Sur la piste des fourmis
Dans le Jura vaudois, des fourmilières géantes se dressent par centaines. Marchons parmi les épicéas, à la rencontre d’incroyables fourmis architectes.
Dans le Jura vaudois, des fourmilières géantes se dressent par centaines. Marchons parmi les épicéas, à la rencontre d’incroyables fourmis architectes.
La bise qui souffle depuis deux jours fait défiler les nuages au-dessus du col du Marchairuz, dans le Parc naturel régional Jura vaudois. Quelques hêtres rougissent sous cette première caresse automnale. Mes oreilles rafraîchies adoptent la même teinte. Devant l’auberge qui nous sert de point de rendez-vous, je retrouve Arnaud Maeder, spécialiste des fourmis des bois – celles que l’on appelle souvent fourmis rousses. « Le musée de zoologie et l’Université de Lausanne étudient ces espèces depuis plusieurs décennies dans la région, annonce-t-il. Elles trouvent ici des habitats parfaits pour s’installer et leurs colonies sont très nombreuses. » Le début du trajet, exposé au nord, n’est toutefois pas assez ensoleillé à leur goût, il nous faut marcher un peu pour atteindre des zones plus favorables.
Forêt refuge
Au-dessus de nous, les branches de sapin, d’érable et de sorbier s’entremêlent tandis qu’au sol, un tapis d’aiguilles atténue le son de nos pas. De temps à autre, des becs-croisés ou un grand corbeau font entendre leurs cris. L’œil aux aguets, Arnaud garde ses jumelles à portée de main. « La dernière fois que je suis passé par là, j’ai vu une gélinotte des bois et un grand tétras, deux oiseaux aussi rares que discrets », me confie-t-il, conscient de sa chance. Craintives, ces deux espèces sont très sensibles aux dérangements. « Dans cette région, il est particulièrement important de rester sur les chemins et de garder son chien en laisse », insiste le naturaliste.
Puis, la forêt laisse place à un pâturage boisé à l’herbe rase, parsemé de hauts épicéas. Dans le ciel, un faucon pèlerin nous observe un instant et se laisse emporter par le vent. Mon guide commence à inspecter les bords du sentier : nous voici arrivés dans le milieu favori des fourmis des bois. Je me mets à chercher à ses côtés, un peu au hasard. « Pour trouver ces insectes, il faut comprendre ce qui leur plaît, me prévient Arnaud. Elles s’installent par exemple presque toujours juste à côté d’un conifère. » Bingo ! A une dizaine de mètres, un dôme brun est niché contre un épicéa.
Auprès de mon arbre
Pourquoi les résineux sont-ils les meilleurs amis des fourmis des bois ? Pour commencer, leurs brindilles et aiguilles mortes sont les matériaux de base des fourmilières. « Elles sont généralement installées du côté sud-est des troncs, note le biologiste. Cela leur permet de recevoir la chaleur des premiers rayons du soleil, tout en profitant de l’ombre de l’arbre en milieu de journée. » Avec leurs grands épicéas largement espacés, les pâturages boisés du Jura constituent un milieu idéal pour les colonies de fourmis rousses.
Mais les conifères n’offrent pas seulement un abri à ces architectes miniatures. Celles-ci récoltent des fragments de résine séchée, dont les propriétés antibiotiques évitent moisissures et maladies dans la fourmilière. Dernier détail d’importance, les résineux hébergent de nombreux pucerons sur lesquels les ouvrières veillent jalousement. Le miellat, c’est-à-dire les excréments sucrés de ce troupeau modèle réduit, est en effet leur nourriture préférée.
A ce propos, c’est l’heure du pique-nique ! Nous nous installons dans une grande clairière pour profiter, nous aussi, des rayons du soleil. Très vite, les miettes qui tombent des sandwichs attirent des gourmandes à six pattes. Elles ressemblent comme deux gouttes d’eau à celles que nous avons observées ce matin, mais le naturaliste est formel : ce ne sont pas les mêmes. « Dans les milieux très ouverts, elles sont remplacées par d’autres espèces, moins liées aux arbres », précise-t-il.
Des fourmis ingénieures multitâches
De retour dans le sous-bois, nous croisons de minuscules sentiers qui serpentent entre les buissons de myrtilles rougeoyants. « Encore l’œuvre des fourmis !, s’amuse Arnaud. A force d’emprunter toujours les mêmes itinéraires, elles créent de vraies autoroutes tout autour de leurs fourmilières. » Petite halte sous les branches d’un majestueux épicéa. A son pied trône un monticule d’aiguilles presque aussi haut que moi. Le myrmécologue gratte délicatement la base du dôme et me montre sa texture de poudre compacte. « Les matériaux utilisés se décomposent en un terreau très fin, m’explique-t-il. Beaucoup de plantes et d’invertébrés apprécient ce micro-habitat, très riche en substances nutritives. » Les vers de terre, par exemple, peuvent y être jusqu’à sept fois plus abondants que dans le sol environnant ! Architectes, éleveuses de pucerons, cantonnières, productrices de compost… Décidément, on aurait tort de se fier à l’apparente insignifiance des fourmis des bois !
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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