Les tardigrades vivent aussi dans les océans
Les tardigrades ne savent pas nager. Comment font-ils pour peupler les océans, des plages littorales jusqu’aux abysses ?
Les tardigrades ne savent pas nager. Comment font-ils pour peupler les océans, des plages littorales jusqu’aux abysses ?
Dans leur Studies about the Fauna of Curaçao, les deux scientifiques Eveline Du Bois et Ernst Marcus mentionnent la présence d’un tardigrade par 43,4 degrés de latitude nord et 31 degrés de longitude ouest. Petit problème : ces coordonnées correspondent à un point perdu au milieu de l’Atlantique, à 100 km au nord des Açores et 2000 km de la côte portugaise.
En suivant le Gulf Stream
Quand on sait que, quoique de mœurs aquatiques, les tardigrades sont réputés ne pas savoir nager et qu’ils ne vivent qu’agrippés à un support, cette découverte a de quoi surprendre. L’explication est pourtant toute simple : la bestiole identifiée le 21 décembre 1930 se promenait sur une tige flottante d'algues sargasse charriée depuis la mer des Caraïbes par le puissant Gulf Stream.
Les tardigrades océaniques intriguent les scientifiques depuis qu’on connaît leur existence. En 1851, l’éminent zoologiste Félix Dujardin décrit le premier nounours maritime dans un bocal d’eau salée de provenance inconnue amené par un étudiant. Il faudra attendre ces trente dernières années pour que le voile commence à se lever sur les innombrables et troublants tardigrades des profondeurs.
En jouant les parasites
Les plus accessibles vivent comme on l’a vu dans le sable des plages et des estuaires. D’autres broutent ou chassent à la surface des algues comme le font dans les mousses leurs congénères « terrestres ». Mais ces formes marines vivent dans un milieu beaucoup plus stable et constant. On pense aujourd’hui que les tardigrades sont apparus dans les océans. Sans doute en sont-ils sortis, comme beaucoup d’autres organismes, en s’adaptant peu à peu à la zone frontière battue par les marées. Le développement ultérieur de formes de résistance de plus en plus raffinées leur a ouvert les portes de mondes aquatiques extrêmes et temporaires.
Revenons au littoral. Entre autres curiosités, on y trouve de gros vers souvent très colorés et à la bouche encerclée de tentacules : des holothuries ou concombres de mer. L’un de ces cousins des étoiles de mer et des oursins peut être parasité par le tardigrade Tetrakentron synaptae. Cette bestiole étonnante vit accrochée à la peau rugueuse de son hôte dont elle crève les cellules pour en aspirer le cytoplasme. Tetrakentron présente plusieurs adaptations habituelles aux parasites : un aplatissement dorso-ventral de son corps, la réduction des organes sensoriels et, enfin, des crochets renforcés pour se maintenir sur sa monture nourricière.
En résistant à la pression
Loin des côtes, d’autres espèces vivent dans les sédiments des profondeurs. Des chercheurs danois ont affrété quatre croisières scientifiques entre 1989 et 1998 au large des îles Féroé, dans l’Atlantique Nord. Dans des boues et des graviers profonds de 100 à 200 mètres, ils ont observé une faune extrêmement riche et notamment neuf espèces de tardigrades inconnus de la science et munis d’appendices aux formes abracadabrantes. La plus extraordinaire mesure à peine 0,2 mm. Elle a été joliment baptisée Tanarctus bubulubus. Ses pattes arrière sont prolongées chacune par 9 à 10 ballonnets à la fois gonflables et adhésifs. On suppose qu’ils permettent à son propriétaire d’ajuster sa flottabilité pour se déplacer à fleur de sédiments en se nourrissant la tête en bas.
Dans les abysses, les prélèvements deviennent extrêmement difficiles. Quelques mentions isolées font état de tardigrades ramenés de –5000, voire de –6000 mètres. Certains vivraient associés à des sécrétions de manganèse qui se forment au fond des océans. Une seule chose est sûre : la pression colossale qui y règne ne semble pas porter préjudice à ces animaux. En revanche, elle rend quasiment nulles les chances de ramener l’un d’entre eux vivant à la surface.
L’odyssée marine des tardigrades nous a transportés à la lisière d’un autre monde. Encore un petit pas en leur compagnie, et nous pourrions presque changer de planète…
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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