Le bocage, taillé pour la biodiversité
Le bocage, historiquement dense en Bretagne, a fortement reculé à cause de la mécanisation agricole. Mais ses bienfaits écologiques incitent à le restaurer.
Le bocage, historiquement dense en Bretagne, a fortement reculé à cause de la mécanisation agricole. Mais ses bienfaits écologiques incitent à le restaurer.
Les vaches armoricaines, à la robe rougeâtre et au poil épais, broutent à l’ombre d’une haie où se mêlent châtaigniers et chênes pédonculés. Tranquilles, les bovins ne se doutent pas que, comme le bocage qui les entoure, ils étaient voués à disparaître dans le grand tourbillon de la révolution agricole de l’après-guerre. Quand l’heure était à la simplification biologique et au remembrement. Heureusement, depuis une décennie, le nombre de femelles reproductrices de cette race locale ancienne remonte en flèche, tout comme la considération envers ce paysage d’antan qui bénéficie d’un vaste programme de renaturation.
Nous sommes sur les terres d’un exploitant en bio à Taden, à la sortie de Dinan, dans les Côtes-d’Armor. C’est Antonin Chapon qui nous fait visiter. Chargé de mission au sein de l’association Cœur émeraude, c’est lui qui a convaincu l’éleveur de planter des haies supplémentaires. Devant nous, dans la clarté de cette matinée d’automne, de jeunes noisetiers, aubépines et chênes sessiles – plus résilients que leurs cousins pédonculés face aux sécheresses – se dressent sur un talus élevé à la perpendiculaire d’un champ. Les bienfaits apportés par ces plantations qui, mises bout à bout, forment le bocage sont cruciaux : retenir l’eau pour améliorer son infiltration dans le sol, prévenir l’érosion, protéger les cultures du vent, faire de l’ombre aux bêtes durant l’été et surtout favoriser la biodiversité. « Cette nouvelle haie se connecte à un vieux talus, ce qui va permettre à la faune de mieux se déplacer », explique Antonin Chapon, qui gère le programme Reconnect, dont l’objectif est de restaurer des haies discontinues.
Muscardin en danger
Historiquement recouverte d’un bocage dense, la Bretagne a pourtant maltraité cette richesse. Entre les années 1960 et 1990, le paysage agricole de la région s’est transformé à marche forcée sous l’effet du remembrement. Les parcelles morcelées ont été rassemblées pour permettre la mécanisation des exploitations. Au milieu, les arbres en ont fait les frais. En France, 70 % du bocage, surtout présent dans l’Ouest du pays, a disparu entre 1950 et aujourd’hui. Si leur rythme a ralenti, les défrichements se poursuivent. Entre 2017 et 2021, en moyenne, 23 571 km de linéaires arborés ont encore été rasés chaque année à l’échelle nationale.
Face à cet appauvrissement, la région Bretagne a lancé le programme Breizh Bocage en 2007. Objectif ? Retrouver le paysage de la première moitié du XXe siècle. Les efforts sont réels : environ 6 500 haies ont déjà été replantées par le biais de cette initiative financée en majorité par le Fonds européen agricole pour le développement rural. Sur les pans du territoire couvert par Breizh Bocage, le nombre de kilomètres de haies ne recule plus.
En longeant un bosquet taillé en ragosse, une pratique traditionnelle, Antonin Chapon nous parle d’un minuscule hôte de ces bois : le muscardin, très dépendant des corridors biologiques. « C’est une espèce inféodée aux haies, notamment de noisetiers. Ce rongeur est strictement arboricole. Il ne descend au sol que pour traverser une route s’il n’a pas d’autre solution. Il vit, se nourrit et niche dans la végétation arbustive. Le bocage est un habitat parfait pour lui. » Hélas pour ce micromammifère, la partie n’est pas encore gagnée. Si localement, le nombre de haies plantées compense les arrachages, le compte n’y est pas pour la biodiversité. « On replante pile-poil ce qui est détruit, révèle émeline Halais de technicienne Breizh Bocage en Ille-et-Vilaine. Mais les jeunes haies n’ont pas la même valeur écologique que les vieux bosquets. »
Trouver les mots justes
Malgré les subventions, de nombreux agriculteurs hésitent toujours à dresser des cordons arborés ou, du moins, à ne pas arracher des bosquets séculaires. La raison principale ? Selon un rapport gouvernemental remis en 2023, ils ne savent pas comment entretenir cette trame verte et n’ont pas de temps à y consacrer. Planter une haie, c’est aussi perdre un peu de place pour cultiver céréales ou légumineuses. Sur le terrain, il faut donc trouver les mots justes pour convaincre un paysan. « Je joue sur la corde sensible. Je rappelle aux exploitants le paysage bocager qu’ils ont connu pendant leur enfance, plutôt que d’arriver de front avec des arguments écologiques », admet Antonin Chapon. Un autre élément fait mouche : les branches issues des tailles des haies peuvent être revendues. « Vanter la filière bois est une porte d’entrée intéressante pour que les gens plantent », approuve Émeline Halais. On touche du bois pour que les agriculteurs y trouvent leur compte.
Aller plus loin
Breizh Bocage 2 : Le deuxième volet du programme Breizh Bocage s’est étendu de 2014 à 2020. Un bilan a été tiré des efforts déployés sur cette période pour convaincre les agriculteurs de replanter. Premier constat : sur les territoires couverts par le programme, le nombre de kilomètres de haies ne recule plus. Ce qui ne signifie pas que le paysage est resté le même. Des haies sont toujours arasées dans les parcelles agricoles, mais remplacées par des linéaires situés en bordure de route. Selon l’enquête Haies 2020, le principal point à améliorer concerne l’entretien des jeunes bosquets. Quelques années après leur plantation, 49 % des haies ne sont pas entretenues. Au total, davantage de haies disparaissent à cause d’un manque de taille que victimes d’arrachements. « Ces constats peuvent s’expliquer par le manque de formation à l’entretien », selon les auteurs du rapport.
Champs de bataille : L’histoire du remembrement, qui a changé le visage des campagnes françaises entre 1950 et 1980, est largement méconnue. La sortie récente de la BD enquête Champs de bataille, qui creuse le sujet, est donc salutaire. Au fil des pages, on y découvre notamment les soulèvements qui ont secoué la Bretagne, terre de bocages, lors de la mise en place autoritaire par les services de l’état des premiers plans de remembrement à la sortie de la Seconde Guerre mondiale.
Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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