Le nid de la pie en détail
La pie voleuse cacherait le butin de ses rapines dans une forteresse de branchages. Enquête printanière sur les lieux présumés du crime.
La pie voleuse cacherait le butin de ses rapines dans une forteresse de branchages. Enquête printanière sur les lieux présumés du crime.
Un dimanche de mars, vers sept heures du matin, un boucan du diable réveille le quartier. Deux agasses surexcitées débattent sur le faîtage de la mairie. L’une d’elles – probablement le mâle vu sa queue sensiblement plus longue – plonge sur le noisetier planté derrière l’église. Quelques minutes plus tard, il s’envole, le plumage saupoudré de pollen doré, en traînant dans son bec un rameau d’une trentaine de centimètres. Déstabilisé par ce fardeau, l’oiseau vole jusqu’à un épicéa suivi par sa compagne. Bingo : voilà l’arbre secret qui abrite leur foyer.
Alcôve blindée
Naturellement pointue, la cime du conifère s’arrondit au fur et à mesure que la femelle agence adroitement les matériaux essentiellement apportés par son conjoint. En trois étapes et quarante jours de chantier, le plan de construction du nid le plus spectaculaire de nos oiseaux est suivi à la lettre :
- 1) Réaliser une charpente solide avec des branches. Prévoir éventuellement un toit protecteur en rameaux épineux. Veiller à garder une ou deux ouvertures latérales.
- 2) A l’intérieur, badigeonner de boue pour former une coupe de 15 cm de diamètre et 10 cm de profondeur.
- 3) Isoler cette cuvette avec un revêtement de brindilles et de racines fibreuses. Puis, la garnir d’une couche de laine, crin ou plumes douillets.
Bien qu’optionnelle, la voûte épineuse est un excellent antivol pour protéger le seul trésor que le nid contiendra : des œufs. Comme la pie n’a qu’une nichée par an, mieux vaut mettre sa descendance à l’abri de tout prédateur. Pas question, en revanche, de décorer cette forteresse de cuillères d’argent, de boucles d’oreilles ou de papier aluminium.
Mikado de branchages
Le gîte en forme de boule de la pie bavarde rappelle celui de l’écureuil roux. Mais le logis de l’oiseau ne contient jamais de branches feuillues. En démontant pièce par pièce un nid de pie, un chercheur danois y a dénombré 598 branchettes pour un poids total de 4,6 kg.
Indécision printanière
Dans 75 % des cas, les pies construisent un nouveau nid chaque printemps. Une fois sur quatre, elles rénovent une ancienne alcôve. Chaque couple travaille à plusieurs projets de nid en même temps, probablement pour perturber les prédateurs. Au final, un seul logis sera terminé. Mais le mâle passe volontiers la nuit dans une des autres chambres ébauchées.
Pas cupide Margot !
Et cette réputation d’oiseau voleur, alors ? Jusqu’en août 2014, une recherche avec « pie objet brillant » sur Google fournissait des centaines de milliers de résultats tous conformes aux attentes : Pica pica est une cleptomane incorrigible. « Mais il y a trois ans, une recherche anglaise a enfin établi scientifiquement que les pies ne sont pas attirées inconditionnellement par les objets brillants », dévoile Samara Danel, éthologue à l’Université de Lyon.
Qu’il soit sauvage ou captif, aucun individu testé n’a préféré une vis argentée, un anneau de métal ou un bout de papier d’aluminium à des cacahuètes. « Non seulement les pies ne se montraient pas attirées par ces objets, mais elles étaient même intimidées par leur présence. Craintives, elles mangeaient moins souvent en prenant plus de temps pour s’approcher de la nourriture », conclut la spécialiste en cognition aviaire.
Science versus Tintin
Le mythe de l’oiseau voleur n’est pas complètement infondé : certaines espèces collectionnent effectivement des objets d’origine humaine dans leur nid. Mais, accusée à tort, la pie n’en fait pas partie. Bien plus chapardeur, le milan noir par exemple orne son logis de morceaux de plastique blancs. Pour ses rivaux, ils attestent d’un statut dominant.
La pie rapporte parfois des bouts de papier dans son château de bois, mais pas de bijoux. Dans les années 1970, un chercheur polonais a analysé le contenu de 500 nids d’agasse sans y trouver aucune trace d’objets brillants. Malgré cette étude éloquente, la pie garde son étiquette de cleptomane. Mis en scène par Rossini dans son opéra ou chez Hergé dans Les Bijoux de la Castafiore, l’oiseau devient même célèbre pour ses prétendus méfaits.
Cleptomane par adoption
Dame Jaicôte est très présente dans l’imaginaire populaire. « L’agasse, comme de nombreux autres corvidés, est un oiseau cacheur. Lorsqu’elle est rassasiée, elle dissimule le surplus de nourriture pour le retrouver quand elle aura faim », explique Samara Danel. Ce comportement a donné lieu à des anecdotes croustillantes, notamment chez les individus vivant en captivité. « J’ai vécu avec une pie que j’ai recueillie blessée. Elle dissimulait n’importe quel type de nourriture : des morceaux de potiron dans mes chaussures ou des croquettes sous mes vêtements dans les étagères. Une fois, elle s’en est même prise à ma carte bleue en allant la cacher derrière la douche », raconte la chercheuse en souriant. Visiblement, dans des conditions non naturelles, la pie dérape et exagère sa tendance innée à se constituer des réserves alimentaires. Fréquentes dans le passé, lorsqu’on domestiquait les pies comme animaux de compagnie, ces mésaventures cocasses ont insjustement renforcé les préjugés à travers les siècles.
Conserve de fruits
Contrairement au cassenoix moucheté, qui cache des graines d’arole pour les récupérer plusieurs mois plus tard, la pie fait ses courses uniquement pour la semaine. Elle cueille par exemple des poires directement sur un arbre et les dissimule pour les récupérer quelques jours plus tard. Ce comportement s’observe toute l’année avec un pic en automne et en début d’hiver.
Logées sans toit
Les jeunes pies prennent plus souvent le risque de nicher à la belle étoile que leurs aînées. La proportion de nids sans dôme peut atteindre 35 % chez les couples inexpérimentés, alors que seulement 10 % des pies adultes ne construisent pas de toit.
Découvrez les explication de Samara Danel, chercheuse en cognition aviaire, sur le QI des pies.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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