La vision des insectes, un monde en facettes
Aveugles au rouge, les insectes voient l’ultraviolet à travers des milliers d’yeux élémentaires. Quand la réalité dépasse la science-fiction.
Aveugles au rouge, les insectes voient l’ultraviolet à travers des milliers d’yeux élémentaires. Quand la réalité dépasse la science-fiction.
Observez une abeille qui butine. Ses yeux n’ont pas grand-chose à voir avec les nôtres. Ils sont composés de 4 500 facettes hexagonales qui correspondent à l’extrémité d’autant de minuscules yeux élémentaires. En agglomérant les pixels perçus par chacun de ces récepteurs, le cerveau des abeilles est capable de reconstituer une image globale panoramique et tridimensionnelle. Balaise, non ?
Depuis les expériences de l’éthologue autrichien Karl von Frisch, on sait que ces insectes sont attirés par des teintes vives, blanc, jaune, bleu ou violet. Le rouge en revanche, ils ne le perçoivent pas. Les butineuses possèdent trois types de cônes sensibles au vert, au bleu et à l’ultraviolet, ce qui produit une vision trichromatique au spectre décalé par rapport à ce que nous distinguons. A la place du rouge, elles voient les ultraviolets invisibles pour nous.
A travers les yeux d’une abeille, l’affichage coloré que les plantes déploient pour attirer les butineurs revêt une allure inédite. Certains pétales que nous voyons unis sont balisés par des taches et des traits ultraviolets qui conduisent le visiteur au nectar ou au pollen. D’autres que nous pensons ternes réfléchissent intensément les UV. D’autres encore changent soudainement de couleur à notre insu suite à leur fécondation, histoire de prévenir les insectes que leur venue n’est plus nécessaire.
Grâce à un récepteur spécialisé dans chacun de leurs yeux élémentaires, les abeilles sont aussi sensibles à la polarisation de la lumière, ce qui leur permet de déduire la position du soleil et de s’orienter même dans un épais brouillard. On a également découvert récemment que la sensibilité aux couleurs de leurs yeux composés n’est pas uniforme. Le dessus est plus sensible aux UV et le dessous au vert. Cela les aiderait à s’équilibrer en vol en maintenant leur horizon entre un sol globalement plutôt vert et un ciel plutôt ultraviolet.
Voilà pour les abeilles. Mais la perception des insectes est prodigieusement diversifiée. Certains d’entre eux n’ont pas d’yeux du tout ou seulement des ocelles insensibles aux couleurs. A l’opposé, des diptères ou libellules ont des yeux composés démesurés par rapport au reste de leur tête avec plus de 10 000 facettes parfois couvertes de taches ou de rayures. Ces filtres colorés sélectifs doivent leur donner une vision psychédélique. Ce que voient les insectes est difficile à imaginer.
Alors, comment cela se passe-t-il chez les poissons ou les oiseaux ?
Tout ou rien
L’œil composé des insectes est une merveille apparue il y a cinq cent millions d’années dans les profondeurs des océans. Chaque œil élémentaire, ou ommatidie, contient une cornée transparente et un cristallin sous lesquels sont placées sept à neuf cellules sensorielles allongées. Ces cônes perçoivent diverses longueurs d’onde colorées, mais ils travaillent de manière plus binaire que les nôtres. Ainsi les insectes, en plus de leurs trois couleurs primaires, ne peuvent distinguer que trois teintes intermédiaires plus le blanc et le noir. Huit nuances en tout et pour tout !
Cible au centre
Les rares fleurs rouges qui poussent sous nos latitudes sont toutes colorées en UV. Ainsi, aux yeux des abeilles, les pétales des coquelicots s’affichent ultraviolets. Fortement contrastées, les étamines noires de la fleur forment le cœur d’une cible. Le guidage est accentué sur certaines corolles par un motif qui renvoie violemment les UV et doit sembler éblouissant.
Signaux d’atterrissage pour insectes
L’onagre a une corolle qui nous apparaît jaune uni. Or le jaune, c’est une addition de rouge et de vert. Si cette fleur ne réfléchissait que ces deux couleurs, les abeilles, incapables de percevoir le rouge, la verraient verte. Autant dire qu’elle disparaîtrait, noyée au milieu d’un océan de feuilles. Heureusement, l’ultraviolet dessine des faisceaux de traits convergeant au centre des pétales. Un balisage qui révèle immédiatement où se trouve la source du nectar.
Apprenez tout sur les couleurs dans la nature dans la suite du dossier.
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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