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Hêtre mon arbre
Le hêtre vu par le peintre Jacques Rime
D’un automne à l’autre, Jacques Rime est allé le voir presque chaque semaine. Notes et peintures d’un artiste tombé sous le charme du hêtre.
D’un automne à l’autre, Jacques Rime est allé le voir presque chaque semaine. Notes et peintures d’un artiste tombé sous le charme du hêtre.
25 octobre
En montant le sentier qui mène à l’arbre que ma compagne Sylvie et moi avons choisi, nous trouvons un vieux nid de muscardin. C’est beau partout. Ça sent la terre, les vieilles plantes et les champignons. En pleine forêt, juste au-dessus d’un petit ruisseau, il est là : le foyard . Tout autour, d’autres hêtres, des énormes sapins blancs, des épicéas et quelques érables.
On le regarde, on le touche, on fait connaissance… Il a de la gueule ! Sur son tronc, dans une fissure de l’écorce dort un tout petit escargot. Ce sera mon premier dessin. Il faut commencer doucement, lentement…
28 octobre
Son feuillage est somptueux. Je me sens impuissant, perdu dans un décor immense, dans des vibrations infinies, dans des scintillements d’or, d’ocre et de roux. De fortes branches moussues semblent se frayer des passages entre des millions de feuilles. Des nuages blancs passent dans le bleu de l’automne. Où est passé le petit escargot ?
17 novembre
La neige a fondu toute la journée. Ce soir, nous montons au foyard. On s’installe confortablement dans nos duvets et je dessine. Une lune un peu voilée se lève. L’air est humide et doux, la forêt absolument silencieuse et paisible. Puis le brouillard arrive. La lune et Jupiter s’effacent. On rentre.
20 décembre
Quel privilège d’être là, tout seul dans un petit coin du monde, dans la nuit et le froid. L’eau s’égoutte des grands arbres. Aucun bruit de pas dans les feuilles et la neige, pas un cri, rien… Où sont les bêtes ?
Je regarde les arbres géants tout noirs qui se dressent jusqu’au ciel… C’est impressionnant et ça fait presque peur. Pour un peu, je me cacherais dans mon sac de couchage. Je me sens minuscule.
17 février
Quel silence ! Juste le bruit du crayon qui griffonne sur la feuille de papier. Voilà une bête qui arrive… C’est un lièvre. Pas de panique. Poser le crayon, prendre les jumelles, dou-ce-ment. Il passe là, tout près, et s’arrête à côté d’un petit arbre tombé. Il est assis, un peu ramassé, le dos rond, la poitrine claire. A quoi il pense ? Le voilà parti. Moi aussi, je vais faire une tournée dans la nuit. Lorsque je reviens, la lune illumine le foyard.
27 décembre
Hier, il a beaucoup neigé. Gel encore ce matin, mais ce soir la température monte, monte. Il fait doux et toute la neige accumulée sur les arbres fond. Partout, ça coule et ça dégouline, sur nos duvets, sur nos têtes, dans notre cou, jusque sur mes feuilles de papier qui se collent les unes aux autres. J’en reprends des sèches… et au même instant un gros paquet de neige explose sur ma planchette à dessiner. C’est comme ça jusqu’à la nuit complète. On rentre, trempés et heureux.
22 janvier
Beaucoup de traces de renards en montant vers le foyard. Les goupils sont amoureux. Il y a aussi des empreintes de chevreuils, de lièvres et de blaireaux. Petite neige sur le sol, sur les arbres… Je voudrais écrire la forêt, décrire tout cela, mais je n’y arrive pas. Alors, je dessine.
24 mars
Ce matin, devant la maison, visite des geais, des corneilles, des pinsons et de Roméo, le chat, royal comme toujours… Le printemps est là, dessus et dessous la neige. Raquettes au pied, nous marchons dans la forêt. Tout est blanc, gris, cendré, lumineux. Pas un cri d’oiseau, pas un souffle : on dirait qu’il se prépare quelque chose… Traces de chevreuils toutes fraîches.
Toujours la même émotion lorsqu’on arrive dans le coin du foyard. Ces grands arbres majestueux, immobiles dans le froid, on se prend à les aimer comme des frères.
15 avril
Un foyard ? Une vie entière d’homme ne suffirait pas à découvrir toutes ses merveilles, à percer tous ses secrets. On pourrait passer des mois, des années à dessiner seulement son écorce tellement elle est belle, tellement l’imagination débridée de la nature est infinie. Quel âge a-t-il, ce grand hêtre ? Il est sûrement plus vieux que moi, et si Dieu et le forestier lui prêtent vie, il sera toujours là quand…
En attendant, je dessine son écorce, ses mousses, ses lichens gris, ses taches blanches et bleues tout simplement avec joie.
22 mai
C’est l’anniversaire de mon père, forestier bûcheron qui m’a fait aimer les arbres et l’odeur de la forêt. Nous allons fêter ça en allant ptit-déjeuner auprès de notre arbre. Un soleil rouge, tropical, se lève dans la brume du matin. Toutes les feuilles, les tiges, les plantes, les herbes, les branches sont constellées de milliards de gouttes de rosée. On s’installe à son pied.
Les nouvelles feuilles au vert tendre et lumineux tremblent dans les ombres et les lumières. Une grande guêpe cherche un trou secret où construire son nid de papier. Chant extraordinaire des oiseaux, cri du pic noir et passage lourd et ronflant d’un bourdon. Dessins, tartines au miel, beurre et confiture, thé bon chaud… et après, on va rôder.
Le pic noir manifeste à nouveau. Sylvie aimerait le voir, et s’attarde un peu. Je l’attends plus loin. Lorsqu’elle me rejoint, son visage est radieux. Elle a trouvé la loge du grand oiseau…
30 juin
Les ronces traversent le sentier sans vergogne. Foyards, un petit chêne, des frênes, des érables, des fougères, des graminées, des fleurs et des odeurs à l’infini. Incroyable végétation ! Dans la forêt, le sol est humide. Ça ne fait pas de bruit quand je marche. Je me prends pour un Indien… Toute la journée auprès du foyard. Il fait bon frais. Le grand corbeau crie, le pouillot véloce chante… Mais plus aucun signe des pics noirs.
6 juillet
Le merle, les pinsons, le troglodyte chantent. La buse crie et les geais alarment. Les lumières et les ombres changent. Le ciel se couvre. Des nuages passent très vite. Le soleil disparaît, réapparaît en lançant des éclairs lumineux foudroyants. Comment dessiner dans ces conditions ? Un coup de tonnerre donne la réponse : l’orage arrive d’un coup. Il faut partir en vitesse…
27 juillet
Extraordinaire beauté de la forêt ! Extraordinaire noblesse de ces arbres ! Plusieurs fois je lève les yeux de mon travail et regarde autour de moi étonné, émerveillé, ahuri.
Je pense à ce peintre chinois qui voulait dessiner la montagne. Longtemps il a vécu seul, sans crayon, sans pinceaux, sans papier, se disant : Je peindrai la montagne quand je serai montagne. Comment être l’arbre ? Comment être la forêt ? Nous avons des siècles d’abrutissement sur les épaules. C’est difficile de retourner aux vraies sources.
17 août
Passage du jour à la nuit. La lumière illumine la mousse des grands troncs. Dans certains endroits de la forêt, la nuit est déjà là. C’est le moment des histoires, des légendes, le moment des esprits des bois et des bêtes sauvages... A propos, si l’ours était par là, je me dirais peut-être que c’est le moment de rentrer...
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Cet article est extrait de la Revue Salamandre
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