© Camille belsoeur

Sur la piste d’une meute en sursis

En Valais, des biologistes suivent depuis deux ans la « meute à Arsène », qui a subi des tirs l'hiver dernier. Avec un objectif : réhabiliter le loup auprès du grand public. Reportage.

En Valais, des biologistes suivent depuis deux ans la « meute à Arsène », qui a subi des tirs l'hiver dernier. Avec un objectif : réhabiliter le loup auprès du grand public. Reportage.

C’est le genre de pistage où tout commence bien. Après quelques centaines de mètres sur le sentier, qui grimpe doucement entre les sapins blancs dans le val d’Hérens, en Valais, deux morilles émergent de la mousse. Rien à voir avec le loup, mais possiblement de bon augure en cette mi-juin. Bingo ! À peine le temps de reprendre la marche, que là, posées en plein milieu du chemin, des crottes fraîches du canidé.

Toujours un instant magique. On l’imagine nous épiant, tapi dans les bois. Les conjonctures vont bon train sur la fraîcheur des excréments. Hélas, nous ne le savons pas encore, mais la chance a déjà tourné. Les deux pièges photo relevés à proximité ne laissent apercevoir que des images d’écureuils, chamois ou renards. La forêt ne livrera pas d’autre indice aujourd’hui.

Une meute amputée de moitié

Nous sommes au cœur du domaine vital de la « meute à Arsène », dont les individus sont étudiés depuis deux ans dans le cadre du projet Mission loup. Menée par la biologiste Isabelle Germanier, responsable romande de l’organisation Groupe Loup Suisse, et l’éthologue Virginie Nierat, cette étude doit permettre de mieux comprendre le comportement du prédateur dans notre pays pour faciliter la cohabitation avec l’élevage et sensibiliser le grand public sur la vie d’une meute.

« Ce projet me trottait dans la tête depuis un moment, car on a très peu d’études de terrain sur ce grand prédateur en Suisse. On se base souvent sur des études américaines ou européennes », note Isabelle Germanier.

© Camille Belsoeur / Des crottes fraîches appartenant à un individu de la «meute à Arsène ».

La grosse difficulté pour l’équipe de biologistes, c’est que la famille étudiée a subi de plein fouet la phase de régulation proactive qui a débouché sur la mort de 46 loups en Suisse, dont 27 en Valais, entre le 1er décembre 2023 et le 31 janvier 2024. « L'an dernier, avant les tirs de régulation, la meute comptait le couple reproducteur, une jeune de l’année précédente et au moins cinq louveteaux. Passé les tirs, il nous restait quatre individus : la femelle dominante, un jeune mâle de 2023 et deux louveteaux », constate Isabelle Germanier.

Particulièrement visée pour les dégâts importants qu’elle avait ­commis sur du bétail en 2021 et 2022 – entre 50 et 60 bêtes tuées –, la « meute à Arsène » a bien failli disparaître. Pour les scientifiques, la période a aussi été difficile. « Il y a eu une grosse colère : on tire des individus à tort et à travers sans savoir qui ils sont, à quelle meute ils appartiennent. Avec un consensus scientifique, ça aurait pu être fait différemment en ciblant les meutes ou loups auteurs de dégâts », soupire Virginie ­Nierat.

« Ce que les gens ne comprennent pas toujours, c’est qu’en suivant une famille on reconnaît les individus, complète sa collègue. Le fonctionnement de chaque meute diffère. On a observé qu’une blessure peut conditionner comment ils chassent, l’endroit où ils se déplacent. Ce qui est dommage avec la régulation proactive, c’est l’absence de but scientifique. Il aurait fallu prélever dans deux meutes meurtrières pour le bétail et voir comment ces familles se comportent au niveau des attaques. »

Reprise des tirs début septembre

Depuis le printemps, l’équipe de Mission loup, une trentaine de personnes en tout avec les bénévoles, replace des pièges photo et relève les indices sur le terrain. Isabelle Germanier espère recroiser les carnivores en chair et en os, comme lorsqu’elle avait saisi une chasse nocturne à l’automne 2023. « La jeune femelle est sortie de la lisière de la forêt de mélèzes, ici au-dessus de moi, pointe-t-elle dans un vallon à 2 000 m d’altitude, au-dessus duquel repose encore une bonne couche de neige. La louve était contre le vent et s’est mise à poursuivre une harde de cerfs. Les animaux ont commencé à fuir, avant qu’un gros cerf ne se retourne. Ils se sont jugés, puis la femelle a fait demi-tour. »

La louve était contre le vent et s’est mise à poursuivre une harde.

La biologiste n’assistera peut-être plus à une telle scène. Une nouvelle phase de régulation proactive va débuter au 1er septembre. « Si les tirs reprennent jusqu’à la fin janvier, on a conscience, vu l’acharnement qu’il y a eu sur cette meute, qu’elle a des chances de disparaître ». Mais tout n’est pas joué. Le Conseil fédéral a ouvert jusqu’au 5 juillet 2024 une période de consultation au sujet de la révision par le Parlement de l’ordonnance sur la chasse, qui permet de tirer des loups avant qu’ils aient occasionné des dégâts. À son échelle, Mission loup espère peser sur les débats en réhabilitant la bête pour restreindre les tirs à des individus problématiques.

© Mission loup
Couverture de La Salamandre n°283

Cet article est extrait de la Revue Salamandre

n° 283  Août-Septembre
Catégorie

Écologie

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