Chapitre 7 : Tout nouveau tout beau
L'enquête sur la mort d'un oiseau semble close. Mais un coup de théâtre vient rebattre les cartes. Un indice retrouvé sur les lieux du crime permet de livrer l'identité du coupable.
L'enquête sur la mort d'un oiseau semble close. Mais un coup de théâtre vient rebattre les cartes. Un indice retrouvé sur les lieux du crime permet de livrer l'identité du coupable.
L'affaire était close. Repliée la gabardine de commissaire, remisé le carnet à spirale de l'inspectrice. L’oiseau était mort et enterré. Même s’il restait des zones d’ombre, la maladie était le seul coupable possible.
Il était temps de passer à autre chose. Nous étions lundi, jour de Noël. J'entendais mon Bocuse de compagnon siffloter à la cuisine, guilleret à l'idée du repas du soir.
Le jardin enneigé me paraissait d'un coup plus étendu, comme si de nouvelles dimensions s'étaient brusquement ouvertes. Le rougegorge de la veille était encore là. Le Nouveau paradait d'un bout à l'autre du territoire qu'il semblait s'être très vite approprié. Il chantait énergiquement, le plumage bien gonflé, tache éclatante exposée au soleil. Il sautillait d’excitation, relevant et abaissant rythmiquement la queue. Je commençai déjà à chercher dans sa robe une particularité pour le reconnaître. La base du bec assez claire peut-être...
En début d'après-midi, Mathias et Julia vinrent aux nouvelles, une boîte de biscuits maison dans la main. Attablés devant l’extraordinaire cacao de Théo (un mélange de chocolat au lait et de chocolat noir 70%, lait de la ferme, un morceau de cannelle et une étoile de badiane), je leur exposai les conclusions de l’enquête. Pas le voisin, pas la voisine, pas la fouine, pas le chat, pas la chouette, pas l'épervier. En un mot : la maladie.
— Il était tellement joli ! soupira Julia.
— Et ses plumes si douces ! ajouta Mathias.
Aucun mot de plus à l’oraison, simple et juste.
Encore tout émue de la tristesse des enfants, j'eus le regard attiré par le mouvement des oiseaux à la mangeoire. Ni les pinsons, chamailleurs sans malice, ni les mésanges, bagarreuses, mais inoffensives, n’étaient responsables du tapage. Le Nouveau venait de se lancer à la poursuite d'un gros merle criard. Brusquement, il bifurqua, se laissant glisser d'un coup d'aile au bas de la haie. L'accenteur mouchet qui passait tranquillement en sautillant ne vit pas venir la tornade et, en une fraction de seconde, le rougegorge était sur lui. Quelle agressivité ! L’illustration parfaite de l’expression « voler dans les plumes ». Le maintenant au sol, il le martela de coups de bec frénétiques. Le raid avait duré quelques secondes, puis l’accenteur avait réussi à se dégager.
Sous le choc de l’agression, je peinais à retrouver mes esprits. Des images se bousculaient dans mon esprit, mélangeant mes cauchemars au spectacle du rougegorge mort, avec des morceaux de lampe brisés et des flocons tourbillonnants.
— Mathilde, tout va bien ? s’inquiéta Théophile.
— Nom d'une pioche... Attends, je dois vérifier quelque chose !
Sous les regards interrogateurs des enfants, je piquai une dizaine de livres ornitho dans la bibliothèque, feuilletai fébrilement les pages puis lançai une recherche ciblée sur mes forums préférés. Agressif... oui, le rougegorge l’était ! Plusieurs sources mentionnaient bien le caractère belliqueux du passereau que des vidéos postées sur YouTube illustraient sans appel. Son espèce pouvait être particulièrement agressive pour défendre son territoire. S’il en était dépossédé, il pouvait mourir rapidement d’inanition. L'image du joli et sympathique ami des jardiniers en prenait un coup. L’acrimonie pouvait aller jusqu’au meurtre. Certains biologistes estimaient en effet à 10% le nombre de rougegorges tués par des congénères. Mes soupçons devenaient certitude. Le spectre de la maladie s’éloignait, et ce que j’avais d’abord pris pour un bouton m’apparaissait maintenant comme la marque du crime, la trace d’un coup de bec bien placé, fatal.
J’avisai la plume que j'avais glissée dans mon carnet. M’énervant devant l’imprécision de mes sources sur le plumage des Erithacus rubecula, je tombai finalement enfin sur l’info que je cherchais. Nombre de rémiges primaires : neuf. C'était sans appel, la plume trouvée à proximité du cadavre était bien celle d'un autre rougegorge, et non celle de la victime. Elle appartenait à celui qui se démenait maintenant à deux pas de la fenêtre, insouciant de l'acte d'accusation que nous lui dressions de l'autre côté de la vitre.
— Alors ils sont méchants, les rougegorges ? s’inquiéta Mathias.
— Non, pas méchants. Mais pas commodes, certainement. Ils se battent pour défendre leur territoire ou en gagner de nouveaux.
— Un peu comme les chiens qui mordent quand on rentre chez eux sans prévenir ? Ça ne veut pas dire qu’ils sont méchants ?
— Oui, c'est bien ça. C’est leur façon de vivre.
Mathias pointa du doigt l'oiseau meurtrier.
– Il est z-agressif, mais il est tellement beau.
– Non, Mathias, corrigea Julia. Il n’est pas beau. Il est ma-gni-fique !
Suite et fin au dernier épisode! Epilogue
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Jardin sauvage – Polar polaire
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Chapitre 1 : Avant la chute
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Chapitre 2 : Disparition
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Chapitre 3 : Nocturne angoisse
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Chapitre 4 : L’enquête
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Chapitre 5 : Scène de crime
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Chapitre 6 : Thèses, hypothèses et antithèses
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Epilogue : La vie en hiver
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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