble à une sittelle... mais avec du rouge !
« Tout le monde m'a dévisagé, car j'ai crié très fort un horrible vilain mot en anglais. J'ai voulu dessiner... Impossible ! j'étais tellement excité ! Il est parti, revenu, reparti, revenu, puis c'est moi qui ai dû m'en aller, car la Citadelle fermait. »
Longue attente devant la tour de la cathédrale.
« Regarde l'horloge sur cette tour. Il y a une année, je l'ai peint ici. Cela m'a pris des heures. Est-ce qu'il est là aujourd'hui ? »
Puis nous scrutons les murs de pierre des bastions en montant entre deux parois monumentales.
Nick raconte l'arrivée des tichodromes à la mi-octobre. C'est en novembre que les ornithologues qui les cherchent en ville en voient le plus, puis certains vont sans doute passer l'hiver ailleurs. Mais il en reste presque toujours deux ou trois jusqu'au printemps.
« A voir leurs habitudes très fidèles sur certains bâtiments, je suis convaincu que ce sont les mêmes individus d'une année à l'autre. »
Fosse aux singes
Nous voici enfin devant l'entrée de la Citadelle proprement dite. Nick sort ses jumelles. Derrière nous, les toits de la ville enneigée. Devant, un pont-levis imposant qui permet d'entrer dans la cour principale. Ce passage enjambe un grand fossé où vivent des macaques du Japon. D'après le peintre-ornithologue, c'est le meilleur endroit pour espérer voir notre oiseau. Il est convaincu que la proximité des singes favorise celle d'insectes que recherche le tichodrome. Mais aujourd'hui, le froid retient les macaques dans leur abri. Nous fouillons patiemment les murailles et les contreforts rocheux à travers nos jumelles tandis que deux employés dégagent la neige du pont-levis. Le tichodrome n'est pas farouche. Au printemps, il peut nicher entre deux voies d'escalade. Peut-être y en a-t-il un qui dort quelque part en ce moment derrière une vieille pierre. « Drôle d'oiseau. Il a passé l'été dans des endroits complètement inaccessibles pour nous... et en hiver il vient en pleine ville. » Des choucas survolent le chemin de ronde. Une buse plane haut dans le ciel. Les strophes d'une mésange précoce tintent dans l'air glacé. Mais aujourd'hui, point de tichodrome.
Au chaud à l'atelier
Le petit appartement de Nick Derry est rempli à ras bord de carnets de croquis, d'aquarelles et de toiles de toutes sortes.
« Une tasse de thé ? »
Tout en surveillant à travers la fenêtre une femelle grosbec qui se rapproche de la mangeoire, le Franc-Comtois d'adoption revient sur sa passion pour le tichodrome échelette. D'ailleurs, il n'est pas le seul ! Il y a quelques années, un individu a été repéré sur des falaises au bord de la Manche, côté français, près de Boulogne. Les ornithos anglais sont venus par cars entiers pour le voir. Quand il a disparu, ça a presque été un drame national.
Continuera-t-il toujours à peindre cet oiseau ?
« Je l'ai dessiné des centaines de fois. J'ai même refait certains tableaux à trois ou quatre reprises. Mais je ne suis toujours pas parvenu à comprendre ses formes. D'ailleurs, chaque fois que je regarde l'une de mes toiles, je vois que je n'y suis pas encore. Ce n'est pas lui. Il manque le mouvement. Il a une façon tellement bizarre de se déplacer. C'est définitivement un oiseau à part. »
Nick Derry
Le peintre naturaliste
- 1982 : naissance à Wolverhampton, dans la banlieue de Birmingham (GB).
- 1996 : de passage à Londres, va voir des butors dans un observatoire. Premiers croquis de terrain.
- 1999 : élu Birdwatcher Artist of the Year.
- 2001 : commence des études de français à l'Université d'Aberystwyth, dans le pays de Galles.
- 2003 : fait un stage linguistique de quatre mois à Besançon.
- 2006 : termine ses études, s'installe comme enseignant d'anglais à Besançon. Voit son premier tichodrome à la Citadelle le 17 novembre.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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